Côte-d’Ivoire: Éducation, candidature de Bédié, 3e mandat…interview avec Prof Lacisse Abdou (Pdci Lyon)

« Voici les faiblesses de l’école ivoirienne et ce que nous proposons »

‘’Il n’y a pas d’homme providentiel qui puisse gouverner indéfiniment’’

Lacisse Abdou est un cadre du Pdci dans la délégation de Lyon Ouest en France. Il a enseigné l’économie, la gestion et le droit au secondaire et dans des universités de Lyon avant de prendre sa retraite. Fidèle lecteur de Connectionivoirienne.net, il a bien accepté de se prêter à nos questions pour aborder des questions liées à l’école ivoirienne. Il en profite pour commenter l’actualité politique de son pays. Entretien

 

 

Vous êtes économiste de formation mais très intéressé par les questions d’éducation. Nous allons donc en parler. La Côte d’Ivoire a été dirigée de l’indépendance en 1999 par le Pdci-Rda votre parti. En résumé comment se présentait déjà à l’origine la politique de l’Education nationale adoptée par les autorités d’alors ?

 

A double titre les questions d’éducation me préoccupent.

  • Tout d’abord, ma longue expérience de professeur d’Economie et Gestion dans l’académie de Lyon (1989 à 2015) m’a permis d’intervenir sur différents niveaux d’enseignement (second cycle de lycée, enseignement supérieur à l’Université Lyon Lumière 2 et l’Université Claude Bernard à Lyon).
  • Ensuite, ma formation pluridisciplinaire : d’une part en Économie et gestion (DEA) titulaire d’un CAPET d’Economie-Gestion et en Science de l’Education, Diplômé des Hautes Etudes et des Pratiques Sociales d’autre part, m’autorisent la réflexion sur ce sujet de l’éducation qui devrait constituer le défi des prochaines échéances dans notre pays.

En effet, la Côte d’Ivoire a connu de belles réussites par son système éducatif sur la période citée (de l’indépendance à 1999). Ces succès s’expliquaient notamment par les moyens matériels affectés et des objectifs clairement définis. En clair, la politique éducative répondait aux attentes de notre nation en développement tout en esquissant l’avenir prometteur de notre jeunesse. Dès le début des années 2000, le système éducatif de la Côte d’Ivoire entame ses premières crises liées en partie à la faiblesse de la planification dans ce domaine. De nombreux cursus n’ont plus bénéficié de réformes nécessaires pour assurer cette adéquation entre la formation et les emplois. Il est à noter que le déficit des infrastructures devient plus que préoccupant. Les universités promises n’ont pas vu le jour. Devons-nous considérer la délocalisation de certaines UFR comme de vraies créations d’universités ?

 

Le système éducatif sous le règne du Pdci que vous décrivez a eu ses succès et était bien pensé à la base comme vous le dites. Que s’est-il passé pour qu’autour des années 80-90 tout cela commence à péricliter pour, in fine avoir une école qui s’enlise aujourd’hui, si bien sûr vous êtes d’accord avec le terme  »enlisement » ?

 

C’est notamment dans les années 90 que les prémisses de la faiblesse de notre système se sont fait sentir. La chute des prix de nos matières premières et les crises économiques qui ont suivi, jusqu’à la dévaluation de notre monnaie en 1994 n’en sont pas étrangères. Les priorités étaient ailleurs.

A vouloir attirer coûte que coûte des capitaux vers d’autres investissements a contribué à plomber notre système éducatif. Une ultime cause se résumerait aussi à la faible part du PIB consacrée à l’éducation

 

Qu’est-ce qui devait être fait déjà dès cette époque pour réformer le système et qui n’a pas été fait ?

 

Investir dans le capital humain relève d’une grande politique qui requiert une vraie planification. C’est une politique de long terme qui doit à tout instant s’inscrire dans une continuité de l’Etat.

Aujourd’hui nombreuses formations sont inadaptées au marché de l’emploi. Les formations professionnelles peuvent par moment s’envisager dans un parcours en alternance. Ce qui pourrait faciliter l’insertion professionnelle. Une commission ad hoc serait souhaitable pour élaborer les projets idoines.

La réforme LMD a été adoptée pour faciliter les équivalences à l’international. Cela est sans conteste louable. Mais nous devons garder à l’esprit que la jeunesse formée a vocation à servir sur notre territoire.

L’échec du système est si patent (faible taux d’insertion) que notre jeunesse, dans une large majorité, sans perspective, à l’issue de leurs études se tournent vers les concours administratifs (certains concours enregistrent jusqu’à 130.000 candidats selon les années, pour en moyenne 10 % de postes à pourvoir). En 2019 :

  • 100 000 candidats aux concours de la Fonction Publique, pour 14.939 postes (soit 15%),
  • 14 653 candidats au concours de l’INFAS pour 3500 places (soit environ 7%).
  • 48 677 candidats aux concours ENA pour 300 places (soit 1%) en 2014. (chiffres non disponibles depuis lors).

Sur la base d’un montant de 30.000 FCFA de frais d’inscription (hormis les frais de préparation), les recettes pour chacune des institutions sont :

  • Pour la Fonction Publique de l’ordre de 3 milliards de FCFA,
  • Pour l’INFAS de 1,5 milliard de FCFA,
  • Pour l’ENA 900 millions de FCFA.

Ces véritables « pompes à fric » depuis ces nombreuses années, sans transparence, profitent à qui ?

 

Nous observons, par ailleurs, en poursuite post-bac une orientation de nos jeunes (60 à 70 %) vers les formations Bac +2 (type BTS) sans réelles perspectives. Cette mission formative confiée exclusivement aux structures privées n’est elle pas un aveu d’échec. L’état montrant ainsi sa défaillance par une absence d’encadrement des stages qui doivent en principe valider nombreuses formations.

  • Les jeunes peinent à obtenir des stages,
  • Certains terrains de stage, à défaut de verser une prime de stage, n’ont aucune vergogne à demander une rétribution pour accueillir des étudiants.
  • Tout est prétexte pour l’encadrement pour obtenir une rétribution (soutenance de mémoire payante…).

 

Il demeure évident que beaucoup reste à faire. La tâche reste immense, mais non insurmontable. Il faudra pour réussir cette entreprise éradiquer les plaies béantes de la corruption qui gangrènent notre société.

Heureusement, Feu Président Félix Houphouët-Boigny nous a laissé une base solide qui constitue, encore aujourd’hui, l’essentiel de nos acquis.

 

 

Mais  paradoxalement au tableau sombre que vous mettez à l’index à tous les degrés de notre enseignement, on constate que les taux de réussite ces dernières années avoisinent les 50 % en moyenne aux examens à grand tirage. Peut-on donc dire que l’Etat a rectifié le tir et que l’Education nationale est sur une bonne pente ?

 

Peut-on réellement se satisfaire de tels taux, quand on pense à la déperdition dans la classe d’âge de chaque niveau d’examen. Ce sont des taux qui stagnent depuis plusieurs années. Il aise de comprendre la corrélation entre ces taux de réussite et les capacités d’accueil. Bien évidemment, nous avons en mémoire les mauvaises performances (26%) au Bac en 2008. Les taux en deçà de 60%, ces cinq dernières années ne sont pas non plus des indicateurs encourageants. On serait tenté d’expliquer ces faiblesses par les mouvements de grève à répétition.

Le constat de 2020 reflète des résultats encore moins satisfaisants. Le BEPC et le BAC enregistrent respectivement 54% et 40%.

On pourrait conclure que l’Etat peut et doit mieux faire.

 

Il y a également ces efforts d’investissement notamment en matière d’infrastructures. Le nombre de classes au primaire et au secondaire a connu un bond quantitatif, les universités de Man, de Daloa, de Korhogo sont opérationnelles. Celle de Bondoukou est annoncée de même que celle de San Pedro. Quel commentaire ?

 

Les efforts portés sur l’accroissement des infrastructures sont indéniables. Mais la didactique (contenus disciplinaires) et la pédagogie (la méthode d’enseignement, sa pratique) doivent demeurer au cœur de la problématique éducative.

Les universités s’ouvrent dans de nombreuses villes, mais qu’en est-il des offres d’enseignement ?

 

Pour vous que faut-il aujourd’hui privilégier entre les infrastructures, l’amélioration des conditions de travail du personnel éducatif et la refonte des programmes afin de les adapter à l’évolution de notre société ?

 

Tous ces différents aspects doivent être conduits simultanément et bénéficier des moyens suffisants. Une seule dimension négligée peut engendrer un déséquilibre de tout le système.

 

Sur tous ces sujets évoqués, quel est le modèle français qui serait intéressant à appliquer à notre situation actuelle ?

 

Tout comme en France, vous imaginez bien que notre système est centralisé et piloté par le ministère de l’éducation nationale.

  • La France a ceci de particulier qu’elle a pris ces dernières années la décision de valoriser le pôle technologique, soit par la voie d’apprentissage, soit par la voie initiale, à l’instar de l’Allemagne qui a une longueur d’avance sur nombre de ses voisins européens.
  • Notre pays, en adoptant le système LMD (Licence, Master, Doctorat) a aussi fait le choix d’encourager la mobilité des étudiants ivoiriens.

 

Parlons de l’actualité politique. Vous êtes en Côte d’ivoire depuis quelques semaines. Qu’est-ce qui vous a qualitativement frappé dès votre arrivée à Abidjan ? Le pays a-t-il vraiment changé à vos yeux ?

 

Notre belle cité évolue toujours et connaît une vraie mue que nous observons à chacune de notre venue à Abidjan. Et cela constitue un réel enchantement.

J’ai particulièrement une grande sensibilité pour les causes écologiques et environnementales. Aussi, je me réjouis de voir les efforts réalisés à ce niveau.

 

Il y a aujourd’hui un débat qui enrhume l’actualité politique nationale. Celui du 3e mandat. Qu’est-ce que vous en pensez personnellement ? Pourquoi en France où vous vivez, aucun président ne serait tenté par un tel projet de se maintenir au pouvoir ?

 

La question de ce troisième mandat apparaît comme un sujet ultra sensible. Mais puisqu’il s’agit d’une opinion personnelle, je peux affirmer qu’à la lumière de ma documentation sur ce que dit notre constitution, un troisième mandat ne peut être brigué par un candidat.

La morale, l’éthique et le droit ne peuvent se confondre. La morale sur laquelle vous m’interrogez commande que pour éviter toute situation conflictuelle, il faille respecter tout simplement les dispositions de la constitution de 2016.

Notons qu’il n’y a pas d’homme providentiel a qui échoit la responsabilité de conduire la destinée de notre pays de manière indéfinie.

La Côte d’Ivoire mérite de connaître l’alternance pacifique comme tout pays démocratique digne de ce nom.

Chaque chef d’état élu doit être jugé sur le travail et le temps qui lui est accordé. Au terme de son mandat, c’est au peuple de choisir son successeur, aussi bon soit le président sortant. Tous les présidents américains ou français n’ont pas tous été appréciés de manière identique.

 

Une certaine opinion peste également contre l’âge de Bédié et sa candidature. Le célèbre journaliste écrivain Serge Bilé a même dit que le président Bédié commettait une faute morale en se présentant à cette élection. Au Pdci, on indique que cet âge, 86 ans est plutôt un atout. Quelle est votre opinion. Ne pensez-vous pas comme le dirait quelqu’un que le poids de l’âge de Bédié rend tout aussi lourde la machine Pdci qui aura du mal à se déployer ?

 

Notre dernière constitution ne fait pas obstacle à l’âge du président Bédié. Vous noterez que l’article de la limite d’âge (75 ans) et de la jouissance de toutes ses capacités physiques et mentales a été abrogé dans cette dernière.

Arguer de la morale pour écarter le président Bédié serait anticonstitutionnel.

Pour terminer, je voudrais vous rassurer sur le dynamisme du PDCI. Le président dispose d’une équipe de jeunes, dynamiques et aussi compétents les uns que les autres, en pleine capacité de déployer, d’articuler et mouvoir la « machine PDCI ».

Le respect des règles et des normes qui régissent notre société ne traduisent pas une inertie. Au contraire, le président Bédié démontre au jour le jour que le respect de nos institutions doit demeurer  la priorité.

 

Par S. Debailly à Abidjan

sdebailly@yahoo.fr

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