«Le coronavirus est une question de vie ou de mort», entretien avec P.D. Dr Philippe N’Guessan, pneumologue d’origine ivoirienne en Allemagne

Interview – P.D. Dr N’Guessan, Djè Philippe, exerce comme Médecin chef des départements de Pneumologie, de Cardiologie, d’Unité de soins intensifs et du Centre de Médecine du sommeil de l’hôpital Malteser à Bonn en Allemagne. Pour ce spécialiste qui chaque jour est en contact avec des personnes malades du Covid-19, «nous devons tous suivre à la lettre les recommandations de nos autorités. C’est une question de vie ou de mort».

Propos recueillis par Gbansé, Douadé Alexis, journaliste, avec SD à Abidjan 
Publié hier, mis à jour aujourd'hui 31 mars

Bonjour Docteur, pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs et nous dire comment l’Ivoirien bon teint que vous êtes s’est retrouvé à la tête d’un hôpital à Bonn en Allemagne ?

Bonjour, je voudrais vous remercier d’être venu vers ma modeste personne pour cet entretien.

J’ai fait mon baccalauréat série C au Lycée moderne d’Agboville en 1993. Ensuite je me suis inscrit à la Faculté de médecine de l’Université de Cocody à Abidjan.

J’ai poursuivi mes études de Médecine à la prestigieuse Faculté de médecine Charité à Berlin où j’ai obtenu mon Doctorat en Médecine avec la mention très honorable et les félicitations du jury (summa cum laude). J’ai fait mon Agrégation au sein de la même Université à Berlin.

J’ai fait différentes spécialisations, notamment sur les maladies pulmonaires à Berlin et à l’Université d’Heidelberg, toujours en Allemagne. J’ai aussi combiné la recherche et l’enseignement dans ces deux Universités. J’ai par conséquent différentes publications dans le domaine de la médecine pulmonaire.

Je suis aussi titulaire d’un diplôme de santé publique de l’École de Santé Publique – Faculté de Médecine de Nancy en France.

J’ai servi comme Médecin chef des Services de médecine interne, de Pneumologie et de l’Unité des soins intensifs à Linz/Rhein en Allemagne.

Actuellement j’exerce comme Médecin chef des départements de Pneumologie, de Cardiologie, d’Unité de soins intensifs et du Centre de Médecine du sommeil de l’hôpital Malteser à Bonn en Allemagne. Mon service abrite la plus grande clinique pour les pathologies pulmonaires à Bonn et environs.

Comment définir le COVID-19 selon vous ?

Le COVID-19 est une maladie virale très contagieuse qui est causée par un nouvel agent infectieux pour l’homme. Ce virus est dénommé le SARS-CoV-2. Ce virus se transmet d’une personne à une autre. La forme sévère du COVID-19 est une infection grave des poumons, une pneumonie qui peut être mortelle. Le langage populaire utilise le terme de coronavirus, mais le nom scientifique de la maladie est COVID-19 causé par le nouveau coronavirus appelé SARS-CoV-2.

L’Allemagne a la particularité de présenter un tableau de décès dus au Coronavirus relativement bas, comparé à certains pays européens tels que la France, l’Italie et l’Espagne. Comment expliquez-vous cela ?

L’explication est Multifactorielle.

D’ordre démographique dans un premier temps. Les populations infectées par le virus SARS-CoV-2 en Italie/ France/ Allemagne se différencient par les médianes [valeur permettant de partager une série numérique ordonnée en deux parties de même nombre d’éléments, à ne pas confondre avec la moyenne]. C’est ainsi qu’en Allemagne l’on observe une médiane de 45 ans et en Italie, une médiane de 63 ans. En France 93% des cas de personnes décédées dans les hôpitaux ont 65 ans ou plus. Une autre illustration est la Corée du sud où 9% des cas confirmés sont âgés de plus de 70 ans. En Italie 40% des cas confirmés sont aussi âgés de plus de 70 ans. La mortalité du COVID-19 est élevée chez les personnes âgées, par conséquent l’on a plus de morts en Italie et en France qu’en Allemagne. Mais attention, la situation reste susceptible d’évoluer aussi en Allemagne. Tout reste possible.

Je vais développer un peu. Je reviens sur le cas de l’Italie où le nord du pays, moteur de l’économie a été frappé dès les premières heures de la pandémie du SARS-CoV-2 en Europe. L’Italie a été touchée par la pandémie particulièrement tôt. En janvier, l’ampleur de la pandémie en Europe n’était pas encore prévisible.

Les autorités, le système médical et la population n’étaient pas préparés, donc inexpérimentés dans la lutte contre un virus extrêmement dangereux. Voilà quelques raisons qui ont fait que le SARS-CoV-2 s’est très rapidement propagé. En outre, le nord de l’Italie, économiquement fort, est également très fréquenté par les trans-régionaux et transnationaux. Ceux-ci ont certainement aidé le virus à se propager dans la région et dans d’autres parties du pays.

Maintenant regardons le nombre de tests de SARS-CoV-2 effectués sur la population générale. Comme indiqué précédemment, la proportion de personnes âgées parmi celles qui sont décédées du coronavirus est particulièrement élevée en Italie. Les chiffres indiquent également que surtout les personnes âgées qui sont généralement plus susceptibles de développer des formes sévères du Covid-19 sont beaucoup testées en Italie.

L’Allemagne a une stratégie de test très agressive, qui comprend également de nombreux cas bénins. La proportion de décès est donc plus faible. Néanmoins cette approche permet de dépister beaucoup de personnes infectées qui sont immédiatement prises en charge. Cela réduit de façon significative les cas graves admis en soins intensifs. Les lits de soins intensifs étant au cœur du dispositif de lutte contre la maladie du COVID-19, cette approche présente de gros avantages. L’approche allemande a donc permis dès le départ aux autorités sanitaires d’identifier beaucoup de porteurs du SARS-CoV-2 et des personnes avec lesquelles elles ont été en contact. Cela a certainement ralenti l’avancée du COVID-19 en Allemagne.

Il y a aussi les disparités économiques et infrastructurelles au sein des pays de l’Union Européenne, les mesures d’austérités financières pratiquées dans les pays du sud de l’Europe en l’occurrence en Italie et en Espagne expliquent aussi en partie les difficultés vécues par ces pays dans cette pandémie du COVID-19. L’Allemagne contrairement, a eu une très bonne performance économique cette dernière décennie. Elle est de par ce fait mieux préparée à faire financièrement face à la pandémie du COVID-19.

La question des places en soins intensifs revient régulièrement dans les propos des spécialistes. Vous l’avez aussi évoquée à l’ instant. Pouvez-vous être plus explicite, plus détaillé ?

Le nombre de lits d’hôpitaux et de lits de soins intensifs/réanimation varie considérablement d’un pays à l’autre. Selon l’OCDE, la France ne disposait en 2018 que de 3,1 lits en soins intensifs pour 100.000 habitants. Elle est passées en cette période de crise à 11,5 lits contre 28 lits en Allemagne. L’Italie se trouve à 12,5 lits pour les 100.000 habitants actuellement.

L’incapacité des systèmes sanitaires italiens et français [Région du Grand Est] à absorber un grand nombre de malades graves simultanément explique en partie la situation délicate qui prévaut dans ces deux pays.

Mais le nombre de lits à lui seul, n’indique pas dans quelle mesure un patient peut être soigné. Le personnel médical qualifié disponible joue également un rôle. En Italie plus de 2 000 employés médicaux ont contracté le SARS-CoV-2 et ne sont qu’en partie disponibles. Le manque, la réduction du personnel qualifié, peuvent être problématiques comme on le constate.

Le mode de vie en Italie ou en Espagne n’a-t-il pas joué un rôle dans la croissance exponentielle du nombre de personnes infectées ?

En Italie et en Espagne, contrairement à l’Allemagne ou en Scandinavie, les générations plus jeunes et plus âgées vivent souvent sous un même toit, ce qui augmente le risque d’infection des personnes âgées, particulièrement vulnérables. Ce modèle social a certainement joué un rôle important, notamment au début de la pandémie.

Voyez-vous un lien entre l’Afrique, l’Espagne et l’Italie en modes de vie ?

Oui bien évidemment, il y a une parallèle entre le mode de vie en Italie et beaucoup de pays africains. Dans le cas précis de la Côte-d’Ivoire, mais aussi des pays africains en général, il faudrait trouver les moyens de confiner d’abord toute la population pendant une période raisonnable, et ensuite tous les sujets au-dessus de 60 ans et les patients souffrants de pathologies chroniques, [problèmes cardiaques, problèmes pulmonaires et diabète pour en citer quelques-unes], pendant une longue période. On peut ajouter à ces trois groupes les porteurs du VIH.

Devrons-nous nous y faire à l’idée que le virus est parmi nous et qu’il y restera ou bien y-a-t-il selon vous un moyen d’éradiquer complètement le covid-19 ?

Nous disposons de peu de données sur le nouveau virus SARS-CoV-2. Il est donc difficile de faire un pronostic sérieux sur le long terme.
L’hypothèse selon laquelle le virus devrait disparaître en été en Europe à cause des températures chaudes est à rejeter parce que le virus avance à grands pas dans les pays tropicaux.
Je crains que nous devions nous y faire à l’idée que le virus est parmi nous et qu’il y restera. Cependant, je nourris l’espoir que nous allons pouvoir le contrôler parce que de nombreuses personnes seront infectées et deviendront immunisées grâce aux anticorps. Le développement de médicaments et de vaccins devrait également avoir progressé d’ici là. Plus la situation dure, plus les systèmes de santé développent les expertises afin de mieux répondre au COVID-19.
Mais hélas, le prix à payer jusque-là sera lourd car il y aura eu beaucoup de pertes en vies humaines.

Vous êtes sans ignorer la polémique actuelle sur l’utilisation de l’hydroxychloroquine contre le covid-19. Des pays comme la Chine, le Maroc l’utilisent de façon systématique, d’autres comme la France et l’Allemagne, l’utilisent pour les cas jugés graves ou critiques. Comment réagissez-vous face à la polémique sur l’utilisation de l’hydroxychloroquine ?

La chloroquine et l’hydroxychloroquine sont des médicaments antipaludiques bien connus qui ne sont pas exempts d’effets secondaires graves. L‘hydroxychloroquine a moins d’effets secondaires que la chloroquine, bien connue en Côte-d’Ivoire sous le nom de Nivaquine.

Nous savons depuis longtemps que la chloroquine agit bien contre l’ancien virus SARS-CoV-1 en culture cellulaire. C’est aussi le cas pour le nouveau virus SARS-CoV-2 qui est éliminé par l’hydroxychloroquine en culture cellulaire [in vitro], c’est à dire en dehors du corps humain. C’est une bonne nouvelle. Mais ici, il s’agit de savoir si l’Hydroxychloroquine a un effet sur le virus SARS-CoV-2 [COVID-19] dans les poumons d’un être humain. Et là, à mon humble avis aucune étude sérieuse à ce jour ne nous a apporté une preuve en faveur d’une utilisation systématique de l’hydroxychloroquine contre le COVID-19.

C’est la raison pour laquelle je suis d’avis actuellement que l’hydroxychloroquine devrait être réservée pour les cas graves ou critiques. C’est ce qui est pratiqué en Allemagne, en France et au Pays-Bas. Si de nouvelles études nous livrent des données soutenant l’option d’une utilisation systématique de l’hydroxychloroquine, alors tout le monde suivra. Si la Chine qui a été la première nation au monde à être frappée par le COVID-19 dispose des données en faveur d’une utilisation systématique de l’hydroxychloroquine, alors qu’elle les publie.

Que conseillerez-vous aux autorités sanitaires en Afrique en général et en Côte-d’Ivoire en particulier ?

Je tiens à féliciter les gouvernements de beaucoup de pays africains, en particulier celui de la Côte-d’Ivoire, qui ont déjà pris différentes mesures pour freiner la propagation du SARS-CoV-2. Je leur suis solidaire sur toute la ligne.

J’aimerais tout de même crier mon indignation face au non-respect des directives de lutte contre le COVID-19 que le gouvernement ivoirien a imposées aux populations, en organisant lui-même à Yamoussoukro un congrès politique réunissant des centaines de personnes pour travailler sur une révision de la constitution.  On a aussi constaté que les mesures de quarantaine qui devraient être imposées à tous les voyageurs issus de pays à hauts taux d’infections de SARS-COV-2 n’ont pas été respectées par certaines autorités et stars de la chanson et du football. Cela est très irresponsable et dangereux et ne devrait pas se répéter. Le COVID-19 ne fait pas de différences entre les personnes.

Enfin, je me pose aussi la question de savoir si l’enrôlement des électeurs est encore nécessaire en ces temps ou le risque d’infection pour la population au SARS-COV-2 est très élevé.

Je suis d’avis que l’urgence est de prévenir la transmission communautaire pour interrompre la propagation du SARS-CoV-2 à un stade précoce. Cela passe par des campagnes agressives d’information des populations sur la maladie et les règles d’hygiène à adopter.
Mais aussi par des mesures de confinement des populations pendant une période raisonnable. En plus, nos États devraient se donner les moyens d’identifier les malades du COVID-19 et les personnes avec lesquelles ces malades ont été en contact. Une prise en charge par des équipes médicales bien équipées [masques, gants, combinaisons, etc.] devrait suivre immédiatement.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé [OMS], l’Afrique dispose à ce jour de moins de deux semaines pour contenir une propagation rapide du virus. Les autorités ivoiriennes et celles de beaucoup de pays d’Afrique ont beaucoup d’expériences dans la lutte contre des virus mortels comme l’Ébola. L’expertise acquise dans la gestion du virus Ébola peut présenter un avantage. N’empêche que nos pays doivent doubler d’efforts et être beaucoup vigilants. Nos populations doivent rester disciplinées. Nous devons tous suivre à la lettre les recommandations de nos autorités. C’est une question de vie ou de mort.

La Côte-d’Ivoire a-t-elle sollicité votre expertise, ne serait-ce qu’en termes de conseils ?

Non. Mais je pense qu’il y a beaucoup d’experts en la matière en Côte-d’Ivoire. Le gouvernement devrait beaucoup les écouter. Je reste tout de même entièrement à la disposition de nos autorités si elles sont d’avis que ma modeste contribution pourrait être nécessaire.

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