«Les chercheurs qui cherchent, on en trouve mais ceux qui trouvent, on en cherche» en Côte d’Ivoire? (Balla Kéita)

En Côte d’Ivoire, BALLA KEITA avait-il tort de dire que « les chercheurs qui cherchent, on en trouve mais ceux qui trouvent, on en cherche » ?

Pr. PRAO YAO SERAPHIN

« Quand le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli »

Pendant qu’il était ministre de l’Education nationale et de la recherche scientifique, feu Balla Keita ne se privait pas de rappeler aux chercheurs ivoiriens que « les chercheurs qui cherchent, on en trouve. Mais les chercheurs qui trouvent, on en cherche ». Le ministre Gnamien Konan, alors ministre de l’enseignement supérieur n’a pas manqué de réveiller le peu d’orgueil qui reste aux chercheurs ivoiriens. Cette pensée du ministre Balla Keita pourrait paraître comme une boutade et pourtant, la réalité commande de lui accorder un profond respect. En effet, la léthargie dans laquelle est plongée la recherche ivoirienne, donne raison à l’ancien ministre de Felix Houphouët Boigny. Il est temps qu’on sorte du regard condescendant que l’on porte sur la recherche africaine. Certains chercheurs pourront déjà dire que point n’est besoin d’emboucher une trompette pour dire ce qu’ils ont découvert. C’est peut-être vrai mais, au regard du retard économique de notre pays, les chercheurs doivent jouer un rôle décisif pour sortir la Côte d’Ivoire de l’ornière dans laquelle elle se trouve. Le 3 avril 2020, l’un des collaborateurs du ministre de l’enseignement supérieur est décédé dans un accident de la route, en partance pour la capitale politique (Yamoussoukro) pour le lancement d’un gel hydroalcoolique fabriqué par l’Institut national polytechnique Houphouët-Boigny (Inphb), dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Dans les autres pays, le gel hydroalcoolique est fabriqué à la maison, par les ménages or, dans notre pays, c’est une découverte. On aperçoit là, l’état de la recherche dans notre pays. En tout cas, pour nous, les chercheurs ivoiriens n’ont encore rien apporté de manière qualitative à la communauté. La thèse que nous défendons ici, est que la recherche est dans un état embryonnaire en Côte d’Ivoire. Pour ce faire, nous faisons d’abord, un bref état des lieux de la recherche dans le pays. Ensuite, nous donnons quelques causes du retard accusé en matière de recherche. Enfin, nous donnons quelques pistes de solutions.

I. La recherche et innovation en Côte d’Ivoire: état des lieux

En Côte d’Ivoire, le bilan de la recherche est très maigre. Selon les classements internationaux, aucune université ivoirienne dans le top 200 des universités africaines. Le seule satisfaction reste le Centre National de Recherche Agronomique de Côte d’Ivoire (CNRA) qui sauve l’honneur en matière de recherche, dans notre pays.

1) Les universités ivoiriennes ne sont pas classées

Selon le QS World University Ranking 2020, un palmarès très réputé portant sur 1 000 meilleures universités au monde, les établissements américains et anglo-saxons sont encore en tête. Le Massachusetts Institute of Technology (MIT), l’Université de Stanford et l’Université de Harvard sont les trois premières universités mondiales, tandis que l’Université d’Oxford continue d’être la meilleure université du Royaume (4ème rang). C’est un rêve de voir nos universités faire partie de ce classement un jour, mais, pour l’heure revenons au classement africain. En Afrique, selon le classement des 100 meilleures universités proposé par Forbes, en Mars 2020, les sept (7) premières sont sud-africaines. L’université de Keyna occupe la huitième (8e) place, l’université catholique de l’Angola, la quatorzième place (14e), l’Université d’Ibadan (Nigeria), la quinzième (15e), l’Université du Ghana, vingt-neuvième (29e) et l’université de Yaoundé I, quatre-vingt-seizième (96e). Sur les 100 universités classées, aucune université ivoirienne. Dans notre pays, la liste des universités en Côte d’Ivoire devrait se rallonger au fil des années, notamment avec la réalisation en cours de l’établissement universitaire de la ville de Bondoukou. Mais à ce jour, aucun établissement universitaire ivoirien, public comme privé, n’est cité dans le top 100 des meilleures écoles d’enseignement supérieur en Afrique. On peut donc dire que le pays accuse un gigantesque retard au niveau de l’enseignement supérieur. Sachant que le recensement des publications scientifiques d’une université, par faculté et par domaine de savoir, compte au nombre des critères des différents classements, il est possible de dire que la recherche est pauvre en Côte d’Ivoire.

2) Malgré le pauvre bilan, le CNRA sauve l’honneur

Mais dans ce désert intellectuel, reconnaissons tout de même les mérites du Centre National de Recherche Agronomique de Côte d’Ivoire (CNRA). En effet, le CNRA a développé 80 variétés résistantes de cultures vivrières et ressources halieutiques, notamment le manioc, avec 30 tonnes à l’hectare par an et le tilapia venu du Brésil. En outre, 50 nouvelles variétés de cultures de rente ont été développées, notamment le cacao Mercédès qui produit à partir de 18 mois et donne 3 tonnes à l’hectare par an. Le café émergence est en expérimentation. Le CNRA produit aussi des liqueurs de café, cacao et gingembre.

En dehors de CNRA, tous les autres centres de recherche ne produisent rien d’extraordinaire. On note que, dans le souci de contribuer à la lutte contre la propagation du Covid-19, des chercheurs de l’Institut national polytechnique Houphouët-Boigny (Inp-Hb) de Yamoussoukro ont mis au point deux désinfectants: « une solution hydro-alcoolique et un gel hydro-alcoolique ». A l’université de Cocody, une équipe de chercheurs a mis au point un gel bio (à base de plante) dénommé NATURE CLEAN, qui élimine à 99,99% les bactéries et les virus. L’université Anta Diop de Dakar (Sénégal), a également fabriqué un gel hydroalcoolique pour venir en aide aux populations. En France, face à une demande de gels et solutions hydroalcooliques qui explose, les étudiants en pharmacie de l’université Rennes 1, produisent dans leurs salles de travaux pratiques, ces gels pour approvisionner l’ensemble de la Bretagne. C’est donc dire que la fabrication d’un gel n’est pas une révolution copernicienne. D’ailleurs, l’organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en ligne un document, baptisé « Guide de production locale », destiné aux professionnels de santé et pharmaciens, pour qu’ils puissent fabriquer ces gels. La formule conseillée est la suivante: pour un litre, mélangez 833, 3 ml d’éthanol (alcool à 90°), 14, 5 ml de glycérol (ou glycérine) et 41, 7 ml de peroxyde d’hydrogène (eau oxygénée). Il faut y ajouter de l’eau bouillie refroidie pour atteindre un litre. Les flacons remplis ne doivent pas être utilisés pendant les trois jours qui suivent. Si nous sommes accord pour reconnaître l’indigence de la recherche en Côte d’Ivoire, alors on doit cerner les causes.

II. La recherche et innovation en Côte d’Ivoire: les causes du retard

Pour arriver à classer les universités, 13 indicateurs sont utilisés et ils sont regroupés en cinq catégories. En premier et à parts égales, le cadre de travail (30%), le nombre et la portée des recherches (30%) et l’influence de ces recherches (30%) sont pondérés. Puis viennent la renommée à l’international des professeurs (7,5%), les étudiants et les chercheurs et les connexions avec les entreprises (2,5%). En ce qui concerne la méthodologie du classement QS, elle prend en compte les cinq (5) critères suivants. Le premier est la réputation académique : elle compte pour 40%. Ce critère rassemble les opinions de 94 000 experts à travers le monde en ce qui concerne la qualité de l’enseignement et de la recherche. C’est tout simplement l’une des plus grandes enquête d’opinion au monde. Le second est la réputation de l’employeur : il s’agit d’un sondage basé sur 45 000 réponses auprès des employeurs permettant d’identifier les établissements auprès desquels ils recrutent le plus. C’est l’une des enquêtes d’emploi les plus importante au monde. Le troisième est le ratio professeur/étudiant : il représente 20% de la note finale de l’établissement. Il s’agit de déterminer dans quelle mesure les universités offrent un large éventail de professeurs. Cet élément est essentiel pour la qualité de l’enseignement. Le quatrième concerne les citations par Faculté : il s’agit du recensement des publications scientifiques d’une université, par faculté et par domaine de savoir. Le nombre de points attribués tient compte de la discipline : par exemple un article en anatomie médicale a plus de poids qu’un autre article sur la poésie. Ce système de pondération permet d’évaluer à sa juste valeur l’excellence scientifique d’un établissement. Le cinquième est le ratio international professeur/étudiants internationaux : ce critère rentre pour 5% dans la note finale attribuée à l’université. Il prend en compte la présence d’étudiants internationaux dans un établissement ainsi que les programmes d’échanges et les partenariats prévus.

Après la présentation de ces critères, nous pouvons classer les causes à deux catégories: les causes externes et les causes internes aux chercheurs.

1) Le retard de la recherche en Côte d’Ivoire: les causes externes

Au niveau des causes externes, il est possible de citer le manqué de financement de la recherche par l’Etat, des enseignants mal payés, des infrastructures universitaires déficientes. Joël de Rosnay avait vu juste lorsqu’il écrivait que « L’éducation est au centre de toutes les stratégies de construction de l’avenir. C’est un enjeu mondial, un des grands défis du troisième millénaire ». En effet, aucun pays ne peut maintenir de façon pérenne une croissance sans innovation. Mais l’innovation doit être financée et il revient à l’Etat de donner l’exemple. A l’indépendance, le premier président Félix Houphouët-Boigny, a consacré 40% du budget sur la formation et la santé. Aujourd’hui, la formation et la santé sont devenues les postes délaissés dans le budget de l’Etat. Les dépenses publiques dans le secteur de l’éducation (% du PIB) sont passées de 5,87% en 1970 à 8,23% en 1980 et à 4,37% en 2017, selon Perspective monde. En moyenne, au niveau mondial, les pays consacrent 2,21% du PIB en 2017, alors que la Côte d’Ivoire alloue 0,10% de sa richesse nationale à la recherche. La conséquence est que les laboratoires de bonne qualité technique pour une recherche appropriée et performante sont rares. Selon l’Unesco, le pays enregistre 69 chercheurs par millions d’habitant don’t 84% d’hommes et 17% de femmes, contre près de 3 400 par million dans les pays développés. A partir de ces chiffres, on constate que le pays ne finance pratiquement pas la recherche dans notre pays. Non seulement le pays ne finance pas la recherche mais également, les chercheurs sont mal payés. Les salaires des enseignants d’universités vont de 600.000 à 1, 25 million de francs CFA (900 à 1.900 euros) selon l’ancienneté et le grade. Ces salaires relativement faibles ne se justifient pas lorsqu’on sait l’investissement en temps et en énergie que demandent la recherche, l’enseignement et le travail administratif.

En dehors des conditions salariales des enseignants, les infrastructures universitaires font défaut. Il s’agit des bâtiments, des équipements et laboratoires et des infrastructures d’aménagement du campus. Le fonctionnement d’une université nécessite des amphithéâtres suffisants pour accueillir les étudiants, des salles de conférence, des salles informatiques, et des bureaux pour les enseignants. Du côté des bibliothèques, l’Etat ne fait rien pour que les étudiants mènent leurs recherches dans de bonnes conditions. A part les fascicules des enseignants, les étudiants manquent de ressources documentaires. Notons également, les conditions de vie des étudiants. Sous Félix Houphouët-Boigny, les étudiants étaient mieux traités. Les restaurants fonctionnaient parfaitement. Ils avaient la bourse, des conditions de transport acceptables, la précarité était limitée. On aurait sans doute pu arrêter la recherche des causes à ce stade, sans soulever de grandes objections tant paraît évidente l’idée d’une corrélation entre les faiblesses de l’Etat et la pauvreté de la recherche. Mais il y a pourtant des causes internes au monde universitaire.

2) Le retard de la recherche en Côte d’Ivoire: les causes internes

Au niveau des causes internes, nous pouvons citer le recrutement des enseignants-chercheurs, la paresse intellectuelle des enseignants et l’inadéquation des formations dispenses. Concernant le recrutement des enseignants, il existe une sorte d’opacité et de mystère autour des conditions de recrutement. Ce ne sont pas toujours les meilleurs candidats qui sont recrutés dans nos universités. En effet, plusieurs étapes sont nécessaires à la production d’enseignants dotés des minimums requis i) sélection de candidats à l’enseignement ; ii) démarche assurant leur maîtrise des matières/contenus à enseigner ; iii) formation à l’application pratique de ces connaissances dans l’enseignement. Dans les universités réputées, on ne recrute pas ses amis ou ses connaissances, mais des candidats ayant un parcours intéressant. La sociologue Stéphanie Grousset-Charrière qui a travaillé à Harvard, comme lectrice entre 2004 et 2008, donne une idée d’un recrutement sérieux: “Ma candidature a été retenue après quatre entretiens d’embauche de plus d’une demi-heure chacun, avec la directrice du département puis trois professeurs”. En Côte d’Ivoire, les universités choisissent parfois des candidats qui n’ont pas été retenus par le jury de recrutement. Pour ce qui est de la paresse intellectuelle des enseignants, on note dans notre pays, des enseignants qui vont à la retraite sans avoir écrit un seul article académique. Et pourtant, ils sont recrutés en tant qu’enseignant-chercheur. Le seul article que ces enseignants peuvent se vanter de produire n’est rien d’autres que leurs fascicules qu’ils vendent à des prix exorbitants aux étudiants. Mieux, ce qui reste encore frappant, c’est l’inadéquation entre les formations et les besoins des entreprises. On continue de former des millions d’étudiants dans des filières dépassées. Notons enfin, que le retard du pays en matière de recherche pourrait s’expliquer également par l’adhésion tardive du système LMD adopté depuis de nombreuses années par tous les établissements d’enseignement supérieur d’excellence au monde. C’est en 2013 que les autorités ivoiriennes ont adopté le système LMD pour toutes les universités publiques et privées du pays.

III. La recherche et innovation en Côte d’Ivoire: les solutions à apporter

Henry Rosovsky a résumé les raisons qui expliqueraient le succès des universités américaines : la richesse des États-Unis, leur démographie, leur tradition philanthropique, leur politique d’immigration qui, tout de suite avant et après la Seconde Guerre mondiale, a accueilli et choyé un grand nombre d’étrangers éminents, y compris des Européens qui fuyaient leur pays d’origine. Il mentionne aussi la politique de recrutement des étudiants et des professeurs – férocement concurrentielle – et la structure juridique qui rend les présidents et doyens d’université responsables devant un conseil d’administration. Pour adapter les solutions à la Côte d’Ivoire, nous attendons l’apport des pouvoirs et l’organisation interne des universités.

1) La refondation de la recherche en Côte d’Ivoire: l’apport des pouvoirs publics

La première solution vient des autorités publiques. La recherche est une affaire de moyens colossaux car la capacité à publier des recherches dans les meilleures revues scientifiques nécessite des investissements financiers et humains que de nombreuses écoles du pays, privées ou non, ne peuvent s’offrir. En Côte d’Ivoire, 77,7% de la population ivoirienne a moins de 35 ans, ce qui peut constituer un poids de responsabilité, mais est aussi une perspective extraordinaire pour le pays, si cette jeunesse est bien formée. Dans les années 1960, la Corée du Sud et la Côte d’Ivoire étaient au même niveau de développement. Aujourd’hui, la Corée du Sud est une puissance économique tandis que la Côte d’Ivoire est dans le sous-développement. Un atout majeur de la Corée du Sud réside dans l’importance de l’effort de recherche-développement. La Corée du Sud est au premier rang mondial en termes de dépenses dans la recherche et développement (R&D) comparativement à son produit intérieur brut (PIB), selon les données de l’Institut coréen pour l’évaluation et la planification des sciences et des technologies (KISTEP). Selon le KISTEP, le ratio de la Corée du Sud a atteint 4,55% en 2017, légèrement supérieur à celui de 4,54% d’Israël, citant des données récentes de l’OCDE.

Une autre solution qui vient de l’Etat est le recrutement des enseignants. En effet, le recrutement est une étape importante à la sélection d’enseignants au profil souhaité selon un référentiel de métier. Le recrutement doit demeurer une démarche d’adaptation entre les besoins et l’offre. C’est un processus par lequel on attire et sélectionne des candidats potentiels à un poste de travail au sein d’une entreprise ou d’une organisation. Affecter une personne sur un poste sous-entend théoriquement une adéquation entre le profil du poste et les compétences de la personne qui va l’occuper. La première étape consiste naturellement à détecter les besoins. Une fois les besoins identifiés, les gestionnaires doivent, dans un deuxième temps, déterminer les profils. Il s’agit d’identifier les compétences, expériences, connaissances et savoirs requis pour les postes à pourvoir. C’est la seconde étape du recrutement. Ainsi, au niveau de la sélection, qui constitue la troisième étape, le plus commode face à un recrutement massif est le concours sur contenu afin de s’assurer du niveau de connaissances des candidats. On peut également continuer avec la monture actuelle des jurys de sélection mais l’Etat doit avoir un représentant pour s’assurer que les sélectionnés des jurys sont effectivement ceux qui sont recrutés.

Une proposition qui pourrait venir de l’Etat est la création de deux ministères dédiés à l’enseignement supérieur et la recherche scientifique et l’innovation. La Côte d’Ivoire doit créer un ministère de l’enseignement supérieur pour gérer les enseignants d’université et un ministère de la recherche scientifique et de l’innovation pour stimuler et coordonner la recherche et l’innovation dans notre pays. Les primes de recherche versées aux enseignants chercheurs seront désormais liées aux articles publiés. A la fin de chaque année, le ministère de la recherche scientifique et de l’innovation fera le point des recherches de chaque enseignant. Celui qui n’aura pas au moins deux (2) articles dans une revue à comité de lecture verra sa prime de recherché suspendue. Une seule publication dans une revue classée suffira pour renouveler la prime de recherché. L’enseignant bénéficiera de ses primes après régularisation de sa situation.

Enfin, l’Etat doit continuer sa politique actuelle de récompense des meilleurs enseignants et étudiants du pays. Il doit également valoriser toutes les innovations dans tous les secteurs de l’économie.

2) La refondation de la recherche en Côte d’Ivoire: l’organisation interne des chercheurs

Pour ce qui est de l’implication des universités dans la refondation de la recherche en Côte d’Ivoire, il faut d’abord insister sur la formation des nouvelles recrues. Avant même le recrutement, il faudra revoir la conduite des travaux de recherche des doctorants. En Côte d’Ivoire, dans nos universités, vous ne trouverez aucun bâtiment abritant une école doctorale et pourtant, chaque année, le pays forme des quantités industrielles de docteurs. On peut s’interroger sur la qualité des recherches dans une telle situation. Après donc le recrutement des nouveaux enseignants-chercheurs, il faudra encadrer ces nouvelles recrues car l’expérience ne s’invente pas, elle s’acquiert. A Harvard, on ne forme pas que les étudiants, on forme aussi leurs enseignants, les façonnant à l’image qu’ils se doivent de dégager. L’enseignant doit être bien habillé, souriant, avenant, et montrer l’exemple. Ponctualité, amabilité, serviabilité, compréhension, efficacité, disponibilité, compétences, performance, rigueur sont autant de qualités attribuées au personnage de l’enseignant. Pour Stéphanie Grousset-Charrière, le cursus démarre par une pré-rentrée d’une semaine d’accueil et de formation intensive des nouveaux enseignants. Le premier cours est filmé et analysé: « On nous apprend à habiter l’espace, à nous mettre devant le bureau, à balayer du regard l’ensemble de la classe. » Pendant un semestre, les enseignants débutants suivent des formations aux sciences de l’éducation. Comment faire des cours interactifs, se présenter, susciter des questions, comment utiliser des documents et des supports informatiques. « Les cours doivent plaire. Il ne faut pas que les élèves s’ennuient et nous devons toujours nous interroger: comment sera reçu mon cours? », confie toujours Stéphanie Grousset-Charrière. Ensuite, il faudra que les enseignants et les étudiants s’engagent pour une réussite commune. Toujours à Harvard, chaque enseignant doit connaître tous ses étudiants par leur prénom afin de les aider à définir un projet professionnel commun. D’ailleurs, dans cette université, professeurs et étudiants s’évaluent mutuellement. En outre, il faudra créer des passerelles entre nos universités et le monde professionel. Entre l’université et les entreprises, ce fut longtemps le grand malentendu. En cause dans ce déficit de collaboration, la rivalité ancestrale entre les grandes écoles et les universités. Les patrons et les directeurs de ressources humaines, issus de ces écoles, embauchant plus volontiers leurs jeunes diplômés. Les enseignants étant considérés comme éloignés des réalités du monde professionnel. Mais les choses doivent changer. En Allemagne et aux Etats-Unis, les liens entre les deux mondes sont très forts. Il faut une proximité des enseignants avec le milieu économique. A Harvard, les cours sont dispensés par des professeurs très au fait des affaires, par ailleurs souvent consultants en entreprise. Ces enseignants présentent évidemment à leurs élèves des études de cas réels. Il faudra de plus en plus, que les chefs d’entreprise infiltrent les amphis, afin d’intervenir comme experts dans certaines formations, participent à l’élaboration de contenus. Avec une telle collaboration, on arrive facilement à trouver une meilleure adéquation entre la formation des étudiants et les besoins de l’économie et des entreprises. Le partenariat entre université et entreprises consiste donc à adapter l’enseignement aux besoins d’une économie en voie d’industrialisation. Les universités pensent parfois qu’elles doivent se consacrer à leurs tâches traditionnelles d’étude et de recherche et qu’on ne peut pas leur demander de tout faire. Mais pour pouvoir réaliser un équilibre convenable entre formation universitaire et formation professionnelle, il faut qu’elles entreprennent et entretiennent le dialogue avec les entreprises qui utilisent leurs services et leurs diplômés. Enfin, les enseignants-chercheurs doivent consacrer 60 à 70% de leur temps à la recherche. Un enseignant-chercheur doit avant tout assurer ses cours mais il doit également faire de la recherche. D’ailleurs sa carrière dépend de la recherche, du nombre et de la qualité de ses publications scientifiques.

En définitive, que pouvons-nous retenir de cette réflexion? Le bilan de la recherche en Côte d’Ivoire est très maigre et les raisons diverses. On peut citer le faible financement de la recherche et le manque de vision des autorités en matière de recherche et développement. Pour éviter un décrochage scientifique, dont les conséquences économiques et stratégiques sur le long terme seraient graves, il faut réagir et investir massivement dans la recherche et l’innovation. En effet, l’implication d’une nation se mesure tout d’abord à l’intensité et à l’efficacité de son investissement. Mais les causes sont aussi endogènes à nos universités. Les recrutements dans les masters et écoles doctorales se font de façon fantaisistes et cavalières. Bien plus, certains enseignants-chercheurs reçoivent des primes de recherche sans les mériter. Pour finir, je retiens une seule chose: En Côte d’Ivoire, les chercheurs se cherchent mais la recherche cherche des chercheurs.

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1 réflexion au sujet de « «Les chercheurs qui cherchent, on en trouve mais ceux qui trouvent, on en cherche» en Côte d’Ivoire? (Balla Kéita) »

  1. EN FORME DE MEA CULPA
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    Une bonne analyse. Un document de travail qui permet d’ouvrir le débat scientifique qui est hélas de plus en plus rare chez nous. Tout le monde est devenu frileux.

    La boutade “ Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Des chercheurs qui trouvent, on en cherche.” serait à attribuer au Général de Gaulle à propos du CNRS en 1965 qui estimait à juste raison à une certaine époque « Trop de chercheurs font carrière dans la recherche, même s’ils ne découvrent rien… ».

    Pour un débat transparent, il faudrait impliquer « Le camarade » Johnson Zamina Kouassi, secrétaire général et porte-parole de la Coordination nationale des enseignants-chercheurs (Cnec), qui a pris me système en « otage ».

    Il faudrait également que le gouvernement clarifie sa position sur les véritables interlocuteurs de ces questions au niveau étatique. En effet on pourrait tenir mille États Généraux de La Recherche et de l’innovation en Côte d’Ivoire sans que l’iceberg ne bouge.

    Le prochain Ministre en charge de ces questions devra dès les 100 premiers sortir un Roadmap consensuel sur l’avenir de la Recherche en Côte D’Ivoire et dont le suivi er l’évaluation seront des mesures d’accompagnement indispensables.

    Il devra essentiellement avoir cette feuille de route comme boussole et non le nombre de cellules politiques de so
    Parti implantées dans les campements du pays.

    C’est pourquoi même si Dr PRAO (Qui a dit que j’attaque toujours ses positions ? Berenger oû es tu ?) ne prend pas en compte cette dimension, j’y tiens. Le tout n’est pas de créer un ministère dédié à la Recherche et à l’innovation comme au Cameroun oû au Nigeria. Il ne faudrait surtout pas que ce soit une annexe pour loger le trop plein de clientèle politique. Autrement ce serait un important rendez vous manqué.

    Bravo Dr PRAO ce n’est pas souvent qu’on entend les enseignants faire de l’autocritique !

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