La France doit-elle être tenue pour responsable de la situation dans le Sahel ?

Aujourd’hui les populations du Sahel (Mali, Burkina, Niger) entretiennent une forte hostilité à l’égard de la France. Elles estiment que les djihadistes ne réussissent à frapper que parce qu’ils bénéficient d’une « complicité » de la France. Pour beaucoup, la France tout simplement « arme » les djihadistes. Des intellectuels et une partie de la classe politique de ces pays abondent dans ce sens sur les réseaux sociaux, contribuant ainsi à entretenir un climat total de confusion, un brouillard sur l’action réelle de la France. Devant la recrudescence des massacres, on peut comprendre le désespoir de ces populations. Mais faut-il laisser de telles théories s’enraciner dans la mentalité collective ? Faut-il laisser un tel diagnostique prospérer ?

L’intervention formelle de la France au Sahel date du 13 Janvier 2013. Ce jour-là, des avions ayant décollé du Tchad ont entrepris des frappes massives sur des colonnes djihadistes composés de dizaines de pick-up qui fonçaient en direction des villes de Ségou et de Mopti, derniers verrous avant Bamako. Le Président malien d’alors, Dioucounda Traoré ( il dirigeait en ce moment une transition) avait lancé un appel à l’aide. L’armée malienne, qui avait déjà perdu tout le Nord du Mali en 2012, n’ a opposé aucune résistance. Cette intervention de l’aviation a stoppé net l’offensive des djihadistes, et empêché la chute de Bamako. Si la France n’avait pas réagi, le Mali serait aujourd’hui « une Somalie en Afrique de l’Ouest », un territoire partitionné entre plusieurs groupes djihadistes, plus ou moins rivaux les uns des autres. Ce point ne doit pas être perdu de vue quand on veut émettre un jugement sur l’action de la France au Sahel.

L’armée malienne était pratiquement défaite dans une guerre qui n’était en ce moment, pas encore assymétrique. C’était une guerre conventionnelle, les djihadistes ne procédaient pas comme aujourd’hui, ils affrontaient l’armée malienne de façon ouverte. L’intervention des français et leur présence permanente sur le terrain a rendu la guerre asymétrique. Face à la supériorité de l’armement occidental, l’ennemi s’est volatilisé dans la nature, il est devenu « invisible », et donc plus difficile à débusquer et à combattre. Voilà le contexte dans lequel on se trouve aujourd’hui, il faut traquer un ennemi  » invisible « .

Cette partie du travail revient aux armées locales, pas aux forces étrangères sur place ( Minusma, Barkhane, etc…..), même s’il n’est pas exclu que les forces spéciales françaises entrent en action. Ces forces viennent en soutien aux armées locales, elles n’ont pas vocation à se substituer à elles. Ce grave malentendu a débouché sur la situation actuelle d’hostilité à l’égard de la France. C’est aux armées locales que revient la tâche de débusquer et de combattre les djihadistes. Les Français interviennent en termes de formation, de renseignements, et d’appui aérien. Les combats au sol, le « corps-à-corps » sont du ressort des armées locales. Personne ne se battra à leur place. D’ailleurs ce sont ces armées elles-mêmes qui planifient et mettent en œuvre leurs opérations. Ce ne sont pas les Français qui définissent les priorités et l’affectation des équipements et des hommes.

Lorsqu’une colonne djihadiste ou un regroupement est repéré grâce aux renseignements, alors l’aviation française intervient. Les éléments se dispersent. C’est ensuite aux forces armées locales d’entrer en jeu pour engager la traque de ces éléments, ce qu’elles ne font toujours pas. En Août dernier les Tchadiens ont retiré la moitié de leur contingent du Mali, présent dans le cadre de la force du G-5 Sahel. Une fois rentrés au Tchad, ils ont déploré à demi-mot dans la presse,  » le manque d’engagement de l’armée malienne , qui attend qu’on fasse tout le boulot à sa place ».

Au Tchad, durant les trente années de son règne, le président Idriss Déby a bénéficié de l’appui des Français en termes de renseignements et d’appui aérien. Les Français ne sont jamais intervenus dans les combats au sol, qui sont entièrement du ressort de l’armée tchadienne. Cette méthode de collaboration est toujours à l’œuvre avec le fils Déby. Elle donne des résultats appréciables, parce que l’armée tchadienne, bien que relativement sous équipée, fait preuve d’engagement. Les soldats vont au contact de l’ennemi, ils sont aguerris. Est-ce le cas des armées du Sahel ? Pas si sûr. Le manque d’engagement de ces armées est régulièrement pointé du doigt.

Dernier point, il faut souligner que la France perd aussi des hommes dans cette guerre. A ce bilan humain, s’ajoute le coût financier. En 2020 par exemple, l’opération Barkhane a coûté 880 millions d’euros, un peu plus de 577 milliards de Francs CFA. C’est un coût que la France n’impute pas aux Etats de la zone. C’est un élément qu’il faut aussi prendre en compte. En résumé, les opinions publiques doivent entièrement imputer la dégradation de la situation à leurs dirigeants.

Douglas Mountain

Le Cercle des Reflexions libérales

oceanpremier4@gmail.com

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