Un prêtre parle à Soro

Dans le but de contribuer à la paix entre fils et filles de notre chère Côte d’Ivoire, j’ai décidé de m’adresser personnellement aux grandes figures de la vie politique ivoirienne. Voilà pourquoi j’ai adressé des lettres publiques au Président de la République, au Président Henri Konan Bédié, à des ministres et même aux Ivoiriens. Excusez-moi de l’espace que je choisis pour vous parler au nom de Jésus Christ le Dieu de la paix, de la vérité, de la miséricorde et de la justice. Je choisis cet espace peu protocolaire car c’est la seule voix qui s’offre aux petits et aux pauvres.

Le contexte

Sans entrer dans l’histoire récente malheureuse de la Côte d’Ivoire que tout le monde connait, je constate que depuis quelques semaines, vous lancez le rassemblement de tous les Ivoiriens. Vous vous présentez dès lors comme une voix qui rassemble, une personne d’unité, celui qui voudrait le bien de tous les Ivoiriens. Le 19 septembre 2020 vous avez démontré cette posture que j’apprécie bien parce que Dieu notre Père nous demande d’ouvrir nos cœurs aux enfants prodigues. Mais j’aimerais vous dire, M. Guillaume Soro, que beaucoup d’Ivoiriens entendent vos appels mais beaucoup se rappellent de dix ans de rébellion armée revendiquée par vous. Les femmes violées dans cette rébellion, les hommes et femmes tués, les parents des victimes de Duékoué et de Guitrozon, les gendarmes de Bouaké, les danseuses d’adjanou, les morts d’Abobo, les morts d’Anokoua Kouté, les morts et victimes de chaque région du pays et de chaque parti, oui les vivants comme les morts entendent votre appel mais attendent de vous depuis 2010 un véritable geste de regret et de pardon sincères. Le pardon, parlons-en.

Qu’est-ce que le pardon ?

Le pardon se définit et se comprend aujourd’hui, surtout en Afrique, en fonction des positions, des grades, des forces et de l’autorité qu’on incarne.

L’éthique politique africaine

Dans l’éthique politique africaine, la remarque que l’on fait est que le pardon a soit une couleur politique soit est imposé aux victimes ou même décrété. Le pardon dans cette éthique ne tient pas compte de la dignité des victimes. La seule chose qu’on leur demande c’est d’accepter le pardon sans rien dire ou en leur partageant quelques sacs de riz et en leur demandant d’applaudir les bourreaux d’hier. Les pauvres victimes n’ont rien à dire. C’est le principe des enfants qui sont obligés d’être des lèche-bottes et les électeurs des bourreaux de leurs parents.
Le pardon christique
M. le Président du GPS, nous sommes tous deux chrétiens catholiques, anciens du séminaire de Katiola même si je suis votre jeune frère dans le parcours. Nous sommes tous deux unis par le baptême. Vous et moi on peut donc se retrouver dans le sens du pardon qui est christocentrique dans notre Église. Dans les Évangiles et autres écrits néotestamentaires, le pardon est un dépassement que le Christ nous enseigne dans sa Personne, dans son style de vie et qui trouve son sommet à la croix à travers cette parole : « Père, pardonne leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). Chacun de nous est donc invité à atteindre ce sommet. Le style du pardon enseigné par le Christ remet donc en cause la loi du talion du message vétérotestamentaire. Le pardon est donc tout un style de vie, un cheminement. Le même Christ qui enseigne aux victimes de pardonner 70 fois sept fois, et d’accueillir l’enfant prodigue, d’aller à la recherche de la brebis égarée, de se réconcilier avant de venir à l’autel, invite les bourreaux, les coupables à demander pardon, à s’humilier devant les victimes avant de recevoir l’absolution. Le Christ ne demande pas que les bourreaux narguent les victimes en se justifiant ou en employant le mot regret ou pardon sur les lèvres lors de quelques discours de circonstance.
Votre pardon aux victimes
Dans plusieurs interventions depuis que vous n’êtes plus au pouvoir, on entend de votre part les expressions « regret », « pardon » surtout avec tout ce que vous voyez et subissez comme par exemple l’exclusion. Beaucoup de victimes vous comprennent ainsi que les Ivoiriens et sont prêtes à vous pardonner mais ils s’interrogent sur la sincérité de votre pardon surtout qu’il y a eu beaucoup d’occasions pour que vous vous ressaisissiez au temps de la rébellion. Vu le contexte pré-électoral, votre pardon n’est-il pas intéressé ? A l’instar de plusieurs hommes politiques africains qui utilisent le pardon des victimes comme un marchepied pour être au pouvoir, votre attitude n’est pas loin de cela. Vous avez été ministre de la défense, premier ministre, président de l’Assemblée nationale. Vous avez donc été au sommet de la gestion étatique pendant au moins huit ans. Personnellement je pense que c’était l’occasion pour vous d’aller partout dans les régions rencontrer les victimes dans les villes et villages ou d’envoyer des délégations pour demander pardon mais vous n’avez pas fait cela. Au moment où tout était à votre disposition, les victimes n’ont pas senti d’actes de rapprochement ni de pardon venant de vous.

Que retenir ?

Mon grand-père m’a toujours dit : « Mon petit-fils, évite de trop interpréter les actes que pose quelqu’un. Crois en ce que tu vois ». Au nom de cette parole de mon grand-père je peux peut-être croire en votre pardon mais j’aimerais être un peu saint Thomas parce qu’avec les politiciens africains, il faut être prudent. Si j’ai des conseils à vous donner, et je peux le faire puisque vous êtes un chrétien :

– Décrétez une journée de pardon des victimes chaque 19 septembre même si vous n’êtes pas au pouvoir. Les victimes seront touchées par cet acte puisqu’officiellement vous.
– Envoyez des délégations dans tous les villages et régions de Côte d’Ivoire pour demander pardon
– Ne justifiez pas trop la rébellion car chaque fois que vous demandez pardon en vous justifiant, le pardon perd de sa valeur et les victimes se sentent encore plus mal
– Etant donné que vous avez écrit un livre pour justifier la rébellion, je vous invite à écrire un livre intitulé « Pourquoi je demande pardon »

Je compte sur vous M. le Président parce que celui qui demande sincèrement pardon devient grand. Qui s’élève sera abaissé et qui s’abaisse sera élevé. Le Christ qui est Dieu s’est abaissé par amour pour les hommes. Vous pouvez aussi vous abaisser par amour pour les Ivoiriens en leur demandant vraiment pardon. Retenez que « Qui fait ainsi devient inébranlable ». Méditons ensemble le psaume 84 :

« Tu as aimé, Seigneur, cette terre, tu as fait revenir les déportés de Jacob ;
tu as ôté le péché de ton peuple, tu as couvert toute sa faute ;
tu as mis fin à toutes tes colères, tu es revenu de ta grande fureur.

Fais-nous revenir, Dieu, notre salut, oublie ton ressentiment contre nous. Seras-tu toujours irrité contre nous, maintiendras-tu ta colère d’âge en âge ?

N’est-ce pas toi qui reviendras nous faire vivre et qui seras la joie de ton peuple ?

Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut ».

Si vous suivez ces conseils inspirés, votre parti « GPS » sera vraiment un GPS qui conduira les Ivoiriens à la paix, au pardon et au rassemblement dans la vérité.

Père. Marius Hervé Djadji
Docteur en théologie dogmatique
Contact : lajoiedeprier.nguessan@yahoo.fr

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