Côte d’Ivoire – Quand Abidjan s’auto-impose un couvre-feu

A Abidjan, au coucher du soleil, tout le monde se précipite pour rentrer à la maison. C’est l’heure choisie par des transporteurs véreux de la ville pour monter les enchères sur les tarifs qui passent facilement du simple au double. Ils rattrapent ainsi le manque à gagner de la journée. Et c’est ainsi depuis qu’une certaine morosité s’est installée sur fond de peur, à l’approche de l’élection présidentielle.

C’est désormais le constat. A 21 heures, plus personne n’ose s’aventurer dehors sauf ceux qui ont des urgences incompressibles à régler. De Yopougon à Port-Bouët, en passant par les quartiers huppés de Cocody et du Plateau, même constat. « C’est devenu difficile pour nous en cette période. Alors que, habituellement, on bouclait notre recette avant 19 heures, maintenant même jusqu’à 21 heures ou 22 heures, on n’arrive même plus à avoir la recette », se désole un conducteur de taxi communal à Yopougon.

L’élection présidentielle du 31 octobre est présentée comme un rendez-vous de tous les dangers. Les rumeurs s’amplifient chaque jour via les réseaux sociaux. Quand on ajoute à cela, le discours peu rassurant des différents camps politiques opposés, tout est réuni pour donner de la trouille au citoyen ordinaire.

Maquis, bars, restaurants et autres lieux de spectacle ont pour la plupart réaménagé les heures de fermeture. C’est le cas au supermarché Cap Nord où le restaurant ferme à 18 heures et le gérant se voit obligé de mettre la pression à ses derniers clients pour tenir cette heure de bouclage. « Monsieur nous fermons à 18 heures. C’est une consigne donc si vous pensez que vous allez débordé nous vous prions de trouver un autre lieu », fait savoir le gérant de ce petit restaurant de luxe à Cap Nord au quartier Riviera 3 dans la commune de Cocody. L’on ne sait d’où vient vraiment la consigne mais ici, on ne veut prendre aucun risque au regard de l’actualité qui s’enflamme au fil des jours et qui enflamme également les bus de la Sotra, la seule société de transport public à Abidjan qui a déjà perdu plusieurs de ses autobus. Des pertes estimées à plus d’un milliard de FCFA par le ministère des Transports.

A Yopougon, des points chauds comme au quartier Maroc Kimi ont perdu de leur chaleur du soir. La clientèle est de moins en moins nombreuse. Dans ces conditions, les vendeuses de poisson braisé et autres mets sont amenés à revoir leur provision. « Avant, je pouvais vendre un contenu entier de mon frigo de poissons. Maintenant ce n’est plus le cas », révèle une commerçante qui veut que la date du 31 octobre passe rapidement pour que tout le monde retrouve le sourire.

Comme on peut le constater, les populations ne sont pas trop préoccupées par qui va gagner l’élection qu’elles redoutent d’ailleurs. Leur aspiration est plutôt portée sur la paix pour que prospèrent à nouveau les activités actuellement en berne du fait de cette situation tendue.

Ce qui rajoute à l’inquiétude et qui encourage les gens à rester chez eux, ce sont les patrouilles policières qui se sont intensifiées ces derniers temps.

A Yopougon, au niveau du 16e arrondissement de police, un check-point est érigé le soir avec du bric-à-brac. Là, policiers et militaires procèdent à des contrôles et à des fouilles de taxis. Les usagers subissent également les contrôles d’identité. Et malheur à celui qui n’a pas sa pièce. Il est traité selon son apparence ou selon le confort de sa poche. Quelquefois, ce contrôle peut se terminer au violon du commissariat, juste à côté. Dans cet environnement fait de menaces et de méfiance, les forces de l’ordre adoptent des réflexes en violation des droits de l’homme. Une nuit, le jeudi 22 octobre, devant le palais de justice de Yopougon, un jeune homme a été sévèrement molesté et trainé à terre près d’un cargo de la police nationale, sous le regard interrogateur des passants. Des actes qui ne font qu’ajouter à la psychose, amplifiée surtout par les rumeurs en tout genre.

Mais jusque-là, rien n’est fait pour apaiser les populations. Les discours s’enflamment. Le pouvoir reste concentré sur l’organisation d’une élection. L’opposition reste ancrée sur son boycott actif et sa désobéissance civile.

Les Abidjan, eux ont choisi l’obéissance à la survie. Le jour venu, ceux qui ont encore quelques moyens se ruent sur les rayons des supermarchés pour faire des provisions.

Après 2011, ils veulent voir le sort que les politiciens leur réservent en cette année électorale.

SD à Abidjan

sdebailly@yahoo.fr