Guerre de clans au Gabon, les frères Alihanga lancent la contre-attaque

Détenus depuis décembre 2019, l’ex-directeur de cabinet du président Ali Bongo Ondimba, Brice Laccruche Alihanga, et son frère Grégory espèrent toujours convaincre les juges de leur innocence.

Depuis fin mai et peu après sa tentative de suicide, Brice Laccruche Alihanga (BLA) a été replacé à l’isolement à la prison centrale de Libreville, officiellement en raison de la pandémie de Covid-19.

Selon nos informations, ni son avocat, Me Anges Kevin Nzigou, ni la consule de France à Libreville, Marguerite Francy Degardin, n’ont pu rendre visite à l’ancien directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba ces deux derniers mois, malgré plusieurs sollicitations auprès des autorités gabonaises.

La suite réservée aux abonnés de Jeune-Afrique

(…)

Gabon : la descente aux enfers de Brice Laccruche Alihanga

Depuis six mois, Brice Laccruche Alihanga est incarcéré à la prison de Libreville. Après avoir tenu les rênes du pays, l’ancien directeur de cabinet du président Ali Bongo Ondimba est accusé de tous les maux.

Abattu. Le 13 décembre 2019, dans un couloir de la prison de Libreville, Brice Laccruche Alihanga a les épaules voûtées et l’air accablé. Arrêté dix jours plus tôt, l’ancien directeur de cabinet du président Ali Bongo Ondimba attend le bon vouloir des autorités pénitentiaires, qui s’apprêtent à l’envoyer en cellule. Cruelle image que celle de cet homme en survêtement vert qui, le front dans la main, paraît encore se demander comment il en est arrivé là.

Depuis plusieurs semaines, l’ancien banquier se savait en sursis. Il a senti l’étau se resserrer sur lui. La confiance du chef de l’État s’est étiolée, comme celle de son conseiller et fils, Noureddin Bongo Valentin, et de la première dame, Sylvia Bongo Ondimba.

Le couperet a fini par tomber, le 7 novembre 2019, avec son éviction du poste de directeur de cabinet. Le même jour, il a été nommé ministre chargé du Suivi de la stratégie des investissements humains et des objectifs de développement durable, mais la chute était amorcée.

Tentative de suicide

Six mois ont passé depuis son arrestation. Accusé, entre autres, de détournements de fonds publics et de blanchiment d’argent en relation avec le secteur pétrolier et la Gabon Oil Company (dont l’ancien administrateur, Christian Patrichi Tanasa, est incarcéré), l’ancien directeur de cabinet vit sa détention à l’isolement.

Affaibli, il a vainement tenté d’obtenir sa mise en liberté provisoire. Il clame son innocence, affirmant qu’il n’a jamais détourné d’argent public et qu’il n’avait pas la main sur les comptes de l’État, rôle dévolu aux directeurs du Budget et du Trésor. Mais les semaines passent sans que la perspective d’un procès ne semble se rapprocher.

Devant l’impasse, Brice Laccruche Alihanga a, selon son avocat, tenté de mettre fin à ses jours, le 21 mai. Retrouvé par ses gardiens avec des entailles sanglantes aux poignets, il a été soigné à l’infirmerie de la prison. Avant d’être remis en cellule, toujours à l’isolement.

Au Palais du bord de mer, où il s’était imposé comme l’homme fort du pays, on n’a pas souhaité réagir à cette tentative de suicide et on s’efforce aujourd’hui d’oublier son influence. Noureddin Bongo Valentin a repris les rênes, en tant que coordinateur général des affaires présidentielles, aux côtés d’un nouveau directeur de cabinet, le discret Théophile Ogandaga. Il faut refermer la parenthèse du banquier aux dents longues, ambitieux parvenu pour les uns, habile jeune loup pour les autres.

De Marseille à Libreville
C’est à Marseille, sur les rives françaises de la Méditerranée, que Brice vient au monde le 1er juillet 1980. Ses parents, Norbert Fargeon et Elizabeth Dupont, vivent à Libreville depuis quatre années déjà mais ont préféré que leur enfant voie le jour en France.

Au Gabon, le couple a trouvé du travail à la Société nationale des bois du Gabon (SNBG). Elizabeth est la secrétaire du directeur général, Louis André Laccruche Alihanga, ingénieur de formation et notable du Haut-Ogooué, proche des cercles du pouvoir d’Omar Bongo Ondimba. Norbert, lui, est embauché à la comptabilité. Il trouve ses marques au sein de la communauté d’expatriés français et devient un habitué de la nuit librevilloise et du bar d’Ange Damiani, Le Son des guitares, financé par la communauté corse.

APRÈS AVOIR OBTENU SON BAC DE JUSTESSE EN FRANCE, IL REJOINT LE GABON DE SON ENFANCE.

En 1984, il ouvre avec des amis son propre établissement, le 1584. Mais son union avec Elizabeth se fissure. La vie nocturne de l’un et le rapprochement de l’autre avec le patron de la SNBG les éloignent. En 1984, le couple divorce. Le 26 octobre, Elizabeth Dupont, 31 ans, épouse en secondes noces Louis André Laccruche Alihanga, de cinq ans son aîné, en présence de Jeanne Foudou, la mère de ce dernier, et de Roland Bru, ancien sénateur français du Gabon et conseiller d’Omar Bongo Ondimba.

Les nouveaux mariés s’installent avec le jeune Brice au cœur du quartier d’Okala. De son côté, Norbert Fargeon accumule les ennuis. En 1987, dans des circonstances troubles, il est expulsé du pays, tandis que Louis André Laccruche Alihanga est nommé conseiller d’Omar Bongo Ondimba.

De retour à Marseille, Norbert engage une procédure pour obtenir la garde de son fils. Celle-ci n’aboutit qu’en 1992 : Brice quitte alors le Gabon pour la cité phocéenne, où il passe les six années suivantes. En juin 1998, il obtient de justesse son baccalauréat au lycée Montgrand. Le français n’est pas son fort, pas plus que l’histoire ou la philosophie. La physique et la chimie sauvent son année.

Le 1er juillet, Brice atteint sa majorité. Direction le Gabon de son enfance. Poussé par son beau-père, il intègre l’Institut national des sciences de gestion de Libreville et en sort diplômé en 2004, en ayant rencontré plusieurs de ses futurs partenaires en affaires, à commencer par Tony Ondo Mba et Justin Ndoudangoye, qui deviendront ministres.

Opérations en eaux troubles

Il parvient en 2006 à décrocher un poste chez PricewaterhouseCoopers (PWC), cabinet de conseil aux entreprises. Parmi les clients, une banque toute-puissante en terres gabonaises : la BGFIBank. En 2011, il est repéré par le patron de cette dernière, Henri-Claude Oyima, qui le recrute.

Peu à peu, Brice Laccruche Alihanga devient le bras droit du chef. Habile collaborateur, il le convainc de débaucher ses proches, dont Tony Ondo Mba et Justin Ndoudangoye. Il rencontre également Ike Ngouoni Aïla Oyouomi, le directeur de la communication de la filiale gabonaise de la BGFIBank, qu’il contribuera plus tard à faire nommer porte-parole de la présidence.

La galaxie est en place, mais l’aventure ne dure guère. Brice Laccruche Alihanga (qui a pris le nom de son beau-père et obtenu la nationalité gabonaise) est l’homme des opérations en eaux troubles, dans les secteurs de l’hôtellerie ou du bâtiment notamment.

En 2011, il pilote le rachat de l’entreprise Soco BTP par Hestia, filiale de la BGFIBank. Mais des soupçons de malversations émergent, et le ministre de l’Économie de l’époque, Magloire Ngambia, se saisit du dossier. Il prévient Oyima, lequel réclame une enquête interne et dépose une plainte. Placé en garde à vue, Brice Laccruche Alihanga nie toute responsabilité. L’affaire n’ira pas plus loin, mais il est prié de quitter son poste de directeur général de BGFIBank en juin 2013.

Le banquier ne met pas longtemps à rebondir. Jouant de ses connaissances, il s’est rapproché d’Ernest Mpouho Epigat, cousin d’Ali Bongo Ondimba. En janvier 2014 puis en septembre 2015, lorsque Mpouho Epigat est nommé ministre de la Défense puis des Transports, Brice Laccruche Alihanga le suit en tant que conseiller financier.

Il obtient ensuite le poste de directeur de la puissante Compagnie nationale de navigation intérieure et internationale (CNNII). Il se retrouve une nouvelle fois dans une position stratégique, d’autant plus appréciable que la présidentielle de 2016 approche à grands pas.

« Il avait compris que le fossé se creusait entre les barons du parti au pouvoir [le Parti démocratique gabonais, PDG] et Ali Bongo Ondimba », explique un cadre du PDG de l’époque. Après avoir créé en 2015 l’Association des jeunes volontaires émergents (Ajev), Brice Laccruche Alihanga publie en 2016 L’Or jeune, ode au renouvellement de la classe politique.

Au plus près du chef de l’État

Fort des relations qu’il a tissées à la BGFIBank, il parvient à se rapprocher de Noureddin Bongo Valentin, alors directeur adjoint d’Olam Gabon. Les deux hommes s’apprécient. Tout au long de l’année 2016 et au début de 2017, alors qu’Ali Bongo Ondimba a été réélu dans la tourmente, il insuffle l’idée d’une opération « mains propres » qui écarterait de la présidence les réseaux du directeur de cabinet Maixent Accrombessi.

Le message passe. Mais lorsque ce dernier est éloigné du Palais à la faveur d’ennuis de santé en octobre 2016, le président préfère à Laccruche Alihanga l’ancien gouverneur de Port-Gentil, Martin Boguikouma, plus consensuel. Un an plus tard, Boguikouma, finalement jugé trop discret, est limogé.

LA RELATION QU’IL AVAIT NOUÉE AVEC LE CHEF DE L’ÉTAT ET SES PROCHES LUI DONNAIT CARTE BLANCHE. »

Le 25 août 2017, soutenu par Noureddin Bongo Valentin et par la première dame, séduits par son discours volontaire, le Marseillais est nommé directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba. Comme son père adoptif avant lui, le voilà au plus près du chef de l’État.

Très vite, il noue une relation quasiment exclusive avec Ali Bongo Ondimba. À l’aise avec ce trentenaire qui lui assure être en mesure de donner un nouvel élan à sa politique, ce dernier délègue volontiers. Le secrétaire général de la présidence (Guy Rossatanga-Rignault puis Jean-Yves Teale), constitutionnellement patron du Palais du bord de mer, passe au second plan.

Le franc-maçon de la Grande Loge du Gabon (dont le grand maître n’est autre qu’Ali Bongo Ondimba) ne quitte plus le chef, du petit-déjeuner, qu’il prend avec lui à la présidence, au débriefing du soir, souvent fait sur une terrasse du palais. À ses collaborateurs, il vante des méthodes issues du monde de l’entreprise et leur déconseille de rentrer chez eux avant 21 heures. Plus encore que Maixent Accrombessi avant lui, il fait le vide autour du chef de l’État, provoquant l’ire de certains anciens, agacés de leur impuissance.

« Il a réussi à obtenir la confiance du chef de l’État en s’appuyant sur une bonne relation avec la première dame et son fils », confie l’un d’eux. Les premiers mois, certains tentent bien de se confronter à lui. « Mais on s’est vite rendu compte que la relation qu’il avait nouée avec le chef de l’État et ses proches lui donnait carte blanche. Si on avait un problème avec lui, il allait leur en parler et leur disait qu’on faisait obstacle à sa mission », se souvient l’un de ses anciens adversaires. Un peu plus d’un an plus tard, au soir de l’AVC du président, le 24 octobre 2018, les réticents ont été écartés ou se murent dans le silence. Brice Laccruche Alihanga est devenu incontournable.

Tour à tour, il éloigne le Premier ministre, Emmanuel Issoze-Ngondet – tout en suggérant au président la nomination de l’un de ses proches, Julien Nkoghe Bekale –, et les ministres Étienne Massard Kabinga Makaga, Ali Akbar Onanga Y Obegue et Christian Magnagna. Ses frères intègrent le cœur du pouvoir, Grégory à la mairie d’Akanda et Régis Landry à la tête de l’Office des ports et des rades du Gabon. Tony Ondo Mba et Justin Ndoudangoye, par ailleurs cadres de l’Ajev, entrent au gouvernement, tandis qu’Ike Ngouoni Aïla Oyouomi gère la communication du Palais.

En juillet, en août et en septembre 2019, il entame une tournée, au nom du PDG, notamment dans le Haut-Ogooué, fief des Bongo mais aussi de son père adoptif, dont il met en avant la filiation. On l’accueille comme un vice-président, tandis que le chef de l’État poursuit sa convalescence. Brice Laccruche Alihanga paraît grisé.

Grégory Laccruche Alihanga, le frère de Brice, était le maire d’Akanda avant son incarcération.

Crime de lèse-majesté

Ovation des foules. Protestation des opposants. À l’Assemblée nationale, où l’ancien patron du PDG Faustin Boukoubi a trouvé refuge, on commence à s’inquiéter. Même chose à la Cour constitutionnelle : sa présidente, Marie-Madeleine Mborantsuo, est prudente mais n’apprécie guère le directeur de cabinet.

Jusqu’où Laccruche Alihanga souhaite-t-il aller ? S’il n’a jamais clairement affiché d’ambitions politiques et ne s’est jamais présenté à une élection, d’aucuns l’accusent de confisquer le pouvoir et de profiter de la situation particulière du président. Trop puissant, trop brutal pour beaucoup, le directeur de cabinet fait désormais face à la pire des accusations sur les rives de l’Estuaire : le crime de lèse-majesté. Les couteaux s’affûtent en coulisses.

LE DIRECTEUR DE CABINET A-T-IL PAYÉ UNE AMBITION POLITIQUE DÉMESURÉE ?

La suite est connue. Arrêté le 3 décembre 2019, Brice Laccruche Alihanga voit sa galaxie s’écrouler. Ses proches – son frère Grégory, Tony Ondo Mba, Justin Ndoudangoye, Ike Ngouni Aïla Oyouomi… – sont eux aussi placés en détention. Son beau-frère, Raphaël Nze Minko, prend la fuite et se retrouve sous le coup d’un mandat d’arrêt. Son épouse, Sonia, mère de ses deux enfants, soupçonnée de complicité, est inculpée mais demeure en liberté.

A-t-il payé une ambition politique démesurée ? « D’un côté, il a utilisé l’Ajev pour noyauter le PDG et s’est mis à dos les barons. De l’autre, il a profité de l’AVC du président et du soutien d’une partie de la famille pour imposer ses hommes dans l’appareil d’État », explique un ancien du Palais.

La confiance de la première dame et de Noureddin Bongo Valentin a fini par s’éroder, tandis qu’Ali Bongo Ondimba reprenait peu à peu les rênes, confiant à son fils la charge de surveiller de plus près « BLA ». « Il a été exfiltré de la présidence au gouvernement. Et quand l’affaire a pris trop d’ampleur, ils ont décidé d’en faire un exemple et de lui retirer toute protection », explique un diplomate à Libreville.

Depuis sa cellule, Brice Laccruche Alihanga croit-il encore en ses chances de contrecarrer ce funeste destin ? Sa tentative de suicide a mis en lumière un épuisement en grande partie dû à son isolement en détention.

Mais il a aussi, par intermédiaires interposés, fait comprendre qu’il n’envisageait pas de tomber seul. En juin 2018, dans un entretien à Jeune Afrique, il déclarait au sujet des affaires de détournements : « [Elles] ressemblent à une pelote de laine : plus on tire de fil, plus il en vient. » Enfant déchu d’une République qui l’a porté au sommet, le voilà au cœur de l’un de ces jeux de piste.

Commentaires Facebook