Forêts classées: La Banque mondiale va-t-elle suspendre son appui financier ?

Lebanco.net

Un important lot des 234 forêts classées de la Côte d’Ivoire, reste à ce jour truffé de plantations cacaoyères. Une situation qui depuis plusieurs années embarrasse les autorités politiques, qui se voient de plus en plus interpellées sur la question par la communauté internationale. L’Union européenne notamment, menace de ne plus acheter dans les années à venir surtout, le cacao produit dans les forêts, dont elle a souvent contribué du reste à la conservation. Et cela, pour entre autres raisons, assurer le maintien des équilibres écologiques naturels favorables à la pratique efficiente de l’agriculture dans les régions abritant ces forêts.

Pour reconstituer de façon durable son couvert forestier très dégarni et partant, éviter de faire les frais de cette décision européenne, la Côte d’Ivoire dont une importante quantité de la production cacaoyère est issue des forêts classées, a préconisé le système de l’agroforesterie. Laquelle consiste à reboiser les forêts dégradées à plus de 75%, en même temps qu’on y aménage des exploitations agricoles. Cette autre manière de sauver la couverture forestière du pays, a été appelée « Stratégie de Préservation d’Extension et de Réhabilitation des Forêts classées » ou SPREF. Elle est exécutée avec l’assistance financière de la Banque mondiale intitulée « Plan d’Investissement Forestier » ou PIF 1, qui porte actuellement sur l’exécution de la phase pilote prévue dans les forêts classées de Gouin-Débé, à Guiglo, Rapid Grah à Soubré et Ododo à San Pedro.

Toutefois, l’exécution de ladite stratégie ne va pas sans couacs, qui pourraient compromettre l’appui financier de la Banque mondiale. C’est que dans le cas précis de la forêt classée de Gouin Débé, alors qu’un cabinet privé cautionné par l’institution financière internationale, est en train d’élaborer le plan d’aménagement indispensable aux activités de réhabilitation tous azimuts, l’Administration forestière décide du déclassement de 20.000 ha de ladite forêt pour être cédés dit-on, aux exploitants agricoles installés illégalement à l’intérieur. Cela, en vue d’entreprendre la réalisation de l’agro forêt permanant qu’elle projette à travers la SPREF. Cependant, de l’avis de plusieurs experts et activistes de la protection des forêts, il y a lieu de se demander qu’est ce qui presse tant, au point de mettre la charrue avant les bœufs. En clair, ce déclassement aussi justifié ou raisonné soit-il, ne devrait logiquement pas être fait avant la mise à disposition du plan d’aménagement, dont la confection est toujours en cours. Ce plan est d’autant plus indispensable qu’il devra servir de fil conducteur, à toutes les actions, réalisations et autres activités à entreprendre désormais dans ladite forêt. Surtout dans le cadre des agro forêts permanents à y promouvoir. De plus, tel qu’il a été mené, il est tout à fait contraire à la loi qui stipule que le déclassement de toute parcelle, quelle qu’en soit le motif, doit être préalablement décidé en Conseil des ministres, après exposé et acceptation des raisons explicatives.

Autre fait que désapprouve plus d’un spécialiste est que, l’administration forestière envisage de raser les 20.000 ha au bulldozer, avant leur attribution. Une méthode brutale et contre indiquée, que rejette les experts de la Banque mondiale. En ce sens qu’elle va entrainer un décapage systématique du sol et partant, une destruction profonde de la diversité biologique. Des plantations d’hévéa et de palmier à huile seront aménagées sur une bonne partie de cet espace déclassé. Et pour ce qui restera des 133 000 ha de la forêt de Gouin-Débé, une fois ces 20 000 ha déduits, toujours conformément à la pratique de l’agroforesterie, ces autres parties soit 113000 ha seront, sur l’initiative des entreprises multinationales, couvertes par de vastes plantations industrielles de cacao, d’hévéa et de palmier à huile, qui ne sont pas des arbres forestiers. Toute chose qui va de toute évidence, léser les petits producteurs de cacao, sur lesquels a jusqu’ici reposé l’essentiel du cacao produit en Côte d’ivoire, représentant 40% de la production mondiale de la petite fève. C’est bien là un fait qui, de l’avis de plusieurs experts, ne manquera pas de susciter des conflits. « L’on va assister à un démarrage plutôt brutal de l’opération, qui va être marqué par un départ brusque des 25.000 chefs d’exploitation de vergers de cacao essentiellement, installés dans la forêt classée de Gouin –Débé. Soit plus de 150.000 personnes, qui n’auront donc pas la possibilité de continuer à tirer profit de leurs plantations en production. Les superficies qui seront concédées en retour à ces petits exploitants agricoles, sur cette plate -forme de l’agro forêt permanent de 20.000 ha, afin qu’ils continuent leurs productions cacaoyères, n’auront assurément pas la même taille, que celles qu’ils exploitent en ce moment, pendant que de grandes superficies seront concédées aux grandes entreprises, » explique l’un des experts du cabinet, sélectionné pour concevoir le Plan d’aménagement de Gouin –Débé.

A la Banque mondiale par contre, l’on veut éviter l’appauvrissement systématique des paysans producteurs, auquel va assurément conduire cette manière de procéder de l’Administration forestière. C’est que, l’on y est persuadé que la sortie progressive des paysans de cette forêt, conformément au Plan d’aménagement en confection, a l’avantage de leur laisser la possibilité de récolter pendant quelques temps leurs vergers de cacao en production. Et le faisant, ils seront tenus de planter et d’entretenir des arbres. Cette activité sera rémunérée. Et au fil du temps, toujours conformément au Plan d’aménagement, ces petits producteurs seront amenés à libérer la forêt. Car, les arbres plantés auront pris partout le dessus, de sorte à ne plus donner d’intérêt au cacao planté en ces lieux. En outre, des mesures d’accompagnement, que sont notamment les aides financières pour la création d’activités génératrices de revenus sont aussi prévues, pour eux. Cette façon de faire, a l’avantage d’éviter les conflits dans la localité, l’exacerbation de la pauvreté ou la création de nouvelles poches de pauvreté.

Au total, ce déclassement précipité des 20000 ha en question, leur aménagement en agro forêt permanent, sans se référer au Plan d’aménagement non encore disponible ; ainsi que l’installation des chefs d’exploitation sur des superficies fort réduites, après le rasage systématique de leurs plantations ; alors que la part belle est faite aux multinationales, risqueraient fort bien d’émousser les ardeurs de ce bailleur de fond international. Et cela, dans la noble optique de soutenir la stratégie de préservation, d’extension et de réhabilitation des forêts. C’est en tout cas ce qui se raconte dans les coulisses du service de la Banque, en charge de ce projet. De plus, ces méthodes ne sont sous tendue par aucun plan d’aménagement émanant de l’Administration forestière déjà concocté, contrairement à ce que d’aucuns tentent de faire croire, aux experts de la Banque mondiale. Par ailleurs estiment ces experts, si la création des agro forêts permanents doit être ainsi menée, sans le Plan d’aménagement en cours d’élaboration par le cabinet d’expert engagé à cet effet, cela nécessitera plus de 300 milliards de Fcfa d’investissement public dans la seule forêt classée de Gouin-Débé. Un investissement que les caisses de l’Etat, ne peuvent en ce moment supporter.

Le Pif 1 qui est en cours actuellement et qui porte sur le financement de l’élaboration du plan d’aménagement de Gouin-Débé et Rapid Grah coûtera 7, 5milliards de Fcfa à la Banque mondiale. Le Pif 2, déjà en préparation nécessitera lui, un financement de 54 milliards de Fcfa réalisé toujours par la Banque mondiale, pour le compte des autres forêts classées de cette phase pilote. Il servira précisément à l’élaboration de leurs plans d’aménagement.

Cette situation pourrait aussi négativement impacter, le processus d’acquisition des 42 milliards de Fcfa que la Côte d’Ivoire attend de recevoir dans le cadre du Programme de Réduction des gaz à effet de serre. Lequel est mis en place pour aider et encourager les pays engagés dans la séquestration du carbone, par les forêts notamment. L’engagement de la Côte d’Ivoire, a même été acté par un décret pris dans ce sens.

Moussa Ben Touré

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