Entre déni, panique et restrictions en Côte-d’Ivoire

Par Vincent Duhem | Jeune-Afrique

Comme au Sénégal, l’état d’urgence a été déclaré en Côte d’Ivoire. Les frontières terrestres, maritimes et aériennes sont désormais fermées et un couvre-feu sera instauré dès ce mardi soir. Des mesures qui vont bouleverser les habitudes des Ivoiriens. Reportage à Abidjan.

Le 4×4 du directeur général de la police fend les rues d’Abidjan à vive allure. Il est suivi par plusieurs véhicules de la Frap, une unité de la police, et des cargos de CRS. Après, Port-Bouët, Koumassi, Marcory, le commissaire divisionnaire Youssouf Kouyaté retrouve le ministre de la Santé, Eugène Aka Ouélé, et celui de la Sécurité, Diomandé Vagondo, à Yopougon, la commune populaire de la capitale économique ivoirienne.

À chaque fois, le but est le même, ce samedi soir : vérifier que les mesures mises en place par le gouvernement pour lutter contre la propagation du coronavirus sont bien appliquées. Ici, on s’assure qu’une boîte de nuit est fermée, là que les clients d’un maquis respectent bien la distance de sécurité d’un mètre…

Selon l’Organisme mondial de la Santé (OMS), la Côte d’Ivoire comptait, ce 24 mars, 25 cas confirmés dont deux guérisons et aucun dans un état grave. Alassane Ouattara a annoncé lundi l’instauration de l’état d’urgence.

Tous les maquis et restaurants seront désormais fermés. Un couvre-feu sera instauré entre 21h et 5h du matin, dès ce mardi. Les transports seront régulés et les déplacements non-autorisés entre Abidjan et l’intérieur du pays interdits. Les frontières du pays sont également fermées.

À Abidjan, le nombre de passagers autorisés dans les taxis compteurs, collectifs ou les gbaka, ces mini-bus utilisés pour transporter plusieurs dizaines de personnes, ont été réduits. Le port d’un cache-nez et le lavage des mains a également été imposé.

Eviter l’asphyxie

Après les premiers couacs de la lutte contre le Covid-19 et la mise en quarantaine ratée de voyageurs internationaux, la riposte ivoirienne entre dans une nouvelle phase.

Comme dans la plupart des pays du continent, les autorités cherchent les mesures les plus pertinentes pour contrer l’épidémie, éviter que la multiplication des malades n’asphyxie un système de santé déficitaire, alors que le pays compte un peut moins de 50 lits en réanimation, établissements publics et privés confondus.

LA DISTANCIATION SOCIALE EST PRESQUE CONTRE-NATURE. ELLE VA À L’ENCONTRE DES RÉALITÉS SOCIALES ET ÉCONOMIQUES

Pour les autorités, le défi sera de faire respecter ces dispositions. Il faudra sans doute plusieurs jours, voire plusieurs semaines, pour qu’elles le soient totalement. Ici, comme dans toute l’Afrique de l’Ouest, tout est promiscuité. La « distanciation sociale » est presque contre-nature. Elle va à l’encontre des réalités sociales et économiques.

Si encore trop d’Ivoiriens demeurent persuadés que la maladie vient « d’ailleurs », que « le corona, là, ce n’est qu’une affaire de blanc », ou que ce n’est « une invention de l’Occident », la donne commence à changer.

Le Covid-19 est globalement pris au sérieux, en tout cas bien plus rapidement que ne le fut le virus Ebola. La réaction des Ivoiriens n’est cependant pas homogène. Il y a ceux qui paniquent, prennent d’assaut les supermarchés ou les pharmacies. Le prix des gels pour les mains et des masques ont ainsi très vite flambé. Certains ont rapidement flairé la bonne affaire.

Ailleurs, c’est avec le sourire et humour que le virus est accueilli. On ne remet pas en cause son existence, mais on se pense encore être à l’abri. Pour eux, la prise de conscience ne viendra malheureusement pas avant que les premiers décès soient recensés.

Habitudes bouleversées

Le virus fait désormais parti du quotidien. Il alimente les conversations et bouleverse déjà les habitudes, les convenances sociales et l’activité économique dans tous ses secteurs.

Dans certaines cours communes d’Abidjan, on a commencé à donner des cours de lavage de mains. La circulation et les bouchons ont considérablement diminué. Vendredi, la grande majorité des mosquées étaient fermées. Les églises en ont fait de même et, sauf exception, n’ont pas organisé de messe. Chacun s’adapte comme il le peut.

L’abbé Abekan, lors d’une procession dans les rues d’Abidjan, priant contre la proppagation du Covid-19, le 22 mars 2020 à Abidjan.

Ce dimanche 22 mars, parce que « Jesus christ ne peut être enfermé », le père Martin Adekan, curé de la paroisse Sainte Famille, a décidé de prendre la rue. Le voici, un ostensoir dans les mains, prêchant la parole divine par le toit ouvrant de son véhicule.

« Que sa bénédiction entre dans vos familles et que la main de Dieu soit posée sur vous à jamais », crachent les enceintes de cet étonnant convoi. À son passage, certains fidèles se mettent à genoux.

JE N’AI NI MARI NI ASSURANCE. SI PERSONNE N’ACHÈTE MON POISSON, COMMENT JE VAIS VIVRE ?

La veille, il y avait encore du monde au grand marché de Marcory, mais peut-être pas autant que d’habitude. On se faisait les tresses ou les ongles. Les enfants couraient dans les allées étriquées où quelques rares personnes avaient enfilé un masque.

Clarisse était venue vendre ses poissons. Elle s’était dite un peu inquiète par tout ce qu’elle a entendu à la télévision concernant le « corona » et assurait se laver les mains régulièrement.

Sans doute d’avantage que la maladie, c’est le manque à gagner qui l’angoissait : « Je n’ai ni mari ni assurance. Si personne n’achète mon poisson, comment je vais vivre ? »

Samedi, le prix de son poisson avait déjà presque doublé – un phénomène que l’on observe dans toute la filière halieutique, comme bovine -, forçant cette femme bien bâtie à réduire son stock de moitié.

ON PRÉFÈRE BARRICADER LE QUARTIER. CE BAR, C’EST LE SEUL ENDROIT OÙ L’ON PEUT SE RETROUVER

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Photo: L’abbé Abekan, lors d’une procession dans les rues d’Abidjan, priant contre la proppagation du Covid-19, le 22 mars 2020 à Abidjan. © REUTERS/Thierry Gouegnon

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