Dans le nord de la Côte-d’Ivoire la cohésion sociale victime du terrorisme

Samedi 22 janvier, Patrick Achi était dans le nord de la Côte d’Ivoire pour annoncer un plan d’investissements de plusieurs milliards de francs CFA à destination des jeunes des régions frontalières. Objectif : contrer l’avancée du jihadisme dans ces régions par le développement et l’insertion des jeunes. Le Premier ministre s’est rendu à Tougbo, sous-préfecture située à 10 km de la frontière burkinabè. Il a fait escale à Kafolo. Ce petit village de 2 000 habitants a été frappé deux fois par les jihadistes en 2020 et 2021. Si les militaires y sont présents en permanence la vie y a profondément changé depuis deux ans.

Avec notre envoyé spécial de retour de Tougbo, Pierre Pinto

L’hôtel prestigieux qui attirait des touristes à Kafolo a fermé. L’agriculture et la pêche ne sont plus guère possibles en raison de la menace jihadiste omniprésente. Autre conséquence des attaques : l’amalgame et la méfiance ont atteint la cohésion sociale.

Environ 300 habitants peuls ont quitté le village. Souvent soupçonnés d’être complices avec les jihadistes qui sévissent dans la région, eux-mêmes Peuls pour la plupart.

« Il y a eu au moins 6 à 10 personnes qui ont été interpellées en ce qui concerne les étrangers peuls propriétaires de bœufs, explique le chef du village de Kafolo. À la suite de cela, les gens qui étaient là, doucement – à commencer par les garçons – sont tous partis. Donc les femmes ont suivi leurs maris. Après il y a eu beaucoup de méfiance. On est toujours très méfiants. »

À 40 km de là, dans la sous-préfecture de Tougbo, 25 000 habitants, la situation est différente. Le sous-préfet Yssouf Dao veille à ce que la méfiance envers les Peuls ne puisse pas s’installer.

« Depuis que je suis arrivé, j’ai fait des tournées dans tous les villages pour sensibiliser à la cohabitation pacifique avec toutes les populations, y compris les peuls. Je crois qu’il y a beaucoup de peuls qui sont intégrés. Vous savez, on trouve beaucoup de peuls parmi les terroristes, les coupeurs de route, donc forcément il y a de la méfiance. Je crois qu’avec la sensibilisation, les choses sont bonnes. »

Depuis quelques mois Tougbo voit arriver une difficulté supplémentaire : les réfugiés burkinabè qui fuient le terrorisme de leur côté de la frontière. Ils sont 6 000 et continuent d’arriver.

RFI

Dans le nord de la Côte d’Ivoire, la menace jihadiste nourrit le sentiment anti-peul

Source AFP

« Je ne vais plus aux champs, j’ai peur de croiser des Peuls ». A Kafolo, petit bourg ivoirien tout près de la frontière burkinabè, les récentes attaques jihadistes ont exacerbé l’hostilité envers cette communauté, accusée de constituer le gros des groupes armés.

Aux confins de la Côte d’Ivoire, l’entrée du village donne le ton: un vaste camp militaire, mirador pointé sur la piste poussiéreuse, accueille les rares visiteurs.

A l’ombre d’un grand arbre, dans la fraîcheur matinale du vent sec de l’harmattan, le chef du village, Bamba Tiemoko, se souvient des conséquences de la première attaque.

« La population était apeurée, c’était la première fois que cela nous arrivait. Les gens n’allaient plus aux champs ou à la pêche », affirme-t-il.

Une crainte que partagent toujours certains villageois.

« On a toujours peur mais on fait avec. On essaie de ne pas trop rester aux champs, de rentrer avant midi », explique Lamissa Traoré, président de l’association des jeunes de la région.

« Je ne vais plus aux champs, j’ai peur de croiser des Peuls. La plupart de ceux qui sont venus faire les attaques sont des Peuls. On se méfie maintenant », ajoute Clarisse Siphoho, secrétaire d’une association locale de femmes.

Si les attaques de Kafolo n’ont jamais été revendiquées, les autorités ivoiriennes affirment qu’elles sont le fait de ressortissants étrangers.

« On les cible »
A mots à peine couverts, la communauté peule, éleveurs semi-nomades qui traversent souvent la frontière poreuse du Burkina Faso voisin pour faire paître leurs boeufs, est désignée.

« On les cible », reconnaît un responsable de la région qui compte sur la vigilance des populations pour alerter les autorités s’ils repèrent un individu suspect.

« On est très méfiants quand un étranger arrive dans le village. On pose des questions sur son objectif de voyage, sa destination et on peut le conduire chez les militaires », confirme le chef du village.

Après l’attaque de juin 2020, de nombreux Peuls sont partis du jour au lendemain.

« Avant les actes terroristes, il y avait une très grande fraternité. Mais après l’attaque, il y a eu des interpellations et des Peuls sont partis. S’ils s’en vont c’est qu’ils se reprochent quelque chose », assène Bamba Tiemoko.

« A cause des attaques, ils ont eu peur de représailles et ont abandonné le village », estime quant à elle Clarisse Siphoho.

Après avoir passé trois mois et demi en prison à Korhogo, la grande ville du nord ivoirien, car il était suspecté d’avoir un lien avec les assaillants, Amadou (le prénom a été modifié, ndlr), éleveur peul a été relâché et est retourné vivre dans la région.

« Les jihadistes ont gagné »
« Ici, quand les gens voient un Peul passer à moto dans le village ils ont peur et voient en lui un jihadiste », regrette-t-il.

Marié à une ivoirienne, il ne se sent toutefois pas « mis à l’écart » et s’interroge sur le départ brutal des autres Peuls.

Ont-ils été poussés vers la sortie par les villageois ? Tout le monde à Kafolo jure le contraire. Et le son de cloche est le même chez Issouf Dao, le sous-préfet dont dépend la commune.

« On accueille les Peuls, ils sont implantés depuis très longtemps. Il n’y a pas de problème, mais il y a de la méfiance vis-à-vis des Peuls qu’on ne connaît pas », explique-t-il.

Si la forte présence militaire rassure les populations, beaucoup déplorent les conséquences de ces attaques, notamment sur le tourisme dans la région, classée en zone rouge par la plupart des chancelleries occidentales.

Le Kafolo Safari Lodge, ses autruches et ses safaris dans le parc voisin de la Comoé et ses 40 chambres, ont fermé depuis des mois.

« Les gens n’investissent plus, plus personne ne dort ici, même pas les fonctionnaires de passage au village », regrette Paterne Diabaté, un villageois.

« Les jihadistes ont gagné cette bataille », peste t-il.

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