Alassane Ouattara/Côte-d’Ivoire: Une réforme constitutionnelle destinée à partir pour mieux rester

Il ne faut pas s’y tromper. Le concert (orchestré) de félicitations qui accompagnent Alassane Ouattara alors qu’il annonce qu’après moult hésitations, il s’est résolu à respecter la Constitution de Côte d’Ivoire et à ne pas se présenter lors du scrutin de 2020, n’est qu’une diversion.

Ce qui se joue à Abidjan aujourd’hui, c’est la scandaleuse réforme constitutionnelle engagée par l’exécutif sept mois avant le scrutin. Nous en connaissons désormais la teneur, notamment grâce à la publication du projet de loi. [Lire le projet de loi ici].

Il faut le dire très sérieusement : le tripatouillage constitutionnel d’Alassane Ouattara est pire que celui d’Alpha Condé, le président guinéen. “Alpha” nourrit un projet de confiscation du pouvoir pour lui. Alassane Ouattara veut verrouiller les institutions au profit de son clan politico-économique pour une période indéterminée qui ne pourrait s’achever que par un coup d’Etat ; la puissance de l’hégémonie administrative du RHDP rendant presque impossible toute alternance… et périlleuse toute hypothétique alternance tant la concurrence entre les institutions a été pensée en amont.

Avant toute démonstration, ouvrons une petite parenthèse. A priori, les critères d’éligibilité pour le président de la République n’ont pas changé. Aucun dispositif d’exclusion des vieux rivaux, Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié, et du jeune rival Guillaume Soro ne sont explicitement mentionnés. Il reste que d’autres dispositifs peuvent y pourvoir. Ils peuvent figurer dans le Code électoral, qui n’est toujours pas adopté, et dont il est évident qu’il sera au coeur du dispositif de rétrécissement de l’offre politique lors la future présidentielle. La question des parrainages citoyens obligatoires, la polémique sur le relèvement de la caution (on a même parlé de 100 millions de FCFA), le nœud gordien du financement public des campagnes sont de précieux indicateurs sur l’état d’esprit du régime. Tout comme cette drôle de manière d’imposer un suffrage censitaire via une carte d’identité qui coûtera 5000 FCFA, de telle sorte que les pauvres subventionnés par les richissimes barons du régime y auront plus droit que les autres.

Il faut noter que la nouvelle mouture de la Constitution maintient en son article 101 que la loi fixe les règles concernant l’exercice des “droits civiques”. Or l’éligibilité est un droit civique !

Mais revenons au plus important. Ouattara veut partir pour mieux rester via son clan. Cette réforme constitutionnelle est l’ultime acte de dépossession politique du peuple ivoirien. Désormais, le dauphin constitutionnel du président de la République sera structurellement (et non provisoirement avec Daniel Kablan Duncan) une personne non élue. Un vice-président sorti du chapeau du président, qu’il pourra changer autant qu’il voudra. Un vice-président qui, devenu président dans l’hypothèse de vacance du pouvoir, devra gouverner jusqu’au terme du mandat de son prédécesseur (possiblement durant de longues années) dans une cohabitation de fait avec un Premier ministre inamovible n’ayant lui non plus aucune forme de légitimité électorale.

Le peuple est mis de côté, et l’institution présidentielle est plus affaiblie que jamais. Ouattara construit ainsi son “plan B”. Au cas où il ne parvient pas à imposer son poulain au terme de la présidentielle de 2020.

Ou au cas où son poulain “fait en Lourenço”, c’est-à-dire comme Joao Lourenço, le dauphin constitutionnel de l’ex président angolais qui, arrivé au pouvoir, s’est attaqué aux intérêts financiers du clan de son prédécesseur, notamment à ceux d’Isabel Dos Santos, “Princesa”, femme la plus riche d’Afrique dont le “modèle économique” se rapproche de celui de Dominique Ouattara, l’épouse d’Alassane Ouattara.

Ouattara fait éclater le pouvoir entre plusieurs instances, qui constituent autant de forteresses autour de son clan pour l’avenir.

Il a déjà assez remodelé l’armée : c’est une armée ethnicisée, politisée… c’est en grande partie l’armée du RHDP. Au cas où elle est mécontente des résultats de l’élection, elle pourra en tout ou partie se mutiner et rendre impossibles les législatives. Dans ce cas, Ouattara officiellement mis en retrait pourrait gouverner via le Parlement, tout aussi largement RHDP que l’armée.

Le Parlement (RHDP) devient le concurrent du chef de l’Etat. Il valide notamment la nomination du vice-président (article 55 nouveau).

Le pouvoir de défèrement devant le Conseil constitutionnel d’une loi constitutionnelle, d’une loi organique ou d’un engagement international du pays par le président de l’Assemblée nationale et/ou du Sénat est affirmé, sachant que le Conseil constitutionnel sera celui de Ouattara (RHDP) au moins pendant toute la période des élections générales (jusqu’en mars 2021).

La confusion entre les rôles des deux chambres (Assemblée nationale et Sénat) s’accroît, l’exécutif pouvant choisir en toutes circonstances de proposer un texte en priorité à la chambre la plus malléable. Affirmée à plusieurs reprises dans le texte, la notion de majorité absolue du Parlement “réuni en congrès” renforce structurellement le RHDP, dont la puissance au Sénat demeurera après le renouvellement de l’Assemblée nationale. Des élections législatives qui favorisent le RHDP via le découpage électoral… lequel ne saurait être remis en cause (quand on connait les moeurs politiques locales) sans troubles orchestrés, donc report des élections législatives.

Alassane Ouattara entend aussi se barricader via le pouvoir judiciaire.

La dissolution de la Cour suprême se fera au profit d’un Conseil d’Etat et d’une Cour de cassation dont il nommera les membres avant de partir pour un mandat de cinq ans renouvelable.

Le Conseil d’Etat pourra bloquer les actes administratifs qui le dérangent et la Cour de cassation constituer un verrou judiciaire pour le “clan” et ses affaires financières.

Verrou militaire avec l’armée RHDP qui pourra stopper le processus de renouvellement des institutions en rendant impossible les législatives ; verrou parlementaire avec une Assemblée nationale et un Sénat qui arbitreront la transition ; verrou judiciaire avec le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat…

Voici comment Ouattara entend protéger ses arrières.

Tambou Tchagain

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1 réflexion au sujet de « Alassane Ouattara/Côte-d’Ivoire: Une réforme constitutionnelle destinée à partir pour mieux rester »

  1. LE TEMPS DE DIEU ET LA LUCIDITÉ FACE À LA TEMPORALITÉ DE L’HOMME
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    Bien sûr que nous avons le droit de souligner les éléments fragiles de cette proposition de révision constitutionnelle.

    Au regard de la lecture du monde et de la connaissance de ce que nous sommes dans notre petitesse d’être humain mais d’une petite observation de notre récente histoire commune.

    Je ne vous ferai pas un long cours d’histoire sur la grande Russie. Juste un petit résumé d’une certaine époque oû le pays des TSARS a connu au sommet de l’Etat de manière accélérée.

    En passant un coucou à mon ami Rogers notre ambassadeur. Mon ami du « Terminus 40 » dans la belle cité de Yopougon. Aux âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre des années.

    ======= Extrait Konstantin Tchernenko =======

    Les dernières années de Léonid Brejnev, mal en point, et mort à 75 ans en novembre 1982, donnent de l’URSS l’image d’une gérontocratie. Iouri Andropov lui succède à 68 ans, mais pour 15 mois, mourant en février 1984. Son successeur Tchernenko disparaîtra un an plus tard, à 73 ans en mars 1985, après un règne à la tête du pays de seulement 12 mois et 26 jours, surtout caractérisé par son absence du pouvoir de plus en plus fréquente pour cause de maladie.

    ======== Wikipedia ==========

    Imaginons qu’avant la mort de Brejnev une constitution aussi légère concernant la Vice Présidence fut en place en URSS.

    Brehnev meurt. Son remplaçant Andropov vient et meurt après 15 mois. Tchernenko arrive et meurt aussi après 12 mois…. On ne parle pas là-bas d’empoisonnement mais ça meurt quand même très rapidement…

    On imagine tout le cafouillage avec une Constitution verrouillée sur le pouvoir du vice président. Le président homme comme vous et moi pour x raisons, Dieu seul sait l’avenir, peut disparaître la veille de son investiture ! On.a vu le cas de Soglo au Benin. On voit l’état d’Ali Bongo au Gabon. On connaît l’état de la santé de Amadou Gon Coulibaly.

    Refuser qu’on parle de cela c’est se méprendre sur soi même. Qui que nous soyons. Le temps de Dieu n’appartient à personne.

    Et nous aimons tous notre Côte d’Ivoire pour saluer les prouesses de la Gouvernance Ouattara et refuser que notre pays ne sombre à la fois dans les mains d’un aventurier politique sans programme de gouvernement clair ou projet de société tangible. Autant nous ne devons laisser passer un texte qui peut ouvrir la voie à l’incertitude au sommet de l’état.

    Un Vice-président qui doit gouverner pendant 4 ans comme Président (pourquoi pas) et qui aurait les mains liées ! Quel intérêt pour le fonctionnement de l’Etat ? Autant alors choisir de revenir à l’organisation d’un nouveau scrutin dans les trois mois après la vacance du pouvoir. Ce qui redonnerait une légitimité au Gouvernant et toutes les coudées franches pour administrer l’état.

    CES MALADES QUI NOUS GOUVERNENT
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    Dans leur excellent livre, « CES MALADES QUI NOUS GOUVERNENT », publié depuis plus de 40 ans, Pierre Accoce et Pierre Rentchnick écrivent à juste titre :
    « ….Il faut tenir compte de la mentalité très particulière de ces malades qui nous gouvernent et qui refusent d’une part, de considérer leur état de santé comme incompatible avec la direction d’un pays ou d’une armée, et d’autre part, d’admettre que les conséquences de leur maladie peuvent être graves pour leurs concitoyens. .. ».

    Nous touchons du bois. Nous souhaitons longue vie à tous. Mais nous devons rester vigilant afin que la transition générationnelle déclarée et appelée de tous les voeux, ne se réalise avec une précarité institutionnelle de par notre incapacité à regarder notre condition d’hommes.

    Aujourd’hui les chrétiens fêtent le Dimanche de la Transfiguration. Seuls Jésus et Mahomet (PSL) et largement les prophètes avaient ce don inné. Nous autres ne sommes que de pauvres humaine.

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