Planche à billets ou « monnaie hélicoptère »: Remède miracle face à la crise du coronavirus ?

Par Juliette Raynal

Face à l’ampleur de la crise économique provoquée par la pandémie du nouveau coronavirus, le concept de monnaie hélicoptère ressurgit. Aux mains des banques centrales, cet instrument financier consiste à donner directement de l’argent aux ménages pour relancer la demande et doper l’activité économique. Séduisant en théorie, cet outil s’accompagne de craintes et d’obstacles techniques. Mais jusqu’à quand ?

Imprimer des billets et les jeter depuis un hélicoptère dans les rues pour inciter les ménages à dépenser de manière à faire repartir l’activité économique. Voici l’image qu’avait utilisée le monétariste Milton Friedman, dès 1969, pour illustrer la théorie de la « monnaie hélicoptère (« helicopter money » en anglais) dans son ouvrage The optimum quantity of money. Ce concept, longtemps considéré comme inenvisageable et purement théorique, revient aujourd’hui sur le devant de la scène alors que les plus grandes économies de la planète s’attendent à une récession hors-norme, provoquée par la pandémie du nouveau coronavirus Covid-19, qui a déjà tué plus de 46.000 personnes à travers le monde, selon le dernier bilan de l’AFP.

Le débat autour de cet instrument financier a pris une nouvelle l’ampleur la semaine dernière, lorsque le Sénat américain a trouvé un accord sur un plan de relance inédit de 2.000 milliards de dollars, comprenant notamment la distribution d’un chèque de 1.200 dollars à tous les adultes du pays gagnant moins de 75.000 dollars par an.

Cette mesure, souvent présentée dans les médias comme relevant de la « monnaie hélicoptère », ne correspond pas en réalité à la définition stricte de ce concept.

« La monnaie hélicoptère consiste à donner, de manière directe, de la monnaie créée par la banque centrale aux agents économiques, que ce soit aux ménages ou aux entreprises », expose Laurent Quignon, économiste chez BNP Paribas. « L’action de la Maison blanche est une disposition purement budgétaire. Cela relève de la subvention. Ce n’est pas de la création monétaire de banque centrale », souligne-t-il.

Or, l’intérêt qu’un tel instrument soit confié à une banque centrale réside dans sa capacité à agir rapidement. L’institution monétaire est par ailleurs la mieux équipée pour contrôler le risque hyper-inflationniste, même si aujourd’hui un tel scénario paraît bien lointain.

Doper la croissance sans alourdir la dette publique

Il n’empêche que cette annonce a poussé les plus ardents défenseurs de la « monnaie hélicoptère » à monter au créneau. L’ONG Positive Money Europe, qui milite pour l’utilisation de cet instrument depuis 2015, a ainsi partagé en début de semaine une nouvelle publication intitulée « Helicopter money as a response to the Covid19 recession in the eurozone », démontrant l’intérêt des transferts directs d’argent aux citoyens pour déclencher le stimulus nécessaire à la relance économique, une fois la crise sanitaire surmontée, tout en limitant la charge supplémentaire de la dette publique.

« Toutes les mesures prises par la Banque centrale européenne [au total près de 900 milliards d’euros de rachats de dettes d’Etat et d’entreprises de la zone euro sur les marchés, ndlr] sont bien sûr nécessaires, mais elles se cantonnent à limiter les impacts négatifs sur l’économie et ne s’inscrivent pas dans une phase de relance. Par ailleurs, les instruments actuellement utilisés ne font que baisser le coût de la dette, mais quel sera leur impact si les acteurs économiques ne souhaitent pas s’endetter ? », s’interroge Stanislas Jourdan, directeur général de l’ONG et auteur de la publication, pour qui les politiques monétaires employées par la BCE sont arrivées au bout de leur efficacité.

« La baisse des taux directeurs et les mesures de rachats d’actifs menées depuis 2015 n’ont eu qu’un impact de 0,2 point sur le niveau de l’inflation », déplore-t-il. « Et, d’après un banquier central, il faut attendre six mois avant que le changement d’un taux directeur ne soit répercuté dans l’économie réelle ».

Positive Money Europe estime, en revanche, que la distribution de 1.000 euros (un montant choisi à titre indicatif) à tous les citoyens de la zone euro permettrait un stimulus immédiat de 1,2% du PIB, sans tenir en compte de l’augmentation des recettes fiscales pour l’Etat. Un calcul basé sur la propension marginale à consommer. En Allemagne, là où elle est la plus faible, elle s’élève à 40%. « Cela signifie que sur un euro donné, 40 centimes sont effectivement dépensés », explique Stanislas Jourdan. « Un tel instrument ne sera jamais efficace à 100% », reconnaît-il-donc. « Mais nous avons la certitude que son efficacité sera beaucoup plus grande que celle des rachats d’actifs [ou quantitative easing (QE), ndlr] », insiste-t-il.
Des conditions idéales

D’après l’ONG, la crise du coronavirus constitue même le moment idoine pour mettre en oeuvre la monnaie hélicoptère. Stanislas Jourdan émet l’hypothèse suivante :

« Admettons qu’en juillet prochain, une fois la crise sanitaire passée, un montant de 1.000 euros soit distribué aux citoyens. Ces derniers pourront partir en vacances, consommer. L’impact sera alors maximal puisque les ménages auront limité leur consommation pendant plusieurs mois. D’autant plus, si la BCE communique en amont sur la préparation de ce dispositif, de manière à ce que les entreprises puissent anticiper la hausse de la demande ».

François Perret, directeur général de Pacte PME et fondateur de l’institut Anaxagore, estime lui aussi que verser de l’argent directement aux citoyens serait plus efficace que de l’introduire dans les circuits financiers, en espérant que les banques en transmettent les effets sur le terrain. Dans une tribune publiée sur Forbes, il estime que ce choc économique, d’une « brutalité inouïe », exige de trouver de nouvelles solutions, comme « distribuer du cash, beaucoup de cash, directement aux citoyens et pas seulement aux entreprises ». « L’idée fera hurler les économistes libéraux les plus orthodoxes », concède-t-il.

Et, force est de constater que les arguments des détracteurs de la « monnaie hélicoptère » sont nombreux. Certaines objections concernent la dimension presque universelle d’une telle mesure, qui déroge au principe de méritocratie, très ancré dans nos sociétés.

Comment distribuer l’argent ?

Ensuite, dans la pratique, comment distribuer directement la monnaie de la banque centrale aux habitants ? Pour rappel, la monnaie de banque centrale (que l’on appelle base monétaire) ne prend que deux formes: la monnaie fiduciaire (les pièces et les billets) et les réserves que détiennent les banques commerciales à la banque centrale. Si distribuer des pièces et des billets est difficilement envisageable, l’autre alternative l’est encore moins puisqu’il n’existe pas aujourd’hui de monnaie digitale de banque centrale qui serait directement accessible aux particuliers.

« C’est sans doute mieux ainsi, car, en cas d’inquiétude sur la solidité de certaines banques commerciales, une ruée bancaire, c’est-à-dire l’échange massif de monnaie scripturale de banque commerciale (des dépôts) contre de la monnaie de banque centrale, serait très dangereuse et préjudiciable à la stabilité de l’ensemble du système financier », estime toutefois Laurent Quignon.

Pour l’économiste, la « monnaie hélicoptère » présente également un autre risque, celui de la détérioration du bilan de la banque centrale, qui entraînerait une dépréciation de la valeur de la monnaie et une perte de crédibilité pour l’institution.
Perte de valeur et de crédibilité

« Lorsque la banque centrale émet de la monnaie, il y a systématiquement une contrepartie qui figure à l’actif de son bilan. Ainsi, dans le cadre de ses opérations de refinancement, la banque centrale acquiert des créances sur les banques commerciales. Et, lorsqu’elle injecte des liquidités sur les marchés dans le cadre du quantitative easing, elle acquiert en échange des titres de dette. Si demain, de la monnaie banque centrale était émise sans contrepartie, comme le veut le principe de monnaie hélicoptère, cela voudrait dire que la banque centrale puiserait dans ses fonds propres ce qui entraînerait une détérioration de la valeur de l’actif net de son bilan (ou le besoin de la recapitaliser pour les Etats actionnaires). Cela voudrait dire que potentiellement la monnaie perdrait de sa valeur. Et du point de vue de la stabilité financière et de la crédibilité d’une banque centrale ce serait problématique », juge-t-il.

L’absence de créance soulève également la question du caractère irrévocable d’un tel mécanisme. Aujourd’hui, la création monétaire s’effectue toujours dans une période limitée. Le remboursement de la créance correspond à une destruction de la base monétaire. Dans le cas de la « monnaie hélicoptère », la monnaie est définitivement créée.

« Cette notion de pérennité est dangereuse car si la banque centrale injecte trop de monnaie à un moment donné sans pouvoir la retirer ultérieurement, cela créerait le risque de ne plus pouvoir maîtriser le niveau de l’inflation. Même si nous sommes loin aujourd’hui du risque inflationniste, il ne faut pas avoir une vision court-termiste. Il convient de rester vigilant et de ne pas semer les germes d’une inflation future que l’on ne pourra pas contrôler » prévient Laurent Quignon.

Ultime crainte: que cet outil devienne récurrent. « Si la BCE commençait à mettre en œuvre ce type d’instrument, elle franchirait le Rubicon et introduirait le risque que les marchés n’excluent pas qu’elle puisse y avoir de nouveau recours à l’avenir ».

Un instrument légal en quête de légitimité

Une batterie d’arguments que Stanislas Jourdan balaie du revers de la main. « Techniquement c’est faisable. Il faudrait que la BCE puisse créer un registre centralisé de tous les comptes bancaires de la zone euro pour ensuite verser de l’argent », explique-t-il, tout en reconnaissant que l’opération est loin d’être triviale. Quant aux aspects comptables, il suggère qu’en contrepartie une dette perpétuelle soit inscrite au bilan de la BCE correspondant en quelque sorte « au bien-être de l’Europe ».

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