Côte d’Ivoire: Soro Guillaume, une aubaine pour l’opposition ? (Première partie)

Depuis qu’il a décidé de rompre avec le régime RHDP pour voler de ses propres ailes, le leader générationnel comme se plaît à l’appeler Franklin Nyamsi en raison de son courage historique face aux atermoiements de ses aînés, est devenu l’ennemi public numéro un aux yeux de ses amis d’hier.

Hier, adulé et encensé avec tous les qualificatifs possibles de héros et de sauveur, Soro Guillaume est vu aujourd’hui par ses adorateurs d’hier comme un individu dangereux et indigne d’avoir des ambitions présidentielles. Sur les réseaux sociaux et dans les journaux proches du pouvoir, il ne se passe pas de jour sans que Soro Guillaume soit cloué au pilori avec pour but de déconstruire méticuleusement son image dans l’espoir de le voir être vomi par l’opinion publique. Pourtant, cette entreprise de déconstruction ne semble pas atteindre ses objectifs au regard des adhésions toujours croissantes au GPS (Générations et peuples solidaires) qu’il a mis en place dans la perspective des élections à venir. Elle pourrait servir d’élément stimulateur dans la stratégie de l’opposition pour la conquête du pouvoir. Cette contribution ambitionne d’en trouver les justifications.

Les persécutions de l’angoissé ou manuel pour se fabriquer un épouvantail Soro Guillaume et son ombre ubique

Nul n’ignore que Soro Guillaume, jeune étudiant de 30 ans à l’époque, a dirigé une rébellion armée de 2002 à l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara en 2011. En ce moment, il était le chouchou de tous ceux qui le clouent au pilori actuellement. Il leur permettait d’avoir une existence politique de premier plan. Son courage et son sacrifice ont changé l’histoire de la Côte d’Ivoire et le destin d’Alassane Ouattara qui, autrement, aurait sombré dans l’oubli puisqu’il n’aurait jamais réussi à se présenter à une élection.

Aujourd’hui, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Le pouvoir a aiguisé des appétits et grisé pratiquement tous ceux qui semblaient entretenir à son égard la vénération du héros. Le héros demeurait le héros tant qu’il se contentait des responsabilités de seconde zone peut-on dire et ne lorgnait pas vers le fauteuil présidentiel. Mais, Soro Guillaume ne s’est pas contenté d’être premier ministre et président de l’Assemblée Nationale, là où on limitait ses ambitions politiques de jeune homme, dans une conception anachronique de la démocratie. Il a commis un crime de lèse-majesté : s’organiser politiquement en vue de se porter candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2020. La machine politique broyeuse d’ambitions se met alors en branle contre lui.

Curieusement, on se rappelle son passé de rebelle qui nous profite pourtant pour trôner sur les nuages. Pourtant, on accepte sans gêne de continuer de bénéficier des retombées politiques de ce passé jugé aujourd’hui peu glorieux. Le raisonnement syllogistique pourrait même ne pas limiter les rebelles aux seuls visages connus des Forces nouvelles. Alors qu’il n’est pas, dit-on, le seul officiel ivoirien à être trempé dans le coup d’Etat manqué du général Diendéré au Burkina Faso, on pousse le cynisme à en faire le porte-étendard nauséeux : le seul dont les échanges se retrouvent sur la place publique. L’aubaine pour le déconstruire politiquement se trouve là alors qu’est passé sous silence le fait que certaines autres personnes auraient fourni du matériel militaire et de l’argent aux putschistes burkinabé.

Il semblerait, avec le recul, que le fait d’éventer les communications de Soro Guillaume avec le Général Djibril Bassolé fait partie du puzzle qui se mettait en place pour une attaque ad hominem de grande ampleur avant de le faire descendre de son piédestal parlementaire. L’image de fauteur de troubles invétéré en poche, tout devient possible pour ses détracteurs pour descendre ce jeune homme trop prétentieux qui ne sait pas attendre la soixantaine avant d’avoir des ambitions présidentielles : la Côte d’Ivoire n’est pas la France où Emmanuel Macron est devenu président de la République à l’âge de 40 ans. Avec méthode, on va rendre ses soutiens gênés de le soutenir : qui aurait le courage de revendiquer publiquement sa proximité avec un putschiste invétéré ?

En 2016, des ivoiriens protestent contre la hausse des factures d’électricité. Des casses ont lieu à Bouaké, ancien fief de la rébellion. Soro Guillaume est accusé à mots couverts. Qu’on se rappelle ces propos tendancieux d’un ministre qui évoquait à l’égard de ces événements des manipulations politiciennes. Des mutineries éclatent en 2017. Là encore, Soro Guillaume est pointé du doigt sans être ouvertement nommé. Son chef du protocole est arrêté puis libéré quelques mois après sans jugement alors que les faits qui lui étaient reprochés sont d’une gravité extrême. L’on parlera même d’actes téléguidés par des mains obscures et des individus aux intentions inavouées (Déclaration du RHDP en août 2017).

Au moindre petit vent qui souffle, l’on voit l’ombre de Soro Guillaume avec des lunettes de vue extra-sensorielle. Pourtant, en matière de renversement des institutions, des paradigmes existent attestés par la littérature spécialisée. Il est connu : des révolutions sociales ayant pour but le renversement des institutions ou des manœuvres putschistes déguisées en soubresauts militaires ou civils ne s’estompent jamais contre des mesures sociales garantissant un mieux-être des personnes qui conduisent ces mouvements, qui des facilités pour payer ses factures, qui 12 millions pour s’offrir une villa.

Ces révolutions colorées et ces mouvements insurrectionnels ont pour objectif la prise du pouvoir et ne se détournent jamais de cet objectif ou ne s’estompent jamais tant que l’objectif n’est pas atteint. Le Président Bédié en sait quelque chose. Kadhafi et Blaise Compaoré en savent aussi quelque chose. Mais, dans le contexte ivoirien de ces neuf dernières années, cette logique n’a pas été respectée. Qu’à cela ne tienne, l’adage qui dit qu’il n’y a pas de fumée sans feu requiert de rechercher celui qui a rassemblé le bois de chauffe pour faire le feu.

Soro Guillaume, le danger à éliminer à tout prix

Toutes ces manœuvres procèdent de la théorie de la fabrication de l’ennemi de sorte que l’opinion publique n’ait d’autre choix que d’accréditer la thèse officielle ou la thèse officieusement ventilée par les canaux de la rumeur. Elles participent aussi de l’amplification sociale de l’image d’anti-modèle que ses détracteurs voudraient coller à Soro Guillaume pour limiter ou contenir les adhésions à son combat et à ses ambitions politiques.

Quand l’hyène veut manger son petit, elle l’accuse de sentir la chair. Soro Guillaume a commis le crime de revendiquer le même électorat que le RHDP et de viser le poste de président de la République réservé à la caste de ceux qui ne se salissent jamais les mains dans de sales besognes réservées aux coursiers. Or, la logique de ce parti est connu : conserver le pouvoir le plus longtemps possible, pendant cinquante ans comme l’ont signifié son président et certains de ses cadres : « Nous n’avons pas fait ce que nous avons fait et subi ce que avons subi tout le long du chemin périlleux et plein d’embûches qui conduit au pouvoir d’Etat pour deux mandats seulement » (Cissé Bacongo dans L’intelligent d’Abidjan du 27 avril 2017). Les ambitions nationales de Soro Guillaume risquent de contrarier ce plan. Comment ?

Le RHDP aspire à faire le plein dans l’électorat de base du RDR avant d’aller lutter avec les autres partis politiques sur le terrain de leur électorat traditionnel. Les velléités de candidature de Soro Guillaume ne manqueront pas de diviser cet électorat en pro-Soro et pro-Ouattara ; ce qui n’est pas fait pour mettre toute la chance du côté du RHDP.

A partir du moment où s’entrechoquent les ambitions de Soro Guillaume et le projet du RHDP de confisquer le pouvoir en convoitant le même électorat que lui, Soro Guillaume devient l’homme à abattre plus que n’importe qui d’autre et il doit être éliminé de la course à la présidence de la République par tous les moyens. C’est une nécessité plus que vitale pour le RHDP.

Ainsi se comprend et s’explique l’acharnement juridico-politique dont est victime Soro Guillaume. Tous les artifices utilisés pour le peindre en noir deviennent, du coup, suspects.

Leur timing se présente donc comme très intéressé et donc opportuniste. C’est une stratégie fine qui pourrait aboutir à terme, d’une manière ou d’une autre, à un scénario à la IB (Ibrahim Coulibaly) éliminé en 2011 par une escouade.

C’est de la persécution politique sur des bases juridiques pour la rendre moralement acceptable.

La stabilité de la Côte d’Ivoire a été mise à mal par le passé par des projets similaires. Mais, de cela, le RHDP n’en a cure.

Convaincu du supposé soutien hexagonal sur la base de ce qu’une alliance PDCI-FPI (Bété-Akan) risquerait d’exacerber les tensions ethniques avec les dioula majoritairement RDR, ce qui est une lecture réductrice et biaisée du paysage politique ivoirien, le RHDP fonce tête baissée comme un taureau en furie, démolissant tout sur son passage.

La participation de Soro Guillaume à la présidentielle à venir ne plait guère : elle est à éviter de même qu’est à éviter toute constitution du GPS en force politique majeure. Vous observerez que chaque fois que Soro Guillaume remporte une victoire à l’international, la joie de ses partisans est très vite douchée par des mesures de rétorsions politiques à son encontre. La guerre est totale. Pour le moment, celui qui détient les leviers du pouvoir mène le bal et les choses ne devraient pas changer si c’est le RHDP qui remporte l’élection présidentielle.

Pascal FOBAH EBLIN
Analyste politique

Maître de Conférences à l’Université Alassane Ouattara

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