Quand une note diplomatique de la France prédit la chute de certains États en Afrique

(Agence Ecofin) – Le coronavirus continue de faire des ravages à travers le monde. Avec environ 6 000 cas le continent africain reste pour l’instant relativement épargné. Mais de l’avis de certains experts, l’impact à venir de la pandémie en Afrique pourrait être catastrophique au point d’entraîner l’effondrement de plusieurs Etats du continent.

Dans une note diplomatique du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS),intitulée « L’effet pangolin : la tempête qui vient en Afrique ? », obtenue par l’Agence Ecofin, le ministère français des Affaires étrangères prédit un effet quasi-apocalyptique du COVID-19 sur les Etats africains. D’après le think tank du gouvernement, « vu d’Afrique, le Covid-19 se présente sous la forme d’un chronogramme politique qui va amplifier les facteurs de crise des sociétés et des Etats ».

Des Etats défaillants

Selon le rapport, la pandémie du nouveau coronavirus sera « la crise de trop qui déstabilise durablement, voire qui mette à bas des régimes fragiles (Sahel) ou en bout de course (Afrique centrale) ». Pour le CAPS, « le taux de médicalisation […] est quasi-nul et les systèmes de santé nationaux peuvent être considérés comme saturés d’office ».

Ainsi, le COVID-19 devrait révéler « l’incapacité » des Etats africains à protéger leurs populations. La crise sanitaire qui vient avec la maladie entraînera, selon la note, une crise politique qui pourrait être déclenchée par un nombre trop élevé de décès, ou encore l’infection d’un « dirigeant âgé ». Dans ce cas de figure, les Etats les plus exposés à une déstabilisation seraient ceux du Sahel et de l’Afrique centrale, caractérisés par des « politiques publiques défaillantes » au contraire d’autres pays aux « institutions plus solides » tels que le Rwanda ou le Sénégal.

Le CAPS indique également que la fragilisation de l’autorité des Etats ciblés par l’étude, se manifestera également dans les rapports de force qui se déclencheront pour la maîtrise de l’information. « Le discrédit qui frappe les paroles institutionnelles va en outre s’amplifier. L’information se recompose déjà par le bas, en marge des informations publiques via les réseaux sociaux. Le poids des réseaux sociaux va considérablement peser, a fortiori avec le confinement qui va couper littéralement les sociétés des institutions publiques » indique le document.

Un énorme impact socio-économique

« En Afrique de l’Ouest, les mesures de confinement saperont l’équilibre fragile de l’informel, économie de survie quotidienne essentielle au maintien du contrat social. En Afrique centrale, le choc pourrait précipiter la crise finale de la rente pétrolière au Cameroun, au Gabon et au Congo-Brazzaville là aussi au cœur des équilibres sociaux » indique le Quai d’Orsay.

Dans un scénario quasi-hollywoodien, l’institution indique également que les besoins essentiels liés à la crise sanitaire devraient faire apparaître des phénomènes de panique urbaine dans les villes africaines. « La question de la sélection ne portera pas sur les personnes à sauver médicalement (faute de capacités d’accueil), mais sur les besoins de première nécessité : quel quartier ravitailler ? quelles autorités locales crédibles peuvent être les relais d’organisation de la distribution ? quels produits de première nécessité fournir dans une phase attendue de pénurie ? » indique le CAPS. Cette situation devrait entraîner des hausses de la délinquance, rendant encore plus fragile l’autorité de l’Etat.

De nouveaux interlocuteurs pour la France

Au vu de la catastrophe politique, économique et sanitaire prédite, le CAPS propose que la France se tourne vers de nouveaux interlocuteurs avec qui coordonner les « efforts de gestion de la crise en Afrique ». Quatre catégories d’acteurs ont à cet effet été identifiées. Il s’agit des autorités religieuses, dont certaines « pourraient vouloir défier l’ordre public pour imposer le leur dans ce moment de faiblesse de l’Etat » ; les diasporas, qui ont « un devoir d’information civique » ; des artistes populaires qui sont « des autorités morales crédibles et façonnent les opinions publiques » ; et enfin les « entrepreneurs économiques et les businessmen néo-libéraux ».

« Anticiper le discrédit des autorités politiques signifie accompagner en urgence l’émergence d’autres formes d’autorités africaines crédibles pour s’adresser aux peuples afin d’affronter les responsabilités de la crise politique qui va naître du choc provoqué par le Covid-19 en Afrique » indiquent les experts du CAPS, visiblement convaincus que la nouvelle pandémie entraînera une véritable révolution politique dans les pays africains.

Analyse froide ou présomption d’incapacité ?

A la lecture de la note, il ressort que le scénario dressé par les experts du Quai d’Orsay ne laisse aucune place à l’optimisme quant à la capacité des Etats du Sahel et d’Afrique centrale à faire face à la crise. L’analyse remet même profondément en cause le sens de responsabilité des dirigeants africains : « L’immanquable détournement de biens publics (à commencer par des masques) et de l’aide sanitaire internationale à venir (déjà dénoncée sous le terme « Covidbusiness ») peut facilement cristalliser l’ultime perte de crédit des dirigeants » affirme le document. Cet avis s’inscrit dans la logique de plusieurs précédents rapports, qui dressent un tableau complètement sombre des systèmes de gouvernance et des politiques publiques africains.

Pourtant, s’il est vrai que de nombreux pays africains sont considérés comme fragiles, sont-ils aussi démunis face à la nouvelle crise ?

Contrairement aux continents européen, américain ou asiatique qui enregistrent des centaines de milliers de cas et de décès, l’Afrique est encore très peu affectée par la pandémie. En plus d’avoir très tôt pris des mesures de restriction pour freiner la propagation du virus, la très forte population de jeunes que comptent les pays africains pourrait favoriser un taux de décès moins important que les autres continents.

Il faut également noter que, même si les données et contextes sont à chaque fois différents, ce n’est pas la première fois que les pays africains, précisément ceux du Sahel et d’Afrique centrale, font face à une épidémie de grande ampleur. Entre 2014 et 2016, les pays ouest-africains, avec l’aide de la communauté internationale, ont démontré une certaine résilience à l’épidémie d’Ebola qui a fait 11 310 morts dans la région. Plus récemment, malgré la crise sécuritaire en RDC, le pays a également réussi à maîtriser la maladie qui a fait au passage 2268 morts.

Au vu de ces éléments, l’espoir reste permis quant à une maîtrise de la pandémie du COVID-19 par les pays africains, soutenus par la communauté internationale. Même si la corruption et la mauvaise gouvernance ont souvent caractérisé de nombreux pays du continent, il convient de reconnaître que les nombreux efforts qui ont été réalisés jusque-là représentent des points positifs en ces temps de crise.

Une chose est sure, les pays dits fragiles et défaillants, selon la note du Quai d’Orsay, ont déjà acquis beaucoup d’expérience en matière de gestion des crises, qu’elles soient politiques ou sanitaires. Considérer que ces expériences peuvent représenter un atout semble pour l’heure, nettement plus judicieux que de tabler sur un scénario aussi sombre que celui dressé par les experts du CAPS.

Moutiou Adjibi Nourou

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1 réflexion au sujet de « Quand une note diplomatique de la France prédit la chute de certains États en Afrique »

  1. FUTURIBLES
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    Ses auteurs la présentent comme la « principale revue de prospective en langue française à caractère pluridisciplinaire, (la revue Futuribles) et qui est capable d’analyser ce qui peut advenir (les futurs possibles) et ce qui peut être fait (les politiques et les stratégies) vis-à-vis des grands défis du futur. »

    Qu’il s’agisse de la réflexion purement intellectuelle comme cette revue qui fut longtemps ma passion ou d’une réflexion à visée opérationnelle et politique, c’est un truisme que de dire qu’aucun état moderne ne devrait et ne peut s’affranchir de cet effort de prospective en vue d’éclairer sa stratégie.

    QUAND LA CHINE S’EVEILLERA ….

    Feu Alain Peyrefitte a été un brillant diplomate qui a prédit de grandes choses sur la Chine.

    En 1973 il annonçait QUAND LA CHINE S’EILLERA, LE MONDE TREMBLERA. Suivi d’autres ouvrages dont « La Chine s’est éveillée: Carnets de route de l’ère Deng Xiaoping ».

    Le premier et célèbre ouvrage n’en était pas moins à l’origine un rapport d’enquête sur l’état de la Chine dans l’été 1971, au beau milieu de la Révolution culturelleune, d’une délégation parlementaire conduite par Peyrefitte alors président de la Commission des Affaires culturelles et sociales de l’Assemblée nationale. 

    C’est donc dans la continuité d’une certaine tradition de la diplomatie mondiale. Qu’elle soit Nippone, Zoulou ou Française.

    Quand on nous dit que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire » on lit au premier degré et on se fâche mais…

    Il nous faut simplement apprendre à lire le monde tel qu’il est et à nous repositionner en nous donnant tous les moyens intellectuels et de gouvernance des Etats surtout pour ne pas être les cobayes du monde. La science en l’état actuel de son développement aura encore besoin de cobayes ! Pourquoi on regarde de notre côté ? Il doit y avoir de bonnes raisons.

    Il ne dépend donc que de nous pour que ce même CAPS écrivent un rapport intitulé « QUAND L’AFRIQUE NOIRE S’EVEILLERA, LA VENGEANCE SERA ILLIMITÉE ».

    En attendant souffrons qu’on soit encore sous le sceau de la prophétie de René DUMONT « L’Afrique noire est MAL partie ».

    Quand Dumont sortait son ouvrage dans les années 60, c’était bien à l’intention des dirigeants africains. Afin qu’ils corrigent le tir. A défaut d’avoir un CAPS, les africains ont créé Le Club de Dakar en 1974. Leur Think Tank. A l’initiative de qui ?
    A l’initiative de M. Mohamed Diawara, alors ministre du Plan de la république de Côte-d’Ivoire, qui assurera pendant longtemps la présidence dudit Club de Dakar.

    La revue FUTURIBLES En son numéro 10 (1977 ?) en rendra largement compte.

    « La raison est Hélène, l’émotion est NEGRE ! »

    La sentence de Senghor est fort prémonitoire. Pouvrons le contraire !

    Au fond la prospective vise à quoi ? Cette belle définition de Jouvenel fondateur de FUTURIBLES me convient :

    « Ni prophétie ni prévision, la prospective n’a pas pour objet de prédire l’avenir — de nous le dévoiler comme s’il s’agissait d’une chose déjà faite — mais de nous aider à le construire. Elle nous invite donc à le considérer comme à faire, à bâtir, plutôt que comme quelque chose qui serait déjà décidé et dont il conviendrait seulement de percer le mystère. De ce point de vue, elle est le fruit d’une véritable révolution de la pensée puisque, aux philosophies d’antan, reposant très largement sur l’idée d’un système autorégulé (ou régulé par Dieu), se perpétuant suivant une logique qui lui était propre (cf. le thème de la « bonne Nature ») et dont l’homme n’était qu’un sujet, s’est substituée une philosophie au sein de laquelle (immense présomption pourraient dire certains) l’homme entend être un acteur, sinon le maître. »

    Si vous dormiez avant le confinement, n’empêchez pas alors les autres de votre préparer un destin-post confinement !

    La praxis est parfois le compagnon de route de la réflexion.

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