Côte-d’Ivoire : Pourquoi la règle de non-rétroactivité de la loi se retourne finalement contre les partisans de la 3e candidature ?

Opinion

Maître PEK, docteur en droit.

Le Président Ouattara a-t-il le droit d’être candidat à la prochaine élection présidentielle ? Les promoteurs de sa candidature se fondent sur deux arguments juridiques majeurs, l’un tenant à la naissance d’une nouvelle République, l’autre tiré du principe de la non-rétroactivité de la loi. Si l’argument tiré de la naissance d’une nouvelle République a été déjà déconstruit grâce à une analyse exégétique de l’article 183 de la nouvelle Constitution de 2016, il n’en va pas de même de l’argument tiré du principe de la non-rétroactivité des lois qui méritait pourtant d’être épluché.

« Il n’y a pas de rétroactivité, rien ne m’empêche d’être candidat » a affirmé le Président Ouattara dans son discours d’investiture tenu le 22 août dernier. Partant de l’idée que la nouvelle Constitution de 2016 n’a pas d’effet rétroactif, le Président Ouattara considère que sa 3e candidature à la prochaine élection présidentielle serait « la première de la troisième République ».

Rappelons d’emblée qu’il est faux de dire que la nouvelle Constitution de 2016 n’est pas assortie d’une déclaration de rétroactivité. Que tout le monde relise attentivement, d’abord l’article 183 de cette nouvelle Constitution de 2016, puis son article 55 et enfin l’article 35 de l’ancienne Constitution de 2000 et chacun comprendra aisément que la nouvelle Constitution de 2016 se voulait rétroactive, au moins sur la question de la limitation à deux du nombre des mandats présidentiels.

Mais passons ! Oublions l’existence de l’article 183 et admettons, comme le veulent les partisans du Président Ouattara, qu’aucune des dispositions de la nouvelle Constitution de 2016 n’est rétroactive. Même dans cette hypothèse, le principe de la non-rétroactivité des lois agité par le Président Ouattara rend impossible sa 3e candidature. Pour peu que l’on y réfléchisse, c’est même l’argument fatal qui le prive du droit de se porter candidat. Voici posé un retour au principe de la non-rétroactivité des lois, mal compris par les partisans du Président Ouattara.

Dire que la loi n’a pas d’effet rétroactif, cela veut dire qu’il ne faut pas appliquer une loi nouvelle à des actes ou à des faits juridiques qui se sont passés antérieurement à son entrée en vigueur, en vue de modifier, d’effacer ou de régulariser les effets juridiques produits sous l’empire de la loi ancienne (V° Terré F., Molfessis N., Introduction au droit, Dalloz, 2019, n° 556). Le principe de la non-rétroactivité de la loi ne signifie donc pas que la loi nouvelle efface ou régularise les effets juridiques produits sous l’empire de la loi ancienne. Au contraire, il veut dire que la loi nouvelle ne s’applique pas aux situations juridiques dont les effets ont été entièrement consommés sous l’empire de la loi ancienne. Autrement dit, la loi nouvelle n’a aucune influence sur les situations juridiques qui avaient produit leurs effets avant son entrée en vigueur.

Voici un exemple : Monsieur Dupont décède, il n’avait pas d’enfant, son père et sa mère sont prédécédés, de même que ses frères et sœurs. Restent ses cousins et ses cousines comme successeurs. La succession s’est ouverte en 2010 ; elle a été liquidée conformément aux prescriptions de la loi en vigueur ; le partage a été fait et l’actif successoral a été mis à la disposition des cousins et cousines. Survient une loi nouvelle en 2011, changeant la loi antérieure, et disposant que les cousins et cousines ne peuvent plus hériter. Il va de soi que la succession de Monsieur Dupont liquidée en 2010 ne sera pas atteinte par la nouvelle loi de 2011, celle-ci ne s’appliquera qu’aux successions qui s’ouvriront postérieurement à son entrée en vigueur.
Encore un exemple : une loi fixe à 55 ans l’âge de départ à la retraite. Monsieur Dupont a pris sa retraite en 2010 sur la base de cette loi. Survient une loi nouvelle en 2011, changeant la loi antérieure, et fixant désormais l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Est-ce à dire que Monsieur Dupont déjà retraité en 2010 va se prévaloir des dispositions de la nouvelle loi pour reprendre le service ? La réponse négative s’impose, car la loi nouvelle n’a aucune influence sur la situation juridique de Monsieur Dupont qui avait déjà pris effet sous l’empire de l’ancienne loi.

Transposé en matière constitutionnelle, le principe de la non-rétroactivité de la loi veut dire que la nouvelle Constitution dispose seulement pour l’avenir, et elle n’a pas vocation à s’appliquer à des actes juridiques qui se sont passés avant son entrée en vigueur, en vue de modifier, d’effacer ou de régulariser les effets juridiques produits sous l’empire de la loi constitution.

Appliquée au débat que suscite actuellement la 3e candidature du Président Ouattara, la règle de la non-rétroactivité de la loi enseigne que la nouvelle Constitution de 2016 ne saurait s’appliquer aux situations juridiques dont les effets ont été entièrement consommés sous l’empire de la loi ancienne, en vue de les modifier, effacer ou de les régulariser. Or, sur la base de l’article 35 de l’ancienne Constitution de 2000, le Président Ouattara qui a déjà consommé deux mandats présidentiels, était privé du droit de consommer un troisième en Côte d’ivoire. Donc, ayant été déchu du droit d’être candidat par l’ancienne Constitution, le Président Ouattara ne saurait valablement se prévaloir du droit d’être candidat sur le fondement d’une nouvelle Constitution qui ne rétroagit pas, c’est-à-dire qui n’efface pas ou ne régularise pas un droit entièrement consommé et perdu sous l’empire de l’ancienne Constitution.

Autant dire que la règle de la non-rétroactivité de la loi, alors qu’elle est agitée pour soutenir la 3e candidature du Président Ouattara, n’est finalement pas en mesure de la fonder ; au contraire, c’est davantage elle qui empêche le Président Ouattara d’être à nouveau candidat à la prochaine élection présidentielle.

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