Les enjeux juridiques, politiques et sociaux de l’élection des députés du 6 mars en Côte-d’Ivoire

Le vendredi libéral- Mou-mou-né, Institut des libertés

Conférence inaugurale Abidjan le 19 février 2021

Hôtel Tiama

Thème : Les enjeux juridiques, politiques et sociaux
de l’élection des députés du 6 mars 2021
Le 6 mars prochain, sept millions cinq cents électeurs se
rendront aux urnes pour élire 255 députés pour la
deuxième législature de la troisième république. La
nature présidentielle du régime politique ivoirien fait de
l’élection du président de la république la pierre
angulaire du cycle électoral national au détriment des
autres scrutins en général et, particulièrement, du
scrutin législatif. On comprend alors aisément le fort
taux d’abstention aux scrutins législatifs, 70% en 2011
et 64% en 2016. Les ivoiriens auront tort de bouder le
scrutin du 6 mars prochain au regard des enjeux
juridiques, politiques et sociaux qui s’y rattachent. Elire
un député, c’est choisir un entrepreneur juridique et
politique. En effet, contrairement à une opinion
admise, le député est un acteur de développement. C’est
avec la loi qu’on change la société. L’auteur de la loi,
c’est justement le député, législateur par excellence.

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Quand, un candidat à la députation dit aux électeurs
qu’il va construire des écoles, des hôpitaux, des routes,
augmenter le pouvoir d’achat des populations, créer des
emplois, il ne dit pas faux. Il est dans le politiquement
correct. Il en a la compétence, le pouvoir. Tous ces
travaux suscités relèvent de la dépense publique or,
celle-ci est définie par la loi de finances, c'est-à-dire, le
budget. La loi de finances est votée par le député. On
comprend alors toute l’importance des membres de
l’Assemblée nationale. Le poste politique sinon le plus
important du moins indispensable dans un Etat est celui
de parlementaire, c'est-à-dire, de législateur. Oui, vous
avez bien entendu, le parlement est plus important que
l’exécutif. La constitution étatsunienne l’illustre très
bien, elle qui consacre le premier chapitre de ses sept
dispositions au parlement, l’exécutif vient après. C’est
l’origine ou la justification de la supériorité de la loi sur
le règlement, c'est-à-dire, les décrets et les arrêtés. En
droit, la valeur d’une norme juridique procède de la
valeur de l’organe qui l’édicte. De ce qui précède, on
comprend l’importance de l’élection des députés du 6
mars 2021. Certes, nous sommes dans un régime
politique de type présidentiel voire présidentialiste. Les
pouvoirs exécutif et législatif sont séparés, indépendants
l’un de l’autre. Le gouvernement n’est pas issu du
parlement encore moins responsable devant lui. Pour

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faire simple, le président de la république ne peut pas
dissoudre le parlement, même pas avec les pouvoirs de
crise que lui confère l’article 73, l’article atomique de
la constitution. A l’inverse, le parlement ne peut pas
faire tomber le gouvernement car, dans le système
politique ivoirien, la motion de censure et la question de
confiance sont inexistantes. Cependant, le parlement, en
général, l’assemblée nationale, en particulier, détient un
pouvoir politique redoutable. En effet, si, par
extraordinaire, l’opposition remportait les législatives
du 6 mars prochain, le président de la république serait
dans une posture politique inconfortable. Il ne pourra
pas gouverner, du moins difficilement. Pourquoi ? La
raison est toute simple. Le président de la république
est, constitutionnellement, une autorité administrative.
A ce titre, il est le détenteur exclusif du pouvoir
réglementaire. Celui-ci s’exerce pour mettre en
application la loi. La loi précède le décret. Certes, le
president de la république a l’initiative de la loi, c’est
vrai. Mais, si la majorité parlementaire est du côté de
l’opposition, aucun de ses projets de loi ne pourront
prospérer à l’hémicycle. Ils seront purement et
simplement rejetés. Le Président de la république serait
alors, un roi nu. A l’inverse, on assisterait à la
souveraineté parlementaire. Comment ? C’est simple.
Les députés ont, eux aussi, l’initiative de la loi. Les

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propositions de loi seront soumises au parlement. Elles
auront plus de chance d’être adoptées. Le président de la
république peut-il refuser de les promulguer ? Il peut le
vouloir, mais, il n’en aura pas les moyens juridiques. En
effet, une loi non promulguée par le président de la
république, dans les délais constitutionnellement prévus,
est déclarée exécutoire par le Conseil constitutionnel
saisi soit par le president de l’Assemblée nationale soit
par celui du sénat. La constitution permet au parlement
de contourner l’inertie du chef de l’exécutif. Dans une
telle conjoncture juridico-politique, le président de la
république pourrait-il gouverner par ordonnance pour
esquiver l’hostilité parlementaire ? Evidemment que
non. Située au confluent de la loi et du décret,
l’ordonnance commence par l’autorisation du
parlement. C’est la fameuse loi d’habilitation. On le
devine aisément, le Président de la république n’aura
pas cette autorisation d’un parlement majoritairement
PDCI, FPI, LIDER et autres. Le chef de l’exécutif peut-
il passer outre la résistance du parlement ? Dans
l’affirmative, il renoncerait ainsi à l’Etat de droit et
s’exposerait, subséquemment, à une responsabilité
pénale pour haute trahison. Rappelons-le à toutes fins
utiles, la juridiction compétente pour juger le président
de la république, c’est la Haute cour de justice. Celle-ci,
selon la constitution, est composée de députés et de

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sénateurs. Longtemps restée une fiction institutionnelle,
une victoire de l’opposition aux législatives donnerait à
la Haute cour de justice une existence apodictique. Dans
une telle posture politique inconfortable, le chef de
l’Etat peut-il faire usage de ses pouvoirs de crise pour
neutraliser le parlement ? La réponse est malaisée.
Selon les termes de l’article 73 de la constitution, pour
instaurer l’Etat de crise, le chef de l’exécutif doit
préalablement demander l’avis du président de
l’Assemblée nationale et de celui du Sénat.
Par ailleurs, la désignation du vice-président de la
république pourrait, de fait, échapper au Président de la
république. Pourquoi ? Parce que tout simplement,
constitutionnellement, le vice-président de la république
est nommé par le Président de la république en accord
avec le parlement. Une opposition majoritaire à
l’Assemblée nationale voudra contrôler la deuxième
institution de l’exécutif. C’est une évidence. A défaut
d’une majorité, une forte présence de l’opposition à
l’assemblée nationale constituerait un véritable caillou
dans les chaussures présidentielles. En effets, les
projets de lois portant révision de la constitution
requièrent une majorité qualifiée pour être adoptées. En
sus, une opposition victorieuse à l’élection des députés
n’aura aucune difficulté à rafler les sénatoriales.

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Les élections du 6 mars 2021 revêtent une importance
capitale. Je le disais plus haut, c’est avec la loi qu’on
change la société. C’est pourquoi, les élections des
députés sont, avant tout, partisanes. Les législatives
consacrent « la partitocratie ». En effet, c’est l’élection
des partis politiques, des idées politiques. Si l’élection
présidentielle est la rencontre entre un homme et un
peuple, l’élection des députés est la rencontre entre un
parti politique ou un courant idéologique et une
population. A l’élection législative, c’est n’est pas un
candidat qu’on vote, c’est une idée, c’est une formation
politique qu’on vote. Nuance. Pendant cette campagne
électorale, les candidats du RHDP doivent avoir le
même programme politique. Il en est de même pour
ceux du PDCI, du FPI etc. Et, c’est ici que se perçoit
clairement la qualité d’entrepreneur juridique et
politique du député. Je le répète à des fins
pédagogiques, c’est avec la loi qu’on change la société.
Dans un Etat moderne, rien de grand ne se fait sans loi.
Je partirai d’un exemple concret pour construire mon
argumentation. Je prends un parti politique. N’importe
lequel. Ce peut être le PDCI-RDA, le FPI, le RHDP ou
LIDER etc. Les candidats de ce parti politique vont
devant les électeurs et leurs disent, « si vous voter pour
nous, nous allons prendre une loi pour instaurer la
polygamie. Evidement, c’est une révolution sociale

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(positive ou non, je n’en sais rien). «  Si vous votez pour
nous, nous voterons une loi pour sortir notre pays du
franc CFA ». Evidemment, c’est une révolution
monétaire donc économique. « Si vous votez pour nous,
nous prendrons une loi qui oblige l’Etat à construire,
une école, un dispensaire dans tout village qui a 500
habitants ». « Si vous votez pour nous, nous prendrons
une loi pour augmenter les subventions aux communes
et aux régions pour leur permettre de lutter efficacement
contre l’insalubrité et l’insécurité, par exemple ». « Si
vous votez pour nous, nous prendrons une loi pour fixer
le prix du cacao à 1500 f, l’hévéa à 1000F. Si nous
sommes élus, nous prendrons des lois pour combler les
déficits de personnel de l’éducation nationale, de la
santé publique, de la justice, par exemple, au lieu de
recruter 25 magistrats par an, nous allons recruter 200
magistrats annuellement sur cinq ans, pour renforcer
l’administration de la justice subséquemment, la
démocratie et l’Etat de droit ». Evidemment, « si vous
votez pour nous, nous allons financer tous ces projets en
diminuant l’inflation institutionnelle. Au lieu de 50
ministres, nous prendrons une loi pour fixer le nombre
de ministre à 20. La primature, le sénat, la médiature, le
conseil économique et social n’existeront plus grâce à la
loi constitutionnelle car, les députés ont l’initiative de la
révision constitutionnelle ». A l’observation, ces

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mesures impacteront considérablement le quotidien des
populations. Le député n’a pas de budget. C’est vrai.
Mais, c’est lui qui vote le budget du Président de la
république, c’est lui qui détermine les subventions aux
communes et aux régions. Ce n’est pas juste de dire que
le député n’est pas un agent de développement. Il l’est.
C’est sa raison d’être. Encore faudrait-il que les députés
eux-mêmes en soient convaincus! Ce qui n’est pas
évident.
En effet, selon la théorie de la séparation des pouvoirs,
développé par Montesquieu, le pouvoir législatif,
pouvoir charger de voter la loi appartient au parlement,
principe repris par notre loi fondamentale à son article
85. Le législateur, c’est le parlementaire, c'est-à-dire les
députés et les sénateurs. L’alinéa premier de l’article 74
de la constitution dispose que « Le Président de la
république a l’initiative de la loi concurremment avec
les membres du parlement ». Combien de lois, en Côte
d’ivoire, de 1960 à aujourd’hui sont d’origine
parlementaire ? Combien de loi les députés de la
législature qui vient de s’achever ont-ils proposé au
bureau de leur assemblée ? Nous pouvons les compter
sur les doigts d’une seule main. Le député Gnamien
Konan a présenté trois propositions de lois relatives
respectivement à l’inscription d’office des nouveaux
majeurs, à la limitation de l’influence des puissances

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d’argent et à la prévention et à la lutte contre la
corruption. Toutes ces propositions ont été frappées
d’irrecevabilité par le bureau de l’Assemblée nationale.
Quant au député Evariste Meambly, sa proposition de
loi relative à l’amnistie et l’indemnisation des victimes
des infractions commises de 2000 à 2007 a été rejeté par
le conseil constitutionnel. Quelques tentatives isolées à
saluer, mais largement insuffisantes. Face à l’activisme
législatif du chef de l’exécutif par le biais des projets de
loi et d’ordonnance, on assiste à une sècheresse de
propositions de loi. Pourquoi nos députés sont-ils si
inféconds en matière de proposition de lois ? La
nouvelle législature pourra-t-elle corriger cette posture,
cette image, cette étiquette peu glorieuse de
« parlementaires fainéants ? » Elle doit, en tout cas, s’y
atteler pour la vitalité de notre démocratie, car, à
l’observation, le véritable détenteur du pouvoir
législateur, en côte d’ivoire, est le Président de la
république. L’Assemblée nationale s’apparente
d’avantage à une chambre d’enregistrement,
d’acquiescement des actions de l’exécutif. De la
séparation des pouvoirs, nous voila, de fait, dans
l’alignement des pouvoirs.
Je ne saurai terminer cette réflexion, sans parler du
nombre surabondant de députés à l’Assemblée nationale
depuis 1960.

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Nous avons beaucoup trop de députés en Côte d’Ivoire.
255 députés pour une population de 22 671 331
habitants. Soit 1 député pour 86.000 habitants. En
France, notre référence en tout et pour tout, il y a 577
députés pour une population de 65 millions d’habitants,
soit un député pour 113.000 habitants. En Allemagne,
une autre démocratie européenne, ce sont 709 députés
pour 83 millions d’habitants soit 1 député pour 117.000
habitants. Le Niger, un Etat de l’Afrique de l’ouest, a
171 députés pour 22 millions d’habitants soit 1 député
pour 129. 000 habitants. Le Mali, notre voisin
septentrional, c’est 147 députés pour 20 millions
d’habitants soit 1 député pour 137.000 habitants. De ce
qui précède, en tenant compte de ces ratios, la Côte
d’ivoire a besoin de seulement 170 députés. Nous
avons, donc, 85 sièges de députés de trop. Si on ajoute
aux 255 députés les 99 sénateurs, nous avons 354
parlementaires. Ce qui donne 1 parlementaire pour
62.000 habitants. C’est surabondant.
L’inflation parlementaire est une coutume politique
ivoirienne. En 1960, nous avions 70 députés pour une
population de 3.503.553 habitants soit 1 député pour
seulement 50.000 habitants. En 1980, il y avait 147
sièges de députés pour huit millions habitants soit un
ratio d’un député pour 54.000 habitants. En 2000, le
ratio était de 1 député pour 71.000 habitants, c'est-à-
dire, 225 députés pour 16.000.000 d’habitants. Par
ailleurs, les critères d’attribution des sièges laissent bien
d’interrogations. Pour éviter la polémique politicienne,

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je prends quatre communes sur l’ensemble du territoire
national. . Cocody, Bouaké, San-Pedro et Korhogo et je
prends pour référence le recensement général de la
population et de l’habitat de 2014. La première,
Cocody, compte 447 000 Habitants pour deux sièges de
député. Soit 1 député pour 238.000 habitants. La
deuxième, Bouaké, c’est 542. 000 habitants pour 4
sièges de députés soit 1 député pour 137.000 habitants.
La troisième, San-Pedro, c’est 261.000 habitants pour
deux sièges de députés. Soit 1 député pour 130 000
habitants. La quatrième enfin, Korhogo. La capitale du
Poro a 3 sièges de député pour une population de
243 000 habitants. Le ratio donne 1 député pour 81 000
habitants.
A ce stade de la réflexion surgit la question du
découpage électoral. Selon la loi électorale, le nombre et
l’étendue des circonscriptions électorales pour l’élection
des députés sont fixées par décret en conseil des
ministres sur proposition de la commission électorale
indépendante. Certes, c’est l’exécutif qui détermine et
conduit la politique nationale, il a donc une appréciation
objective de la cartographie électorale, mais pour une
meilleure sécurité juridique ne serait-il pas idoine de
laisser à la loi, c'est-à-dire aux parlementaires, le soin
de déterminer le nombre et l’étendue des
circonscriptions électorales ? La nouvelle législature qui
sortira des urnes le 6 mars prochain pourrait initier une
proposition de loi dans ce sens.
Je vous remercie.

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Geoffroy –Julien KOUAO, Politologue et Écrivain,
auteur de plusieurs essais dont :
-Côte d’Ivoire : La troisième république est mal partie, Plume Habile, 2016
-Et si la Côte d’Ivoire refusait la démocratie ?, Plume Habile, 2017
-Le Premier ministre : Un prince nu. Repenser la nature du régime
politique ivoirien. Plume Habile, 2018
-2020 ou le piège électoral ? L’indispensable réforme du cadre théorique,
juridique et institutionnel des élections en Côte d’Ivoire. Plume Habile 2019
-Côte d’Ivoire : Une démocratie sans démocrates ? La ploutocratie n’est
pas une démocratie

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