Les paroles saines de Pierre Sané

Le Sénégalais Pierre Sané était au congrès constitutif du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI). Le 17 octobre 2021, il y a prononcé une allocution qui a marqué les esprits tant elle tranche par sa lucidité et sa franchise.

Ceux qui veulent du mal aux Africains, ceux qui leur pourrissent la vie depuis des décennies mais qui ont toujours avancé masqués et avec des paroles doucereuses, Sané n’a pas été tendre avec eux.

L’ancien secrétaire général d’Amnesty international commença par se présenter comme “membre dissident depuis que le Parti socialiste du Sénégal a trahi Laurent Gbagbo”. Il était important qu’il fasse cet aveu car Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse, Abdou Diouf et d’autres, quoique prétendant adhérer aux valeurs socialistes, n’avaient point hésité à dérouler le tapis rouge aux rebelles ivoiriens, à rigoler et à dîner avec eux, à hurler avec les loups français contre Laurent Gbagbo, à réclamer un châtiment exemplaire pour celui qui refusait de se soumettre à la France. Seul Amath Dansokho, qui n’appartient pas au Parti socialiste du Sénégal, s’abstint de tourner le dos au frère et ami ivoirien dont le seul crime était de défendre les intérêts de son pays.

Qui sont ceux qui n’ont jamais arrêté de nous rabaisser et de nous combattre ? Voici la réponse de Sané : “Ça fait 500 ans que la France et l’Occident nous font la guerre. Il faut qu’on identifie nos ennemis et qu’on puisse marquer sur le front de ces gens-là, E N N E M I S.” Il ajoute : “L’heure est venue ! Avec l’ennemi, on crée un rapport de force. Allons-y !”

Alors que l’ennemi est sans état d’âme, l’Africain, lui, verse facilement dans une sensiblerie qui frise la stupidité. Une stupidité qui le conduit à faire l’éloge des liens soi-disant historiques entre la France et son continent au lieu de se demander si cette relation lui profite vraiment. C’est cette stupidité qui a poussé des jeunes ne représentant qu’eux-mêmes à parler des problèmes du continent à Montpellier avec une France aux abois et en perte de vitesse dans ses ex-colonies. C’est la même stupidité qui fait que certains “intellectuels” africains invitent un jour les Africains à se détourner de la France parce qu’elle ne serait pas le centre du monde et, un autre jour, demandent à la même France de financer la démocratie en Afrique. Tout se passe comme si nous avions peur de vivre sans l’ancien maître ou de nous affranchir de son étouffante tutelle. Pourtant, la manière dont nous avons été traités jusqu’à maintenant devrait nous ouvrir les yeux et nous faire adopter un comportement différent. Le massacre, au camp de Thiaroye (Sénégal) le 1er décembre 1944, des 300 tirailleurs africains après que ces derniers eurent contribué à libérer la France de l’occupation nazie, la fin tragique des Um Nyobè, Félix Moumié, Lumumba, Olympio, le génocide rwandais dans lequel des historiens français ont reconnu en mars 2021 la responsabilité de la France, l’assassinat de Mouammar Kadhafi, les bombes lancées sur la résidence qui abritait Laurent Gbagbo et sa famille, tout cela devrait nous rendre plus lucides et plus vigilants. En d’autres termes, les Africains se feront respecter, non en se résignant ou en se laissant faire, mais en sortant de la naïveté et de la superficialité. Ils deviendront forts, non en demeurant dans une relation qui ne leur apporte rien, mais en cheminant avec les peuples qui peuvent réellement les faire progresser. Thomas Sankara le préconisait déjà le 4 octobre 1984 devant l’assemblée générale de l’ONU quand il déclarait : “Nous avons jusqu’ici tendu l’autre joue. Les gifles ont redoublé. Mais le cœur du méchant ne s’est pas attendri. Ils ont piétiné la vérité du juste. Du Christ ils ont trahi la parole. Ils ont transformé sa croix en massue. Et, après qu’ils se sont revêtus de sa tunique, ils ont lacéré nos corps et nos âmes. Ils ont obscurci son message. Ils l’ont occidentalisé cependant que nous le recevions comme libération universelle. Alors, nos yeux se sont ouverts à la lutte des classes. Il n’y aura plus de gifles.”

La République centrafricaine et le Mali ne veulent plus laisser personne les gifler. Ils sont en train de créer un rapport de force grâce à l’appui militaire de la Russie. Celle-ci est accusée par les autorités françaises de “captation de pouvoir” en Centrafrique via les mercenaires de force Wagner, ce qui peut prêter à sourire car les dirigeants français seraient incapables de prouver qu’ils n’ont jamais eu recours à des mercenaires pour renverser tel régime ou sauver tel autre régime en Afrique. Bob Denard et Paul Barril étaient-ils de nationalité russe ? La France peut-elle donner des leçons aux autres quand il est de notoriété publique que “tous les présidents de la Ve République ont laissé faire, sinon provoqué des opérations mercenaires” (cf. François Dominguez et Barbara Vignaux, “La nébuleuse des mercenaires francais” dans ‘Le Monde diplomatique’ d’août 2003, pp. 4-5) ? Le Mali n’a-t-il pas le droit de faire appel à un autre pays jugé plus efficace et plus sincère si la France s’est montrée complice des terroristes qu’elle était censée combattre ?

Jean-Claude DJEREKE

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