“La Côte-d’Ivoire n’a pas les moyens de faire face au chômage des jeunes’’ (interview, Gnamien Konan)

Serge Alain KOFFI

Ancien ministre ivoirien de la Fonction publique, puis de l’Enseignement supérieur entre 2012 et 2016, Gnamien Konan estime que “l’Etat de Côte d’Ivoire n’a pas les moyens de faire face’’ à une formation de qualité des jeunes ivoiriens pour résorber le chômage de plus en plus croissant des titulaires du Doctorat notamment, dans une interview à ALERTE INFO.

Qu’est-ce qui explique, selon vous, qu’il y ait autant de diplômés du Doctorat au chômage aujourd’hui en Côte d’Ivoire ?

Cela est tout simplement dû au fait que l’Etat n’a plus les moyens de faire face aux charges de formation de sa jeunesse. Pour que ces nombreux titulaires du Doctorat puissent enseigner, l’Etat doit non seulement pouvoir ouvrir de nouvelles universités et grandes écoles, mais surtout payer leurs salaires. Malheureusement, l’Etat ne peut pas parce qu’il n’a pas les moyens. Il y a aussi que la plupart de ces personnes ont des doctorats dans des filières qui n’ont aucune utilité. Avoir un doctorat en Histoire-Géo, Lettres modernes, Sociologie ? Criminologie ou Communication, qu’est-ce que cela apporte au pays ? Elles n’auraient jamais dû faire ces études. Dans le contexte actuel, il y a des filières où, les titulaires du Doctorat n’auront au meilleur des cas qu’une place d’enseignant dans un petit collège privé. Certains Ivoiriens me reprochent de ne pas aimer littéraires. Ce n’est pas vrai. Je ne supporte pas de voir mes petits frères, mes enfants, faire 20 ans d’étude et se retrouver au chômage. Quand j’étais ministre, j’avais, au cabinet, des docteurs dans des domaines très pointus qui étaient réduits au simple rôle de chargés d’Etudes. Tant qu’on ne créera pas les conditions de l’emploi, la situation va s’aggraver.

Il n’y a pas que des littéraires parmi ces personnes…

Dans tous les cas, un Doctorat, c’est pour enseigner au supérieur. Alors que l’Etat n’a pas les moyens de payer les enseignants, qui sont pourtant en déficit. La plupart des grèves à l’université sont liées aux heures supplémentaires. Si l’Etat avait les moyens de recruter en masse, pourquoi laisserait-il certains enseignants faire des heures supplémentaires ?

Certains docteurs que nous avons rencontrés évoquent plutôt un manque de volonté du gouvernement de créer les conditions de leur recrutement…

N’importe quoi. On ne peut prendre plus de 50% des ressources d’un pays pour payer les salaires. Sinon ce pays fera faillite. La norme, c’est 35%. L’Etat ne peut augmenter sans limite sa charge salariale. En Côte d’Ivoire, la masse salariale est trop importante. Il y a aussi que les étudiants, eux-mêmes, ne veulent pas payer plus cher pour leur formation alors que toute formation de qualité coûte chère. Ce que l’Etat fait, c’est du bricolage.

Le système de recrutement est jugé opaque par les docteurs eux-mêmes mais aussi par certains enseignants. Comment les choses fonctionnaient quand vous étiez ministre de la Fonction publique et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique ?

Chaque ministre vient et essaie de mettre de l’ordre comme il peut au vu des dérapages qu’il constate. Cela fait un peu longtemps que j’ai quitté le gouvernement mais je me rappelle avoir mis en place une commission. Et tout ce que je souhaitais, c’était que le recrutement se fasse dans la transparence sur la base du mérite. Et je puis vous assurer que ces choses ont été très transparentes lorsque j’avais en charge ces ministères.

Quelles sont les propositions que vous pouvez-faire pour résorber le chômage des docteurs en Côte d’Ivoire ?

On a besoin de former des travailleurs pas des diplômés. On forme des gens qui ne savent rien faire. Le système est mauvais. Il faut former les gens à un métier. Pour moi, il faut remplacer tous les lycées modernes par des lycées techniques et professionnels. Il faut que l’Etat fasse en sorte que chacun ait un métier. Si les jeunes ivoiriens ont tous un métier, certains parmi eux pourront soit se faire embaucher par l’Etat, soit créer leur propre entreprise ou se faire recruter par un privé.

Quand vous étiez ministre, on se rappelle, que vous aviez suggéré la suppression de quelques filières en sciences humaines et sociales. Souscrivez-vous toujours à cette idée ?

Je proposais plutôt qu’on crée une plateforme sur laquelle on pourrait par exemple demander à tous les diplômés chômeurs de s’inscrire par filières. On se donne quelques années pour essayer de trouver du travail aux diplômés des filières dans lesquelles on a un bon stock par rapport à notre marché du travail, avant de former encore de nouveaux étudiants dans ces mêmes filières. L’objectif sera d’orienter les étudiants vers les filières ou il y a plus de débouchés. Aujourd’hui en Côte d’Ivoire, il doit avoir près de 50.000 jeunes qui font le Droit. Je me pose la question de savoir combien y a-t-il de places disponibles pour les métiers du Droit (juges, huissiers, notaires, avocats, etc..) dans le pays pour qu’on forme autant d’étudiants en Droit ? Je ne m’attaque pas aux filières. Et je ne proposais pas qu’on en supprime. J’estime simplement qu’il faut suspendre ou réduire celles où il n’y a pas de débouchés.

Alerte info/Connectionivoirienne.net

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