7 mois après les violences post-électorales d’octobre 2020 quelle paix en Côte-d’Ivoire ?

Lebanco.net

Toumodi fait partie des villes qui ont été secouées par les actes de violence ayant émaillé l’élection présidentielle du samedi 30 octobre 2020. Un peu plus de sept mois après ces faits traumatisants, nous sommes allés constater de visu le climat social qui prévaut à Toumodi.

Chef-lieu de la région du Bélier, la ville de Toumodi est située à 199 km d’Abidjan. Cette agglomération urbaine qui est la première grande ville que l’on rencontre en sortant d’Abidjan par de Yopougon-Gesco, en direction de la zone Centre du pays, a été le théâtre de violents incidents le samedi 30 octobre 2020, jour de l’élection présidentielle. Le mercredi 19 mai 2021, nous rallions cette cité au bout trois heures de route, par car. Sur place, en sillonnant les rues de certains quartiers de la ville, nous constatons que la vie a repris son cours habituel. Par d’incessants coups de klaxons assez énervants, certains chauffeurs de taxi attirent l’attention des clients. Les autres, qui ont leurs véhicules déjà chargés, cherchent à se frayer un chemin pour avancer. Assis derrière leurs étals, les vendeurs de divers articles installés à différents coins de rues et dans les marchés, attendent impatiemment les clients. Le long des routes, on voit passer de nombreuses personnes, parmi lesquelles figurent des élèves qui, tout naturellement se rendent à l’école. Bref, c’est une ambiance normale qui prévaut dans cette ville.

Une ambiance apparemment normale

La vie a apparemment repris son cours normal, mais la ville garde encore les traces et souvenirs des actes de violence perpétrés au moment de la dernière élection présidentielle. Plusieurs habitants sont encore sous le choc. Ils ont le cœur meurtri parce que psychologiquement troublés. Nombre de personnes, victimes comme parents de victimes, attendent des actes sacrificiels de purification des lieux souillés par le sang versé. Et surtout, des actions de dédommagements, pour les nombreux dégâts subis. Des attentes et sentiments qui démontrent bien qu’en dépit des actions qui ont été menées jusque-là, la situation de paix qui prévaut, reste toujours fragile. Par conséquent, il y a encore du travail à faire, pour ne pas dire des défis à relever à ce sujet.

Les principales victimes des violences autour de l’élection présidentielle d’octobre 2020 se comptent parmi les habitants de Toumodikro et du marché Nago. Au nombre de ceux de Toumodikro, Jacob Yahot, l’un des cadres. C’est le jeudi 20 mai, au lendemain de notre arrivée à Toumodi, que nous nous rendons dans le village de Toumodikro, aux environs de 9 heures. Un jeune homme rencontré au niveau du marché, nous indique le domicile de Jacob Yahot.

Le décor qui se présente, après que nous avons franchi son portail, est chaotique. Sur le flanc gauche, les gravats de la maison, entièrement détruite, jonchent encore le sol. Les tôles, qui ont fini par se rouiller avec le temps, traînent aussi à terre. Du côté opposé, se trouve une habitation en partie entourée d’une bande en plastique jaune et noir de la Police, portant la mention “Expertise police technique et scientifique”. Incendiée au cours des affrontements, la maison en garde encore des traces. La plupart des murs sont noircis de fumée et fissurés. Ravagées par le feu, certaines fenêtres et portes n’existent plus que de nom. On aperçoit, à l’intérieur de la maison, les débris des objets et autres équipements partis en fumée. De nombreux gravats sont éparpillés sur le sol. Bref, le triste effet des hostilités est encore visible. Cependant, certains bâtiments de la cour ont été épargnées.

Deux filles vêtues d’uniforme de collégienne, couchées sur une natte, dont une manipulait un téléphone portable, font savoir que Jacob Yahot est dans la cour voisine. A quelques pas de cette maison, où nous nous rendons instantanément, nous entendons des pleurs. Assis sur des chaises et quelques bancs, à l’ombre d’un arbre planté au milieu de la cour, certaines des personnes présentes sont en larmes. En particulier les femmes. Jacob Yahot, qui s’entretenait avec certains des visiteurs, nous rejoint par la suite, d’un pas lent. L’homme, qui selon son apparence, serait âgé de plus de 70 ans. Il salue froidement et prend place à côté du dénommé Kouamé Henri, ancien chauffeur de car de transport, un de ses proches parents.

Le visage plutôt triste, il ne semblait pas disposé à nous écouter ni répondre à nos préoccupations. C’est Kouamé Henri qui prend la parole et nous explique : « Il est soucieux, car son cousin Kouamé Kouakou François, est décédé ce matin (Ndlr le jeudi 20 mai 2021) à 4 heures au CHU de Cocody. Il y avait été évacué en urgence deux jours auparavant ». Kouamé Kouakou François, qui était le président des jeunes de Toumodikro, a perdu la vie parce qu’il n’a pas pu supporter les incidents survenus le jour de la présidentielle. « Sa tension artérielle est montée, parce que sa maison a été incendiée. Il était contraint de vivre chez l’un de ses cousins à Toumodi », tient à préciser l’ancien chauffeur. En parlant, il montre de la main droite les dégâts causés par l’incendie sur la maison du disparu. Les traces de fumée sont encore perceptibles sur les murs et le reste des tôles, qui ont pu résister à la furia des flammes. Les autres maisons de la cour ont été aussi saccagées. La carcasse d’une motocyclette entièrement calcinée se trouve devant l’une des maisons. Kouamé Henri s’apprête à reprendre la parole quand arrive une dame, qui pleure à chaudes larmes. Elle se dirige directement vers la porte d’entrée de la maison du défunt, se jette sur le sol et pleure de plus belle en parlant en langue baoulé. La douleur qu’elle ressent est partagée par les membres de l’assistance.

Profitant du calme, Kouamé Henri reprend la parole pour faire une aveu de taille : les habitants de Toumodikro ne sont pas encore psychologiquement disposés à aller au pardon et à la réconciliation. Aucune action n’a été posée à leur endroit à ce sujet. Au surplus, le village a payé un lourd tribut fait de pertes en vie humaines et de dégâts matériels.

Le porte-parole a voulu, à travers ces affirmations, souligner que la paix qui règne dans la commune n’est pas enracinée. Il revient à la charge pour donner un dicton populaire ainsi libellé : « C’est l’eau du poisson qu’on utilise pour préparer le poisson ». Il faut un processus pour un retour véritable de la paix. A savoir, reconstruire les maisons démolies, ensuite mandater des sages pour prôner un message de paix aux victimes. Et au bout du compte, que le gouvernement dépêche un ou des émissaires pour appuyer les actions menées précédemment. Ces émissaires devront demander pardon et remettre de l’argent. Sans quoi, tout ce qui sera entrepris selon lui, ne pourra pas produire les résultats escomptés. Perdu dans ses pensées, Jacob Yahot, ne bronche pas. Il laisse Kouamé parler. De temps en temps, il se lève pour saluer des visiteurs.

« De quelle paix parlez-vous ?! »

Approché pour recueillir leur avis au sujet des actions qui ont été menées pour le retour au calme suite aux hostilités, un des visiteurs ayant refusé de nous décliner son identité, affirme sur un ton de colère : « De quel calme parlez-vous ? De quelle paix parlez-vous ? Peut-on parler de paix quand plusieurs familles dorment encore hors de leurs maisons parce qu’elles ont été saccagées? Il y a un proverbe de chez nous qui dit : « on ne reste pas dans les fourmis magnans pour enlever celles qui vous sont montées dessus ». Selon ses précisions, le dicton signifie qu’il faut résoudre les problèmes créés par la crise à la base. Il s’agit en priorité, de la reconstruction des maisons détruites ou incendiées.

Intéressés par notre entretien, tous ceux qui étaient à côté, ont commencé à se prononcer sans avoir été interrogés à ce propos. Pour eux, il est urgent de régler la question de la reconstruction de toutes les habitations, qui ont fait les frais des hostilités. «Sillonnez le village pour comprendre l’ampleur des dégâts », s’exclame l’un d’entre eux.

La maison située en face de celle du défunt est abandonnée. Les tôles sont en partie détruites. La villa contiguë à cette dernière, opposée à celle de Jacob Yahot est également à l’abandon. Plusieurs habitations du village ont d’ailleurs été désertées. Quelques rares d’entre elles sont habitées. Au nombre de celles-ci, la demeure de la grande sœur de Kouadio Laurène, que nous trouvons en train de faire la lessive. Malheureusement, la maison de l’une des voisines a été totalement calcinée. Nous étions en train d’échanger avec Laurène, quand la voisine en question est arrivée en compagnie de sa petite sœur. Il s’agit de Allah Affoué Florence et sa petite sœur Allah Akissi Yolande.

« Nous n’avons pas encore pardonné »

Cette dernière, aide-soignante au dispensaire de Cocody, indique que les faits se sont déroulés, alors qu’elle était venue en congé chez sa grande sœur. Certains de ses proches ont perdu la vie au cours des incidents. Selon un témoignage qui lui a été rapporté par deux jeunes hommes présents lors des faits, la petite sœur à sa mère, la fille et le fils à cette dernière, ainsi que la femme de son fils, sont morts incendiés dans l’une des maisons de la cour de Jacob Yahot, le dimanche 1er novembre entre 12 heures et 14 heures. « Ma sœur et moi y avons échappé de justesse. Car nous sommes sortis le samedi nuit, après avoir appris que des jeunes, qui ont été repoussés après avoir tenté en vain d’agresser les habitants au moment du vote, ont promis de revenir. Tout le contenu de la maison de ma grande sœur est parti en fumée. Rien n’a pu être sauvé, y compris mon nouveau matelas et les bouteilles de gaz butane. Si je n’étais pas venue au village à cette période, certainement que ma sœur, qui est malentendante, ne serait plus de ce monde », raconte dame Allah Akissi Yolande.

En dépit du climat qui prévaut, selon elle, « il n’y a pas de paix à Toumodikro. Nous ne pouvons pas parler de réconciliation dans ces circonstances. Nous n’avons pas encore pardonné ». Elle compare la situation qui prévaut à une plaie cicatrisée en surface mais encore vive à à l’intérieur. « Ici à Toumodikro, nous avons encore mal. Quand je reviens et que je revois les ruines, j’ai mal. Nos parents sont morts pour rien. Quand je pense que j’aurais pu mourir aussi, j’ai encore plus mal », affirme l’aide-soignante, qui signale que sa sœur et elle viennent du cimetière municipal, où elles sont allées se recueillir sur les tombes des quatre défunts.

Avec des trémolos dans la voix, elle se pose la question de savoir ce qu’ils ont bien pu faire pour avoir été tués si atrocement.

Jérémy Junior

Envoyé spécial

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