Côte-d’Ivoire: L’arrêté du gouvernement de Ouattara interdisant les marches est « triplement illégal » depuis le 15 mai

Tribune de Grah Ange Olivier, Magistrat

La Côte-d’Ivoire n’est plus légalement en état-d ‘urgence depuis le 15 mai 2020

Le 19 août 2020, le communiqué du conseil des ministres annonçait une suspension des marches, sit-in et autres manifestations sur la voie publique sur toute l’étendue du territoire, en vue de prévenir les troubles à l’ordre public en se fondant curieusement sur la mesure d’état d’urgence sanitaire déclarée pour faire face à la pandémie du Coronavirus.

Cette décision qui fait des troubles à l’ordre public une conséquence prévisible de la Covid-19 n’est pas étrange pour seulement cette raison.

En effet, en parcourant l’arrêté qui la met en exécution, on a l’immense surprise de découvrir que depuis le 15 mai, date d’échéance prévue par le dernier Décret de prorogation de l’état d’urgence en date du 29 avril, cette mesure a légalement pris fin.

Ce ne sont pas les décisions de prorogation du Conseil National de sécurité portées à la connaissance des populations par voie de communiqués qui y changent quelque chose.

L’article 1er de la loi de 1959 relative prévoit, en effet, que l’état d’urgence est déclaré par voie de Décret. Il en est donc de même pour les mesures de prorogation.

Nous avons plus d’une fois fait observer que les communiqués du CNS ne sont pas des actes productifs de droit. Il faut constater que nous n’avons pas été écoutés par ceux qui ont la prétention de diriger la Côte d’Ivoire au gré de leurs humeurs et pour qui lequel respect de la légalité semble être une véritable torture.

L’arrêté interministériel portant suspension des marches et autres manifestations sur la voie publique est donc triplement illégal.

D’abord parce qu’elle se fonde sur une mesure d’état d’urgence qui a pris fin le 15 mai 2020. Ensuite parce qu’en portant atteinte aux libertés des citoyens sur la base d’une décision annoncée par voie de communiqué du CNSP au lieu d’un Décret comme le prescrit la loi de 1959, il constitue une infraction pénale au sens de son article 08 qui prévoit que seront punies d’une peine allant d’un à trois ans les violations de ses dispositions. Enfin, cet acte administratif viole les dispositions de la Constitution qui prévoient l’égalité des citoyens devant la loi en aménageant la suspension de telle sorte à permettre aux militants du RHDP de tenir la cérémonie d’investiture de leur candidat aux élections présidentielles.

Quand on sait que c’est au bénéfice du RHDP qui est une formation politique qui ne constitue ni un parti, ni un groupement politique au sens de la loi sur les partis et les groupements politiques ; et à qui il est constitutionnellement interdit à ce titre de mener une quelconque activité politique sur le territoire national et de recruter des militants sans que ceux-ci ne soient en délicatesse avec la loi pénale, qu’un tel aménagement est fait pour lui permettre d’investir illégalement, une personne dont la candidature est inconstitutionnelle, on peut affirmer sans risque de se tromper que nous assistons là au triomphe de l’illégalité.

Pour couronner le tout, la décision a été prise dans le cadre d’un conseil des ministres inconstitutionnels, tenus avec les Ministres du Gouvernement du Premier Ministre Coulibaly Amadou Gon, à l’existence légale duquel la mort de ce dernier a mis fin conformément à la Constitution. Le Premier Ministre Ahmed Bakayoko n’ayant pas été invité à former un Gouvernement comme le prescrit la loi fondamentale et contraint de travailler, pour on ne sait quelle raison sinon celle de l’humilier, avec les ministres de son prédécesseur est condamné à voir tous les actes qu’il pose dans ces conditions, frappés du sceau de l’inconstitutionnalité. Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, le Décret de nomination du Premier Ministre vient dans l’ordre, après celui des autres membres du Gouvernement dans les visas des actes administratifs.

Sacré Alassane Dramane Ouattara, celui qui connait la Constitution plus que tout le monde et qui à la prétention d’exiger le retour à la légalité constitutionnelle dans un Mali qui vient de connaître un coup d’État, devrait se préoccuper de mettre de l’ordre en cette matière dans son propre navire qui prend de l’eau de toute part parce que lui et ses hommes ont décidé de le saborder en pleine connaissance de cause pour servir leurs propres intérêts. Le voir, vouloir donner des leçons en matière de respect de la Constitution aux nouvelles autorités malien et au Peuple de ce pays frère, c’est vraiment l’hôpital qui se fout de la charité. En attendant nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que les femmes des partis d’opposition qui ont respecté les procédures de droit commun pour organiser leur marche sont parfaitement dans la légalité au regard de ce que l’état d’urgence qui leur est opposé a pris fin depuis le 15 mai. C’est avec le régime actuel que les organisations et les individus qui sont en règles avec la loi qui ont le plus de raison de s’inquiéter alors que tous les membres de ce Gouvernement illégal, singulièrement les Ministres de la Justice et de l’intérieur passibles de la peine d’un à trois ans pour avoir signé l’arrêté litigieux, sont à l’abri de toutes poursuites. On comprend dès lors devant la multiplication d’injustices consacrée dans cette affaire, pourquoi la Côte d’Ivoire est au bord de l’implosion.

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