L’étudiant ivoirien menacé d’expulsion libéré à Bruxelles, Esther Kouablan (MRAX) lance un appel à l’État Belge

Par Dasse Claude

Directrice du MRAX (Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie), Esther Kouablan appelle l’État de Côte d’Ivoire à la vigilance. « On attend de l’État ivoirien qu’il soit attentif dans le dossier et si nécessaire, qu’il demande l’application des accords existants », dit-elle. « On attend des autorités belges qu’elles prennent leurs responsabilités dans l’intérêt de l’étudiant», ajoute-elle.

Esther Kouablan est au cœur du dossier relatif au jeune étudiant ivoirien, Yao Kouakou Hermann, arrêté et incarcéré à Bruxelles dès son arrivée sur le territoire belge. Nous l’avons jointe dans la matinée du 10 novembre 2021. Elle interpelle les autorités ivoiriennes. Interview !

Pouvez-vous nous expliquer exactement de quoi il est question et à l’instant où nous échangeons, où en est-on avec le dossier qu’on pourrait appeler « l’affaire Yao Kouakou Hermann, l’étudiant ivoirien emprisonné en Belgique » ?

Monsieur Yao Kouakou Yves a obtenu une inscription en Master en communication à l’UCL (Université Catholique de Louvain). Il a pu introduire sa demande de visa début août. Il obtient son visa le 10 octobre. Il prend l’avion et arrive en Belgique le 27 octobre. À son arrivée à l’aéroport de Zaventem, il est interpellé par la police des frontières pour un contrôle plus approfondi des raisons de son entrée sur le territoire belge. Suite à cette interpellation basée sur un profilage ethnique comme cela se pratique en Belgique-il était le seul noir parmi les passagers de son vol, il est arrêté et écroué dans un centre fermé, qui est une prison de transfèrement, de rapatriement.

L’Office des étrangers à partir de cela, décide de le rapatrier le 07 novembre. Mais tout rapatriement passe par la délivrance d’une décision de justice. On commet à Monsieur Yao Kouakou Yves un avocat pro deo (commis d’office) qui prend en charge le dossier et va le représenter le jeudi 04 novembre devant le Conseil des Contentieux des Étrangers (CCE). Monsieur Yao Kouakou Yves et son avocate gagnent le procès contre l’OE (Office des Étrangers), qui lui reproche d’être venu en retard …

Pour info, il faut savoir que tout visa pour venir en Belgique est décidé par l’office des étrangers qui instruit tous les dossiers depuis la Belgique, raison pour laquelle les dossiers restent en traitement parfois deux, voire trois mois. Le procès a donc lieu le 04 novembre et le verdict du CCE est sans appel : la décision de l’OE est cassée et le juge demande la libération de Monsieur Yao Kouakou Yves. Il est donc prévu qu’il soit libéré le vendredi 05 novembre 2021. Après les formalités administratives d’usage. Mais quelques heures après cette heureuse décision, l’OE dépose une nouvelle demande de rapatriement. C’est seulement le vendredi 05 octobre vers 21h-21h30 que je suis saisie du dossier.

Je suis Directrice du MRAX (Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie), et je suis également membre du Collectif Libérer Junior créé par un groupe d’acteurs de la société civile pour défendre le cas d’un jeune étudiant congolais arrêté dans des conditions similaires environ deux mois avant Monsieur Yao Kouakou Yves. Ce collectif a donc décidé d’être sur le terrain et de continuer à défendre les intérêts des étudiants d’origine africaine qui subissent ces injustices aux frontières de la Belgique.

C’est donc ainsi que j’informe le collectif et nous nous mettons à la tâche pour faire libérer le jeune homme en mettant en branle nos réseaux : médias, politiques…

Prise de contact avec la famille et le concerné lui-même. Il faut dire que la Belgique a un fonctionnement parfois qui désarçonne. C’est le même office qui a accordé le visa qui décide d’expulser le jeune. J’ai pu lui rendre visite hier. L’ambassadeur que nous avons rencontré hier (mardi 9 novembre 2021 : Ndlr), lui a également rendu visite avec le consul. Il a obtenu la protection consulaire ivoirienne.

Et sur place, qu’est-ce qui est fait sur le terrain pour exiger sa libération ?

Les associations d’étudiants à l’UCK et d’autres Universités en Belgique qui sont dans notre réseau depuis le cas Junior, sont également mobilisées sur le terrain depuis le début de la semaine pour exiger sa libération. Le deuxième procès, qui n’est pas un procès en appel, aura lieu aujourd’hui (mercredi 10 novembre 2021 : Ndlr) à 11h. A nouveau, nous serons devant le CCE. Nous avons mobilisé sur le terrain pour une action devant le CCE. J’ai pu échanger hier avec son avocate qui est très confiante dans l’aboutissement du dossier de Monsieur Yves Yao Kouakou.

Mais dites-nous ce qu’on lui reproche exactement car, vous disiez qu’il était le seul Noir dans l’avion. Est-ce une raison ?

Selon Yves, il était le seul africain subsaharien parmi les passagers de son avion. Est-ce donc un délit de faciès ? un profilage ethnique ? Les reproches, selon l’OE, c’est qu’il serait venu en retard, ce qui est faux ! Il était bien dans le temps, Que sa réservation de 3 jours d’hôtel était trop peu pour lui permettre de trouver un logement, ce qui n’est pas juste car il a des amis ici qui étaient prêts à l’héberger le temps qu’il trouve un logement, Qu’il a attendu trop tard après l’obtention de son visa pour voyager.

On lui reproche d’être venu en retard d’où ?

C’est la police aux frontières qui estime que comme la rentrée a déjà commencé, il est tard pour lui. Alors que l’UCL lui a délivré le jour de son arrivée, les documents pour faire sa carte d’étudiants. Il n’avait aucun retard, puisqu’il était dans les délais. Il venait d’échanger avec l’UCL par mail quelques minutes avant son arrestation. Un étudiant avec un visa régulier qui est arrêté et enfermé dans ces conditions, le traumatisme est énorme. Les blessures profondes. Ce qu’il faut comprendre, c’est que dans ce type de dossiers, les raisons de l’Office de l’étranger changent, selon l’évolution de la situation. Le premier jour de l’arrestation, c’était le retard, puis dans leur seconde demande, les raisons ont évolué pour être ce que je vous ai citées plus haut. C’est tout comme dans le dossier Junior Massudi.

Après donc la visite de l’ambassadeur, qu’attendez-vous de l’Etat ivoirien ?

Il ne s’agit pas ici de l’État ivoirien. Mais il s’agit plutôt ici d’attentes envers les autorités belges. On attend des autorités belges qu’elles prennent leurs responsabilités dans l’intérêt de l’étudiant. C’est un délit flagrant des droits de l’homme et d’un traitement inhumain pour ce jeune étudiant qui est en possession d’une inscription et d’un visa étudiant en règle. Sa place n’est pas dans une prison de transit mais au cours comme ses camarades étudiants. Il n’est pas rentré de façon illégale sur le territoire. Il est inscrit en Master qu’on lui permette de suivre les cours pour lesquels il est venu en Belgique, tout simplement. Tous ses documents sont en règle.

L’AGEL, tout comme notre Collectif a saisi le Recteur de l’UCL. À cet effet, et nos contacts académiques ont également saisi l’UCL. L’inscription de l’étudiant n’est aucunement remise en cause. Tous les élus impliqués dans le cas de Junior Massudi ont été aussi saisis, tout comme les partis politiques et ont réagi pour dénoncer cette arrestation arbitraire. Il faut qu’à un certain moment, les autorités Belge (surtout la police aux frontières), respectent les citoyens qui rentrent LÉGALEMENT sur son territoire pour venir étudier afin qu’on n’assiste plus à ces comportements qui pour nous (le collectif Libérez Junior Massudi), sont des dérives graves, susceptibles de mettre à mal une cohésion sociale inclusive.

Claude Dassé
Afrikipress.fr

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