Impact du recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) sur le secteur des énergies électriques

Entretien avec Serge Parfait Dioman, Expert international en industries pétrolières et énergies

Réalisé par Anzoumana Cissé

Démarré le 8 novembre dernier, le Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) édition 2021 prendra fin le 14 décembre prochain. L’expert international en énergies pétrolières et énergies, Serge Parfait Dioman, met ici en exergue l’impact du RGPH sur le secteur des énergies électriques.


De votre expérience internationale, en quoi le secteur des énergies électriques est-il concerné par le recensement général de la population et de l’habitat d’un pays ?

Pour toute nation moderne, disposer de données statistiques récentes et fiables, notamment en matière démographique, c’est avant tout être en possession d’une base d’informations utiles permettant de dimensionner les ouvrages d’utilités publiques et programmer leurs réalisations sur des bases réalistes cadrant au mieux avec les réalités du terrain.

Ainsi, le recensement de la population d’un pays trouve aussi une utilité majeure pour les plans nationaux d’électrification.

Car sachant combien de personnes y vivent en temps réel, et à combien sont-elles estimées à l’horizon d’un futur défini, l’on peut se projeter techniquement et planifier les ouvrages additionnels nécessaires au renforcement donc du réseau électrique du pays en question. Le pire étant d’improviser, ce secteur stratégique ne saurait en effet se consolider sur des bases de données approximatives quand l’on dispose de moyens de bien faire, par l’opportunité d’un recensement.

Vis à vis donc du secteur électrique, quels sont les défis et enjeux concrets pour les populations de se faire recenser ? et pourquoi le faire maintenant ?

En raison du nombre croissant des populations, les défis ici sont d’ordres structurels et visent à adapter les équipements  aux besoins énergétiques réels de celles-ci. C’est en soi donc un avantage de pouvoir à temps se doter de moyens opérationnels adéquats pour justement ne pas avoir à exploiter un réseau électrique qui serait sousdimensionné ou exagérément surdimensionné. En clair, il convient de demeurer dans le juste milieu acceptable vis à vis de l’offre.

Quant aux enjeux, ils découlent tout naturellement du droit des populations à accéder à une électricité de qualité leur garantissant des conditions de vies modernes et un bien-être socio-économique satisfaisant. C’est en somme, la consigne générale portée au travers des cibles de la thématique ODD7. Elle est spécifiquement relative au 7ème volet des Objectifs de Développement Durable (ODD) entérinés par les Nations Unies depuis 2015.

Alors, bien qu’ayant déjà eu lieu plusieurs fois par le passé, ce 5ème recensement offre un timing proactif permettant d’être dans les délais pour satisfaire aux jalons des objectifs ODD7 et ce, au grand bénéfice des populations.

• Sinon, quels sont les risques associés à un réseau électrique qui au fil du temps serait sousdimensionné par rapport à sa conception originelle ?

Il y en a plusieurs et nous ne pourrons tous les citer dans l’espace réduit d’un entretien. Au demeurant, notons dans l’ensemble que le réseau ivoirien, actuellement bâti sur des milliers de kilomètres interconnectés, est robuste et non soumis à des problématiques de sousdimensionnement.

Sa charge est monitorée au niveau du dispatching d’où l’on suit en temps réel l’état de ses grands axes de transport et distribution électrique. En effet, la demande énergétique croît continuellement et un réseau non-évolutif peut à terme être sousdimensionné face aux attentes nouvelles et donner lieu à des déclenchements par surcharges entre autres.

Alors pour le principe, sachons qu’une ligne électrique est caractérisée par un « moment électrique » qui indique, en fonction de sa longueur et de sa constitution, quelle est la puissance électrique maximale qu’elle peut transporter vers un groupe de populations situées à l’autre bout de ligne.

Quand leur nombre augmente, la puissance demandée via le réseau augmente aussi. Et même si l’on rehausse la capacité du transformateur électrique, il va sans dire que l’on butera à un moment donné sur la limitation imposée par le « moment électrique » de ladite ligne. Il s’en suivra alors une perte de tension engendrant des baisses de tensions dommageables.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le « moment électrique » d’une ligne ? Il semble être important en effet.

De manière générale, la tension électrique est le paramètre auquel les populations sont le plus familières car, lorsqu’elle est instable, leurs appareils électroménagers se comportent anormalement et elles le ressentent tout de suite. Il y a aussi le courant électrique qui retient leurs attentions car il faut éviter de se faire électrocuter et risquer de mourir.

Le moment électrique étant du domaine des experts, l’on en parle peu en effet et il est pour ce faire peu connu du grand public. Alors pour imager, prenons l’exemple d’un bus. Selon sa longueur et la disposition intérieure des sièges, il a un nombre maximal de passagers à transporter. Si la surcharge est importante, le bus va devoir ralentir sa vitesse.

C’est pareil pour une ligne électrique, considérée comme un bus énergétique elle transporte de la puissance. La tension en bout de ligne baissera alors si elle est en surcharge du fait qu’elle transporte plus de puissance qu’il n’en faut. On parle alors de « congestion » de la ligne. Dans plusieurs pays, les aléas inhérents à ce phénomène de congestion sont tels que l’on n’a nul autre choix opérationnel que recourrir alors à des phases de délestages tournants pour gérer l’appel de charge et transporter des flux de puissances plus réduites.

Et de même que remplacer le moteur du « bus surchargé » de passagers par un moteur plus puissant n’augmentera pas le nombre de places dans celui-ci, changer le transformateur électrique d’une ligne qui a déjà atteint son moment électrique maximal ne fera que déplacer temporairement le problème, et non le résoudre durablement, si l’on manque de données  pour estimer l’évolution de la charge énergétique.

• Vu donc de l’angle énergétique, y a-t-il alors tout intérêt à se faire recenser ?

Partout ailleurs et pour sûr, le recensement général des populations est une opportunité sociétale, économique et technique permettant de connaître les tendances actuelles et à venir en terme de croissance démographique pour les diverses zones urbainespériurbaines et rurales d’un pays.

Les ingénieurs exploitant le réseau électrique s’en serviront à toutes fins utiles pour redimensionner par exemple les câbles, les transformateurs de puissance, les protections électriques, etc. des lignes vers les quartiers précaires et les favelas accusant des instabilités de tension dès la nuit tombée. Ces travaux ne se font pas au hasard quand l’on veut être réellement efficace en intégrant les besoins futurs.

Nous venons ainsi d’évoquer un cas d’intérêt pratique lié au besoin d’une électricité stable pour les populations. Mais tous les secteurs sont concernés : extension des réseaux d’eau potable, écoles, centres de santé, logement, etc. C’est important alors de le savoir et y contribuer volontiers.

Une fois que l’on a compris ces objectifs, enjeux, jalons et cibles, etc. il n’y a donc pas lieu d’être hostile à l’encontre des agents recenseurs car tout est à notre avantage.

Auriez-vous un mot de fin en guise de conclusion ?

En ce qui concerne le secteur des énergies électriques, les nationaux et non nationaux sont tous d’ailleurs concernés car, indifféremment de ses origines, toute personne vivant sur le territoire national est un consommateur potentiel d’électricité. Ses besoins énergétiques sont pris en compte.

Je conclurai alors sur le fait que l’opération de recensement revêt un intérêt communautaire qui impacte divers secteurs dont celui des énergies électriques. Connaître par exemple la répartition géographique des populations vivant dans des localités rurales isolées et leur nombre est important. Pour ces dernières, il y a bien en effet un intérêt social à la clé.

Car l’on saura exactement de façon factuelle, quelles sont les localités de plus de 500 habitants car elles sont d’office éligibles à être électrifiées. La Côte d’Ivoire en a fait à juste titre un plan national d’électrification prioritaire pour elles.

Raison pour laquelle, elles doivent en particulier se rendre disponibles pour l’occasion en se faisant recenser.

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