Côte-d’Ivoire: Fallait-il reformer ou interdire purement l’agri-business ?

Au tout début de l’année 2017, l’Etat ivoirien a saisi les comptes des sociétés d’agri-business et mis fin à leurs activités. Les enquêtes avaient montré que ces structures rémunéraient leurs souscripteurs sur un modèle pyramidal, les fonds des entrants permettaient de financer les gains des sortants, sans passer par la réalisation des champs. Cela était possible du fait du fort engouement suscité chez les travailleurs, notamment les fonctionnaires qui avaient massivement souscrit à ces placements.

Pourtant de 2008 à 2014 / 2015, les souscripteurs étaient effectivement rémunérés sur la base des récoltes issus des champs. Mais à partir de 2015, le modèle a été victime de son succès. Par milliers les fonctionnaires ont commencé à souscrire. C’est alors que les promoteurs se sont rendus compte qu’on pouvait verser les sommes promises sans réaliser les champs, en répartissant les souscripteurs par vagues, en fonction du rythme des souscriptions. C’est le schéma pyramidal.

Ce système ne fait pas fructifier l’argent de par lui-même. Il n’y a pas de production de richesses. C’est juste de la redistribution qui est opérée. L’argent ne travaille pas, donc ne s’accroît pas. Il y a des gagnants, et donc mathématiquement des perdants. Un nouveau souscripteur est de facto perdant, jusqu’à ce que plusieurs personnes viennent souscrire après lui et ainsi de suite. Il reçoit ses gains de ceux qui rentrent.

Il faut donc savoir une chose, même si l’Etat n’était pas intervenu, le système se serait écroulé, car la pyramide de ponzi s’écroule toujours parce qu’elle ne produit rien. Or les dommages auraient été bien plus importants si le système avait perduré. Tous les fonds auraient été retirés des banques et des assurances pour converger vers ces structures, sans pour autant qu’il y ait une croissance du PIB. L’Etat ivoirien était dans son rôle en ordonnant la cessation des activités. C’était illégal, c’était de la tricherie.

Pourtant ce modèle a bien fonctionné dans le secteur de l’hévéa au cours des années 1990 et 2000. La production a connu un boom extraordinaire, le pays est devenu le premier producteur africain. Personne n’ a entendu parler d’un système pyramidal. L’hévéa est aujourd’hui le troisième produit de rente , derrière le café et le cacao. C’est un résultat qu’on doit directement à l’agri-business.

C’est dire que les choses auraient pu fonctionner avec la production vivrière si ces structures ne s’étaient pas livrées à des malversations. Ces malversations ne changent en rien le formidable potentiel de l’agri-business, qui reste un outil prometteur si les fonds convergent effectivement vers les champs. La CI figure en tête de plusieurs produits qui se cultivent en Afrique, et qui font l’objet de commerce international. Pourtant sa production vivrière est souvent déficitaire, ce qui entraîne des pénuries et la flambée des prix, à l’image de la période actuelle.

Aujourd’hui le pays est redevenu une destination favorite pour des populations d’Afrique de l’Ouest, mais aussi du Centre, du fait de sa croissance. La demande locale est forte car il y a du monde sur place. L’industrie incorpore de plus en plus les produits locaux, tandis qu’ une partie de la production est exportée vers la sous-région. Tous ces facteurs conjugués créent des tensions sur l’approvisionnement. Comment produire plus et plus vite ? La question est essentielle pour ce pays.

Dans ce contexte, fallait-il bannir sur toute la ligne l’agri-business ? N n’était-il pas possible de recadrer ce modèle ? Ne pouvait-on pas prendre des dispositions pour faire converger les fonds des souscripteurs vers la création effective des champs ? Si tel avait été le cas, la flambée des prix que nous connaissons aurait été fortement atténuée. Elle n’aurait pas concerné les denrées vivrières.

L’agri-business est un outil qui a été utilisé à des intentions malveillantes en raison de l’absence de textes régulant l’activité, et de surveillance des structures. Cependant il ne s’agissait pas de casser le système et s’arrêter là, mais poursuivre en mettant en place des balises claires pour s’assurer que désormais les fonds seraient bel et bien investis dans la réalisation des champs. Il ne fallait pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

Pourquoi se priver d’un outil qui peut faire merveille s’il est correctement utilisé ? Le pays a le potentiel de nourrir sa population, et aussi d’exporter sa production vivrière. Mais l’objectif sera difficilement atteint si un système de type agri-business ne se met pas en place pour drainer de façon massive les financements des particuliers. Ce canal est la voie de sortie pour notre agriculture vivrière.

Nos autorités ont fait preuve de rigidité et de précipitation en interdisant purement et simplement ce modèle. Elles doivent sortir de leur immobilisme et mettre en place un cadre juridique clair pour l’utilisation du modèle de l’agribusiness, le tout sous la supervision d’une autorité de régulation et de contrôle, qui à l’instar du conseil café-cacao, fonctionnera grâce à des retenues réalisées sur le secteur. C’est l’économie ivoirienne qui en sortira gagnante.

Douglas Mountain oceanpremier4@gmail.com

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