Bouaké: La justice française condamne 1 Biélorusse et 2 pilotes ivoiriens à la perpétuité pour assassinats

Introuvables depuis des années, les exécutants du bombardement d’une base militaire française en Côte d’Ivoire sont responsables de la mort de neuf soldats français.

Le Monde avec AFP

Jugés pour avoir perpétré, en 2004, un bombardement qui avait tué neuf soldats français à Bouaké, en Côte d’Ivoire, trois hommes ont été condamnés à la prison à perpétuité, jeudi 15 avril, par la cour d’assises de Paris. Ils n’étaient pas présents lors du procès.

Introuvables depuis des années, Yury Sushkin, un mercenaire biélorusse, Patrice Ouei et Ange Gnanduillet, deux officiers de l’armée de l’air ivoirienne, étaient notamment poursuivis pour « assassinats ». Tous trois se sont « attaqués sournoisement » à des soldats français membres d’une force de paix et « avec une préméditation certaine », a déclaré le président de la cour, Thierry Fusina.

Le verdict clôt une longue instruction française et trois semaines de procès. Près de quatre-vingt-dix témoins, quasi tous Français, se sont succédé à la barre, des rescapés du bombardement aux anciens ministres français de l’époque.

« Cette peine » de perpétuité, « je l’aurais requise dans les mêmes conditions si ces personnes étaient ici, si elles s’étaient défendues, parce que ce qui justifie cette peine, c’est la violence inouïe des faits », avait déclaré, lors de son réquisitoire, l’avocat général, Jean-Christophe Müller.

Le 6 novembre 2004, deux chasseurs déployés par l’aviation du président ivoirien, Laurent Gbagbo, pour attaquer les rebelles installés dans la moitié nord du pays ont bombardé par surprise un camp de la force de paix française, chargée de faire tampon entre les deux camps.

Avec neuf soldats tués, ainsi qu’un civil américain, et une quarantaine de blessés, c’est à l’époque l’attaque la plus sanglante subie par l’armée française en opération en plus de vingt ans. L’attaque « est caractérisée par une volonté préalable d’aller bombarder le camp français » et a été « dirigée » sur lui, a estimé M. Müller, pour qui « décoller avec deux avions de guerre armés de roquettes (…) semble l’expression chimiquement pure de la préméditation ».

A bord des avions se trouvaient des équipages mixtes composés d’officiers ivoiriens et de mercenaires slaves. MM. Gnanduillet et Sushkin, observés les jours d’avant le bombardement par des soldats français qui surveillaient la zone, ont été identifiés par les enquêteurs parmi les quatre pilotes ou copilotes. Pour l’accusation, M. Ouei est considéré au minimum « comme l’organisateur de l’opération » et très probablement comme un participant au raid, selon M. Müller.

Crise diplomatico-militaire

En représailles, Paris avait détruit le jour même l’ensemble de l’aviation militaire ivoirienne, ruinant son offensive en cours et déclenchant une crise diplomatico-militaire inédite entre la France et son ancienne colonie. Si la crise s’était apaisée au bout de quelques semaines, l’affaire était longtemps restée un contentieux entre la France et la Côte d’Ivoire, qui, comme la Biélorussie, n’a pas répondu aux demandes de mandats d’arrêt lancées par Paris contre les accusés. La justice ivoirienne a fait savoir que les deux officiers ivoiriens, promus au sein de l’armée l’année suivant le bombardement, ne pouvaient être poursuivis pour ces faits en raison d’une loi d’amnistie adoptée en 2007. Selon les autorités ivoiriennes, M. Gnanduillet est mort en 2015.

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La cour n’a pas apporté de réponses précises aux questions que les familles de victimes se posent depuis seize ans et demi : qui a donné l’ordre de tirer sur les Français, et pourquoi ? Elle a toutefois rappelé que la plupart des responsables français de l’époque accusent une partie de l’entourage du président ivoirien, des « extrémistes » hostiles à la France, proches notamment de la première dame, Simone Gbagbo.

Des dysfonctionnements en chaîne

L’affaire a été marquée par une série d’errements du gouvernement français de l’époque puis d’entraves à l’enquête qui ont semé le doute sur la volonté réelle de la France de faire toute la lumière sur cette affaire. A commencer par un épisode qui a occupé une bonne partie des débats du procès : l’incompréhensible refus de Paris, dix jours après le bombardement, de récupérer huit suspects biélorusses, dont M. Sushkin, arrêtés au Togo et que Lomé proposait de livrer à Paris.

Sur cet épisode comme sur d’autres, l’avocat général a semblé privilégier des dysfonctionnements en chaîne, regrettant qu’ils n’aient « pas donné lieu à des excuses », notamment de la part des anciens ministres de l’époque. Cela aurait « sans doute changé beaucoup de choses sur le plan de la confiance ébréchée » en l’Etat.

Certaines parties civiles soupçonnent des responsables français de l’époque d’avoir plombé l’enquête pour ménager M. Gbagbo, au nom de la « raison d’Etat » diplomatique. D’autres se demandent si la France n’a pas voulu éviter qu’on creuse trop sur ce bombardement perpétré par deux avions que la Côte d’Ivoire venait d’acheter à une sulfureuse figure de la « Françafrique », Robert Montoya, un ancien gendarme de l’Elysée devenu marchand d’armes.

Le Monde avec AFP

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