Réponse à Alafé « Il n’y a pas de différence entre un coup de force constitutionnel et un coup de force militaire … »

Par Docteur Sékou Oumar Diarra

Non, cher frère et condisciple Alafé Wakili (j’utilise le terme condisciple parce que je sais que tu es philosophe à la base et que nous avons eu les mêmes Maîtres : je pense notamment à feu le professeur Dibi Kouadio Augustin, au professeur Niamkey Koffi, au professeur Komenan Aka Landry …), un coup de force constitutionnel n’est religieusement, éthiquement et politiquement, en rien, différent d’un coup de force militaire, dans la mesure où tous les deux constituent un déni des normes démocratiques et républicaines, une grave transgression de la Loi fondamentale d’un pays, d’une Nation, consacrent et célèbrent l’illégitimité, l’illégalité, l’anarchie, la violence qui, au fil du temps, n’ont de cesse de réduire la marge entre les animaux, êtres dépourvus de raison et de conscience, et nous. C’est malheureusement dans les États africains et de l’Amérique latine qu’on peut constater cet acharnement à la limite du compulsif à n’avoir aucun égard pour des règles et conventions qu’on se donne pourtant librement.

Même en forçant une distinction entre les deux expressions, la seule différence qu’on pourrait concéder, réside dans le mode opératoire et les moyens utilisés : l’un s’opérant en modifiant et triturant tendancieusement la Constitution à l’effet d’assouvir des agendas et des objectifs personnels en conflit ouvert avec les dispositions légales et, l’autre, s’effectuant en utilisant des armes, la force, la violence. Cependant, ces deux formes de pronunciamiento exposent le pays ou la Nation dans lesquels ils sont perpétrés aux mêmes conséquences : l’anarchie, un semblant de retour nostalgique à l’état de nature, l’anomie, la violence, des assassinats ciblés et des tueries issues de manifestations de rue, des règlements de compte, la destruction de biens publics et privés, un règne durable de l’injustice et toutes ces dérives et manquements attentatoires à la salubrité de l’aire socio-politique.

Une Constitution, en tant que Loi fondamentale fixant l’organisation et le fonctionnement d’un État ou d’une Nation, constitue, au même titre que la culture, l’âme d’un peuple, de populations qui y projettent leurs valeurs, leurs principes, leurs visions et conceptions de l’organisation socio-politique, de la gestion de la chose publique, leur cosmogonie. Elle s’apparente donc à une boussole, un guide. Respectée et vénérée, elle assure ordre et stabilité au pays, à la nation comme c’est le cas dans les démocraties les plus avancées. Hasardez-vous à ourdir et à exécuter un putsch constitutionnel ou militaire en France, en Allemagne ou aux États-Unis d’Amérique qu’on vous regardera et vous assimilera à des extra-terrestres totalement étrangers aux mœurs politiques et républicaines en vigueur dans ces pays. Le simple regard chargé d’un ictus de désapprobation des citoyens vous dissuadera à mettre en branle votre projet de déstabilisation dans la mesure où, dans ces pays, on ne peut jouer, encore moins ruser avec les dispositions légales qui s’imposent à tous avec la même rigueur. Ils sont éduqués aux canons qui fondent la démocratie libérale et le républicanisme et affichent une claire conscience du fait qu’une Loi fondamentale, expression de la volonté générale, régulièrement violée, piétinée, caviardée, finit toujours par se muer en cette boîte de pandore ouverte d’où s’échappent les démons d’une déstabilisation pérenne, de la désagrégation pernicieuse des bases de la nation, de la déshumanisation de l’homme, de la licence, du désordre, de la violence, de l’iniquité …

En somme, même en poussant l’insincérité et le manque d’objectivité jusqu’à leur summum, on ne peut établir de démarcation sérieuse entre un coup d’État constitutionnel et un coup d’État militaire, car constituant tous deux, les facettes d’une même réalité : la phobie de la Loi et de ses implications. On ne peut donc ouvrir les bras à un pronunciamiento constitutionnel, l’encenser et dans le même temps, tirer à boulets rouges sur un coup de force militaire qui est son pendant logique. C’est un non-sens grotesque et un intellectuel sérieux ne devrait pas se le permettre. Je clos mon argumentation en rappelant cet extrait des Lettres écrites de la montagne (Huitième Lettre) de Jean-Jacques Rousseau :

« On a beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté, ces deux choses sont si différentes que même elles s’excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle pas un État libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui, elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre, et régner, c’est obéir. Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois : dans l’état même de nature, l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n’obéit qu’aux lois et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu’on donne dans les républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l’enceinte sacrée des lois : ils en sont les ministres, non les arbitres, ils doivent les garder, non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son gouvernement, quand dans celui qui le gouverne, il ne voit point l’homme, mais l’organe de la loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain (…) ». Dieu nous garde !!!

Docteur Sékou Oumar Diarra
Philosophe – Analyste politique
Diarra.skououmar262@gmail.com

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