Côte-d’Ivoire: Fanklin Nyamsi veut-il mettre les Dioulas et les Sénoufos en palabre ?

Jean-Francois Fakoly

À l’heure où la Côte d’Ivoire joue son destin et où l’opposition dans sa large diversité, y compris des « Dioulas », s’attelle au prix fort du sang à faire barrage au 3e mandat d’Alassane Dramane Ouattara (ADO), l’heure n’est pas en principe aux querelles intestines. Mais, les propos méphitiques du sieur Nyamsi, conseiller spécial de Guillaume Soro sont si graves que ne pas y répondre serait laisser prospérer les discours ethnicistes, tribaux et haineux au sein d’un mouvement qui n’en a pas besoin avec les conséquences dommageables que l’on sait, c’est-à-dire l’attisement des violences interethniques.
En effet, cet intellectuel un peu fanfaron (1) a dans une longue vidéo d’une heure, le 2 octobre dernier, tenu des propos aussi irresponsables que fallacieux incitant à la haine contre les Dioulas (2). Il faudrait urgemment le recadrer (3).

1. Un intellectuel fanfaron

Si la cuistrerie avait un visage se serait bien celui de Franklin Nyamsi. Il suffit pour s’en convaincre de voir ses vidéos où il ne manque aucune occasion de rappeler à ses auditeurs son « gros diplôme de doctorat » et son parcours académique « exceptionnel » qui a abouti à l’obtention d’un poste de professeur dans un lycée en France. Rappelons que le titre de professeur agrégé de philosophie dont il se vante tant est tout simplement un diplôme bac plus 4, c’est-à-dire un titre qu’on obtient après un concours pour devenir enseignant de philosophie des lycées. La cuistrerie du sieur Nyamsi se révèle également par l’étendue de son prétendu savoir. Sorte de pic de Mirandole, il dit tout savoir et fais étalage de tout : philosophie (c’est sa formation), sciences politiques (analyste et conseiller politique de Guillaume Soro), philologie (analyse les mots et invente des concepts péjoratifs pour qualifier les dictatures africaines), psychanalyse (diagnostique et décrit les troubles mentaux d’ADO et d’autres autocrates africains), mysticisme (décrypte les signes et rites occultes des présidents africains) et maintenant ethnologie (spécialiste des Dioulas). Mais comme il faut toujours s’y attendre en pareil cas, qui trop embrasse mal étreint : à force de parler de tout, il se retrouve avec des savoirs superficiels, ce que révèle dramatiquement sa sortie malencontreuse du 2 octobre dernier.

2. Des arguments fallacieux et dangereux

L’argument central de Nyamsi est que le nord est divisé : les Sénoufos qui sont les soutiens de Guillaume Soro sont opposés aux Dioulas d’ADO et les seconds tentent d’exterminer les premiers dans une lutte hégémonique que se livrent les deux leaders. À l’appui de cette thèse une vidéo d’à peine cinq minutes dans laquelle l’on voit un jeune homme, prétendument Dioula, revendiquer la mort de deux autres personnes, prétendument Sénoufos. Pourtant, rien dans la vidéo ne permet une telle identification ethnique des antagonistes. De plus, le jeune interrogé ne dit à aucun moment que les victimes l’ont été du fait de leur appartenance ethnique. Il évoque plutôt une tentative de coup d’État de Guillaume Soro, ce qui ne l’absout pas pour autant. Nyamsi va donc s’évertuer à surinterpréter cette vidéo pour coller à sa maudite thèse. Plus d’une heure de prolégomènes pour analyser cinq minutes d’images d’un individu non représentatif de la communauté Dioula. Le faisant, il tordra le cou aux faits (de la vidéo) et à la logique la plus élémentaire. Le fait n’aura échappé à personne qu’alors qu’il parle du nord comme lieu géographique de l’extermination des Sénoufos, la vidéo qui l’illustre a été faite au centre, plus précisément à Yamoussoukro : flagrant délit de manipulation. En outre, peut-on raisonnablement parler d’extermination d’une ethnie pour une affaire ayant occasionné deux morts ?

Dans le fond, cette interprétation en termes ethnique est dangereuse. On ne le dira jamais assez, aux problèmes politiques, il faut des analyses politiques, tout comme aux problèmes sociaux il faut des explications sociologiques. L’argument consistant à expliquer le politique par l’ethnie et la race n’en est pas un. Il conduit à essentialiser les problèmes politiques, à les naturaliser en logeant leur origine hors du contexte et de l’histoire, dans les gènes. Cela est évidemment faux et archifaux. À supposer que les Dioulas soient comme le prétend Nyamsi une race scélérate, est-ce ces mêmes Dioulas qui sont au pouvoir au Cameroun, au Togo, au Kenya, et dans la grande majorité des États africains où des dirigeants s’appuient sur le soutien inconditionnel de leurs communautés d’appartenance ou d’origine pour se maintenir au pouvoir ? Faut-il le rappeler, le raccourci consistant à expliquer les conflits politiques par la différence ethnique a été identifié comme une des sources du génocide rwandais.

Nyamsi a également l’outrecuidance du haut de « sa grande science » puisée dans les poubelles de l’ethnologique coloniale de classer les Dioulas en deux groupes. D’un côté les mauvais, sans attache territoriale, mercantiles et indignes de confiance. On reconnaitra ici le portrait du juif fait par les antisémites. De l’autre côté, les bons Dioulas, qui compensent ces tares congénitales par une spiritualité chrétienne ou musulmane. Bien sûr cette caricature monstrueuse du Dioula ne repose sur rien et ne correspond à rien. Si seulement il savait de quoi il parlait. Faut-il rappeler à ce monsieur que les Dioulas, et plus précisément les malinkés dont ils forment un sous-groupe, sont à l’origine, de deux des plus grandes civilisations précoloniales qu’ait connues l’Afrique, à savoir les empires du Sosso et du Mali. Et que la fierté des intellectuels africains en Occident se nourrit grandement de l’orgueil des réalisations de ce peuple. En Côte d’Ivoire même, le développement de l’économie moderne n’aurait pas été possible sans la contribution remarquable des Dioulas. Que dire des collaborateurs de Guillaume Soro, fidèles parmi les fidèles, Kamagaté Souleymane dit Soul to Soul, Affousiata Bamba, Touré Mamadou et j’en passe. Des déserteurs de GPS, oui, mais pour chaque Alpha Yaya (Dioula) il y a autant de Trazeré Olibé (Bété) que de Soro Kanigui (Sénoufo).

3. Il faut urgemment recadrer Nyamsi

Quel paradoxe que de voir celui qui jour et nuit accuse Ouattara d’avoir instrumentalisé le Nord contre le Sud utiliser le même artifice en s’évertuant maladroitement à opposer les Sénoufos aux Dioulas, afin de faire la fortune de son mentor et le positionner comme le leader des Sénoufos. Quel paradoxe que de voir celui qui se targue de posséder tous les savoirs tomber si bas dans un misérable manichéisme en faisant usage de catégories ethnologiques erronées et antédiluviennes.
La Côte d’Ivoire a tiré les leçons de ses crises passées. C’est pourquoi malgré la radicalité de la lutte contre le 3e mandat, le ton des responsables de l’opposition ivoirienne que sont Affi Nguessan et Maurice Guikahué reste ferme, mais mesuré. Jamais dans leur attitude une ethnicisation du conflit ni en acte ni dans l’interprétation. Car en réalité, ce qui les oppose au RHDP n’est pas la question de l’ethnie, mais bien le 3e mandat et ses supporteurs. Peu importe que ces derniers soient Dioulas, Bétés ou Avikam. Ce qui est en cause est leur projet et les actes qu’ils posent dans ce sens et aucunement leur origine ou essence. Enfin, le destin de Guillaume s’il en a un ne peut qu’être national, voire continental. Le reléguer à être le leader Sénoufo est réducteur et loin des aspirations de celui qui entend fédérer toutes les composantes ethniques de la mosaïque ivoirienne à travers son leadership générationnel. Guillaume Soro devrait urgemment recadrer son conseiller spécial. Autrement, l’on pourrait se demander si le GPS n’a pas perdu son nord.

Jean-Francois Fakoly

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