« Nous ne reconnaitrons pas l’élection de Ouattara », Affi ou l’échec d’une opposition en Côte-d’Ivoire, sans Laurent Gbagbo (interview)

L’opposant ivoirien Pascal Affi N’Guessan au JDD : « Nous ne reconnaitrons pas l’élection d’Alassane Ouattara »

Modifié à 23h42 TU +2, le 24 octobre 2020

L’opposant ivoirien Pascal Affi N’Guessan au JDD :

Par Antoine Malo

Pascal Affi N’Guessan, ancien Premier ministre de Côte d’Ivoire (2000-2003) et chef du Front populaire ivoirien (FPI), explique au JDD les raisons de son appel à boycotter la présidentielle du 31 octobre, qui pourrait reconduire le président Alassane Ouattara pour un troisième mandat à la tête du pays.

Il est l’un des principaux concurrents d’Alassane Ouattara à l’élection présidentielle ivoirienne du 31 octobre. Ou plutôt était. Car avec l’ex-Président Henri Konan Bédié, Pascal Affi N’Guessan a pris la tête de la fronde qui s’oppose à un troisième mandat du chef de l’Etat. Jusqu’où le leader du Front populaire ivoirien et ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo est-il prêt à aller dans sa confrontation avec le pouvoir? Rejetant sur le pouvoir la responsabilité des morts de ces derniers jours et de potentielles violences à venir, il a reçu cette semaine le JDD pour expliquer sa stratégie et cet appel au boycott actif du scrutin.

Pourquoi appelez-vous à un boycott de l’élection présidentielle du 31 octobre?

Parce qu’avec le Président Henri-Konan Bédié, nous portons les mêmes revendications, notamment celle qui concerne la mise en place d’une Commission électorale véritablement indépendante et équilibrée pouvant garantir des élections crédibles. Se posent aussi d’autres problèmes comme celui du Conseil constitutionnel. A travers les rejets des candidatures à l’élection (quatre candidats sur 44 ont été retenus, Ndlr), il est apparu comme une institution sous influence du parti au pouvoir. Nous ne sommes donc pas sûrs qu’il proclame les résultats de façon fiable. Enfin, il y a la candidature d’Alassane Ouattara qui est anticonstitutionnelle. En Côte d’Ivoire, on ne peut pas faire plus de deux mandats (le pouvoir rétorque que la nouvelle constitution de 2016 a remis les compteurs à zéro, Ndlr). Mais il s’entête à vouloir se présenter.

Mais cet appel au boycott a généré des violences, notamment dans votre fief il y a une semaine. Assumez-vous les risques d’un tel positionnement?

C’est le gouvernement qui doit assumer, pas nous. Notre mot d’ordre est la désobéissance civile pacifique. Nous n’avons agressé personne. Ce sont les miliciens qui créent des incidents. S’ils ne s’armaient pas pour agresser nos militants, il n’y aurait pas d’incidents.

De quels miliciens parlez-vous?

Ce sont des gens n’appartenant ni à la police ni à la gendarmerie, souvent des ex-rebelles qui n’ont pas été intégrés dans l’armée. Le pouvoir les encadre et les utilise, comme des escadrons de la mort, pour de sales besognes.

Avez-vous des preuves de ce que vous avancez?

Mais bien sûr! On les arrête tous les jours, ces « microbes » (nom donné aux criminels en Côte d’Ivoire, Ndlr) qui sévissent à travers les villes et que tout le monde connaît. Ces supplétifs, quand ils arrivent dans une ville, ne passent pas inaperçus.
Il peut y avoir plusieurs formes de manifestations au cours de la période que nous traversons et les désaccords sur la candidature d’Alassane Ouattara peuvent s’exprimer de différentes manières. Mais en ce qui nous concerne, le mot d’ordre est la désobéissance civile pacifique.

Pourquoi avoir refusé de participer à la réunion de conciliation organisée cette semaine autour du Premier ministre?

Parce que dans le même temps, il y avait cette mission de facilitation de la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, ndlr). Nous nous en sommes donc remis à elle plutôt qu’à un dialogue direct qui, par le passé, ne nous a pas permis d’éviter la crise et qui aurait tourné à la discussion de sourds.

Cette mission de la Cédéao a donné plutôt raison au gouvernement, en vous demandant de reconsidérer votre position… Une solution peut-elle être trouvée avant le 31 octobre?

On peut toujours trouver une solution. Cela dépend du gouvernement. Nous avons fait des propositions concrètes. Mais jusqu’à présent, le pouvoir y répond seulement à travers des meetings où il multiplie les railleries à notre égard et affirme qu’il ira jusqu’au bout. Tant qu’il y a aura cette fuite en avant, nous resterons dans la logique de la désobéissance civile.

Beaucoup craignent que cette confrontation ne débouche sur une situation identique à celle de 2010. Le risque d’une nouvelle guerre civile existe?

Oui, il existe. Si les positions restent rigides et irréconciliables, la possibilité d’affrontements existe. Or, il appartient au gouvernement d’aller à la rencontre de l’opposition. Dans tout pays civilisé, quand une partie de l’opinion montre son désaccord et manifeste, on ouvre un dialogue. Quand cela ne vas pas, c’est celui qui est au pouvoir qui est comptable de la situation.

L’opposition n’aurait pas de devoir de responsabilité?

Bien sûr qu’elle en a un. Et notre responsabilité est de dire : « Nous ne sommes pas d’accord et nous voulons dialoguer. »

Jamais vous ne lancerez un appel aux armes?

Non, nous n’appartenons pas à une rébellion armée! Nous sommes dans la désobéissance civile et non militaire.

Vous prônez le boycott mais ne vous ne vous êtes pas retiré de la course à la présidentielle, pas plus que Henri Konan Bédié. Pourquoi?

Si l’on se retire, nous n’avons plus de raisons de nous battre!

Cela veut-il dire que vous envisagez encore de vous présenter le 31 octobre?

Non, puisque nous demandons aussi le report de l’élection de trois mois. Et je le dis : il n’y aura pas d’élection le 31 octobre.

Mais si cette élection est maintenue et qu’Alassane Ouattara est élu, quelle sera votre réaction?

Nous ne reconnaitrons pas son élection. Si les conditions pour un scrutin inclusif et transparent ne sont pas créées, nous allons considérer que cette élection est nulle et non avenue. Nous ne pourrons pas reconnaître quelqu’un qui pourrait en être issu.

Mais ce faisant, vous prenez le risque de replonger le pays dans le chaos…

C’est Alassane Ouattara qui l’a voulu ainsi. La situation actuelle est le résultat de sa gouvernance. En dix ans, qu’a-t-il fait pour construire des institutions consensuelles et crédibles, pour garantir la paix, la stabilité et la bonne tenue de cette élection? Pourquoi sommes-nous en crise permanente depuis l’instauration du multipartisme dans le pays?

Pourquoi l’opposition ne s’est pas réunie autour d’une candidature commune. Est-ce, comme le disent certains partisans du pouvoir, parce que vous ne pouviez pas gagner?

S’ils étaient certains que nous allions perdre, pourquoi ne pas avoir créé les conditions d’une élection transparente? Pourquoi prendre la Commission électorale et le Conseil constitutionnel en otage? Si vous n’avez rien à craindre, vous ouvrez le jeu. Mais ils savent que s’ils avaient fait ça, ils auraient perdu. Leur seul but est de s’accrocher au pouvoir.

Les rivalités actuelles montrent-elles que la réconciliation du pays n’a pas eu lieu depuis 2010?

Bien sûr, rien n’a changé. Le pouvoir a refusé obstinément d’ouvrir ce dossier. Cela aurait consisté à ouvrir un grand dialogue national entre toutes les composantes de la nation. Chacun aurait pu s’exprimer sur une question essentielle : pourquoi sommes-nous en crise permanente depuis l’instauration du multipartisme dans le pays? Ensuite, il aurait fallu permettre à toutes les victimes de cette crise de faire le deuil de leurs morts. Il aurait fallu accorder des réparations.

Si la réconciliation avait eu lieu, « nous ne serions pas aujourd’hui à nous disputer autour de la Commission électorale »
Mais il y a eu des réparations, de l’argent versé aux victimes…

C’était surtout un os que l’on a donné à ronger à la communauté internationale plus qu’une vraie réconciliation. La réconciliation est un projet politique et doit être portée par la Président lui-même. C’est lui que les Ivoiriens attendent sur cette question.

Mais quand Henri Konan Bédié remet le sujet de l’ivoirité, ce concept identitaire, sur la table, cela ne participe-t-il pas à défaire cette réconciliation et à réactiver les clivages ethniques?

Mais ceux qui ont eu la charge de l’Etat pendant toutes ces années, qu’ont-ils fait pour éviter que quelqu’un fasse référence à des problématiques de cette nature? Qu’ont-ils fait pour que les Ivoiriens se disent qu’ils n’évoqueront plus jamais ces sujets? Nous sommes tous convenus que ce sont ces thèmes qui ont été à la base de la guerre. Nous voulons tous l’unité nationale. C’est ça le but de la réconciliation. Si elle avait eu lieu, nous ne serions pas aujourd’hui à nous disputer autour de la Commission électorale.

Qu’aurait-il fallu faire concrètement?

Dans tous les pays qui ont connu ce genre d’épisodes, il y a eu des moments de pause, de catharsis nationale. Or, ici, on a dit que c’était des bavardages. Et puis la réconciliation doit aussi se traduire par des réformes juridiques et institutionnelles. Il aurait fallu aussi trouver des formules aux questions du tribalisme, de la laïcité de l’Etat. Les problèmes de développement, du partage des richesses et donc de la décentralisation sont aussi centraux : quels pouvoirs faut-il confier aux institutions locales pour que les populations se prennent en charge, pour que certains ne considèrent plus que des zones sont privilégiées aux dépends d’autres? Mais il n’y a pas eu de débat sur ces thèmes. C’est aussi pour ça que l’on patauge aujourd’hui autour de cette élection.

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