Côte-d’Ivoire: Le Fantôme

LE FANTÔME. L’aiguille du tic-tac rassurant des activités gouvernementales s’est arrêtée cette semaine. « Il n’y aura ni conseil de gouvernement ni conseil des ministres en Côte d’Ivoire cette semaine (du 1er au 6 juin 2020) », tweete Nnenna Nwakanma, ex-directrice par intérim, pour le compte des Nations-Unies, des politiques pour la World Wide Web Fondation.

L’information de cette semaine blanche n’est nullement anodine. Elle traduit, alors que le chef de l’État et les membres du gouvernement ne sont pas en vacances, le profond embarras qui traverse l’État.

En effet, tous les plans rondement montés, qui ont fait croire que « tout était calé, géré et bouclé » au point que se serait « un coup Ko au premier tour de la présidentielle », sont en train de s’effondrer comme château de cartes.

Les événements en cours de téléchargement montrent que rien n’est plié. D’un, le candidat à la présidentielle du parti majoritaire donne des signes de sa probable disqualification pour raison de santé. Mais, ce ne sera qu’un accident de parcours que surmonteront Ouattara et le RHDP pour désigner un autre candidat.
De deux, et c’est le sujet le plus épineux, Laurent Gbagbo (photo) et Charles Blé Goudé sont entrés en possession de leur passeport le 28 mai 2020. Après huit ans et cinq ans de séjour carcéral au quartier pénitentiaire de Scheveningen, à La Haye, respectivement pour le premier et le second, et trois ans de procès à la CPI, ils sont libres et de leurs paroles et de leurs mouvements. C’est un tsunami.

De leurs positions, tous les détracteurs et adversaires de l’ancien président de la République sont bouche bée et assommés. Après l’hystérique Gbagbo-bashing le présentant comme « l’infréquentable », le « Slobodan Milosevic » ivoirien et le « Hitler noir », ils avaient tous parié sur la prison à vie de Gbagbo; ce d’autant que certains soutenaient que « la CPI était un billet aller » pour lui.

Tous n’ont plus que leurs yeux grand ouverts, non pour pleurer, mais réaliser l’impensable. Combattu frénétiquement par la communauté dite internationale et ses suppôts africains, qui ont mis sa tête à prix, Laurent Gbagbo réussit, comme le saumon, à remonter le courant contraire, en échappant aux ours et autres prédateurs.

Et comme le phénix, il renaît de ses cendres, sous leurs yeux. Car tous savent que la procédure d’appel introduite par la procureure de la Cour, Fatou Bensouda, n’est qu’un artifice, une mesure cosmétique pour « gérer leur honte ».

« Tout un pays attend désormais le retour de Laurent Gbagbo », a tweeté la journaliste française Geneviève Göetzinger. Et quand, dans des propos lourds de significations, cette directrice déléguée (2008-2012) de Radio France internationale (RFI, officine de propagande anti-Gbagbo), ajoute que « ce n’est que justice; la roue de l’histoire tourne », elle met les pieds dans le plat du complot international éventé.

Et voici l’opposant historique à Félix Houphouët-Boigny devenu l’os dans la gorge d’Alassane Ouattara. Il est même devenu son fantôme. Et un vent de désarroi et de déstabilisation psychologique et politique souffle sur les toits de la maison du parti majoritaire.

« Si par mégarde et de façon accidentelle, le FPI revient au pouvoir, ça en est fini pour la famille houphouétiste. Que Dieu nous en garde sinon nous nous retrouverons, à vie, en exil avec nos femmes, enfants et petits-enfants », mettait en garde Amadou Soumahoro, alors président du directoire du RHDP, pour appeler à la mobilisation de l’alliance politique.

Cette inquiétude n’est plus une vue de l’esprit dans la perspective de la présidentielle du 31 octobre 2020. Le mur des houphouétistes s’est fissuré avec le départ de Konan Bédié qui fait les yeux doux à Gbagbo avec lequel il a conclu un pacte.
Réhabilité, l’animal politique, hier transféré précipitamment comme un criminel de guerre, va rentrer, tôt ou tard, dans son pays. Par la grande porte et blanc comme neige. Car, dans la parabole des méchants vignerons, « c’est la pierre que les bâtisseurs avaient rejetée qui est devenue la principale de l’angle », (Matthieu 21, 42).

F. M. Bally

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4 réflexions au sujet de “Côte-d’Ivoire: Le Fantôme”

  1. PERTES ET PROFITS…

    3000 morts…sans raison ou…d’une crise sans responsable…

    Des poursuites…d’un seul camp…à la recherche d’un plan commun sans trace écrite et en évitant…les vainqueurs…comme pour mieux obtenir…l’impunité des décideurs de la crise…

    Un acquittement en première instance qu’on voudrait comme…un non-lieu…Une présomption d’innocence transformée…en innocence pure et simple…Une responsabilité passée à la trappe…Des morts ayant décidé de se faire tuer pour…le plaisir…

    Pauvre Côte d’Ivoire…qui n’est pas encore sorti de l’ornière…

  2. Oui, 3000 morts officiels, certainement pas morts de rire, dans le cadre d’une guerre asymétrique menée, elle, dans le cadre d’un conflit multilatéral (OUF !). L’armée régulière sous la conduite de Gbagbo, l’armée de l’ombre des résistants appelés « miliciens », l’armée internationale coalisée sous les couleurs onusiennes, l’armée française disant agir sous mandat onusien, l’armée rebelle rebaptisée au pied levé Forces Républicaines de Côte d’Ivoire sous le commandement du président non-investi Alassane Ouattara, la seconde armée de l’ombre de résistants sous le commandement de Ibrahim Coulibaly,… et j’en oublie certainement. Toute cette belle ménagerie lancée les uns contre les autres avec les civils au milieu, n’aura fait que 3000 morts. Admettons.

    3 responsables d’un seul des camps belligérants ont été désignés au pif par le fringuant et sémillant Ocampo (avant enquête) et les nouvelles autorités en ont livré 2. Au terme d’un marathon judiciaire de plusieurs années, ladite justice a conclu à leur innocence. Innocence qui blanchit du coup tout leur camp. Or, il y a bien eu 3000 morts, on n’a pas rêvé ni inventé, il se susurre même que le nombre réel des victimes atteindrait les 16 mille. Alors, peut-être serait-il opportun de se poser la question intelligente de savoir si ceux désignés ne sont pas coupables, qui donc l’est ? Forcément les coupables se trouvent dans l’un des nombreux autres camps cités plus haut, ça tombe sous le sens.

  3. HISTOIRE DE CAMPS…

    Les morts n’étant pas d’un seul camp…ils n’ont pu être tués par seulement les autres…camps…et les camps qui se sont affrontés…ont tous voulu s’imposer par la force…au mépris des vies humaines…

    Ils sont tous…responsables de ces crimes…quelque soit le camp et doivent tous être jugés…si justice doit être rendue…

    Personne ne doit s’exonérer de responsabilité…au nom d’un camp…au risque de se croire permis de tuer des civils…en sachant juste s’y prendre…

    Non à l’impunité…organisée…

  4. @Koffi Maurice,
    Oui, forcément, les coupables viennent de tous les camps, dans une guerre civile qui se fichait bien des conventions de Genève et de Vienne. La thèse officielle de meurtriers issus d’un seul et unique camp a vécu, et elle défie le bons sens. Comment durant une guerre, seuls ceux qui tuaient auraient pu être au final défaits ? Une première mondiale ! L’armée française qui largue 2 missiles sur le camp – habité – d’Akouédo dont l’onde de choc de l’explosion a ébranlé des murs, plinthes et toitures jusqu’aux 2 Plateaux, les Mi 24 des forces onusiennes qui ont méné des raids dans une ville peuplée à l’époque de 5 millions d’habitants,… pour ne citer que ces 2, ne peuvent n’avoir tué personne.

    Justice pour tous ? Allons… mon ami, ne rêvons pas : ce monde n’est pas fait ainsi. En revanche, la cristallisation de l’injustice patente dans la mémoire de ceux qui en ont été victimes est le fait le plus inquiétant. Elle nourrit la rancœur (que certains confondent opportunément à la haine), et ouvre le champ des pires possibilités pour l’avenir. C’est ce qui est le plus à craindre et devrait faire réfléchir le Pouvoir actuel sur son échec. Lui qui a cru et continue de croire béatement que les réalisations matérielles suffisent recoudre un tissu social en lambeaux. Conviction qui lui permet de continuer à creuser le fossé de la cohésion par ses actes du quotidien avec cette défense stupide : on construit routes, ponts, bâtiments, etc. Houphouët l’avait fait, avec plus de succès du reste. Cela a-t-il empêché les Ivoiriens de se jeter les uns contre les autres 10 années durant ? Le niveau de développement infrastructurel des Etats-Unis empêche t-il sa population d’être présente dans la rue actuellement ? Où en est la Libye en dépit de l’incroyable développement infrastructurel opéré par Kadhafi ?

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