Les Éléphants de Côte-d’Ivoire doivent garder l’esprit de combativité

Comme le Cameroun, pays organisateur de la 33e CAN, la Côte d’Ivoire s’est qualifiée pour les huitièmes de finale. Ce qui me réjouit particulièrement dans cette qualification, c’est la manière dont les joueurs ivoiriens ont validé leur ticket. En effet, les Éléphants n’avaient pas nécessairement besoin de terrasser l’Algérie. S’ils concédaient un match nul ou s’ils perdaient face aux Fennecs, cela ne les empêcherait pas de poursuivre la compétition. Or ils ont fait beaucoup mieux en battant le vainqueur de la 32e CAN par 3 buts à 1.

D’entrée de jeu, je tiens à préciser que je ne suis ni praticien (mon dernier match de football date de 1982), ni spécialiste du ballon rond. C’est vraiment en profane que je voudrais dire pourquoi la belle victoire du onze ivoirien m’a fait chaud au cœur et m’a en quelque sorte réconcilié avec les Éléphants dont j’avais cessé de regarder les matchs pendant un bon moment.

Ce que j’ai d’abord aimé, c’est le refus du minimalisme qui consiste à se satisfaire ou à se contenter de peu comme ces écoliers et élèves qui peuvent faire plus mais qui n’ont pas d’autre ambition que d’avoir 10/20 de moyenne. Évidemment, je ne parle pas ici de l’ambition démesurée “qui écrase autrui, révélant un individu enfermé en lui-même et en recherche maladive d’affirmation de soi, au détriment de toute autre considération” (cf. Paul Valadier, “Réhabiliter l’ambition” dans ‘Études’ 2008/1, pp. 49-59). C’est à juste titre que cette ambition est décriée par Platon à travers le personnage d’Alcibiade qui, au nom de son intérêt personnel, engagea Athènes dans des aventures périlleuses et mit à mal la jeune démocratie athénienne (cf. Platon, ‘Le Premier Alcibiade’). Je parle de l’ambition qui “donne suffisamment de confiance en soi pour entretenir et exploiter les talents au meilleur sens du terme” (Valadier). Cette ambition-là est saine car elle nous fait voir grand et nous oblige à nous dépasser. Elle devrait être encouragée comme le fait Jésus en racontant la parabole des talents car “le refus ou l’impossibilité d’envisager de grands desseins aptes à mobiliser les peuples pour un avenir neuf” (Valadier) est autant dangereux qu’une ambition sans limites. Dans le film de Walt Disney, Baloo, le célèbre ours, explique qu’il faut se satisfaire du nécessaire et il a raison car il n’est point nécessaire de posséder quantité de maisons et de voitures pour être heureux pendant que des personnes autour de nous manquent du strict minimum mais se satisfaire du nécessaire et se contenter de peu sont deux choses différentes. Celui qui se contente de peu alors qu’il est capable de faire plus est un fainéant. On ne peut citer une telle personne en exemple.

La première raison pour laquelle je m’étais détaché du football ivoirien, c’est que notre équipe nationale se contentait de peu alors qu’elle avait les moyens de remporter la CAN deux fois avec les Drogba Didier, Yaya Touré, Zokora Didier, Kolo Touré, Salomon Kalou, Arthur Boka et autres. Cette équipe, que tout pays aurait aimé avoir et que tout sélectionneur aurait aimé entraîner, ne faisait peur que sur le papier parce qu’elle était sans ambition. On avait l’impression que l’essentiel, pour elle, était d’être présente à la CAN ou au Mondial.
La seconde raison, c’est qu’il manquait à ces joueurs fort talentueux ce fighting spirit, qui fait la force des Lions indomptables et qui leur a permis d’aller en quarts de finale à la coupe du monde 1990. Sans cette hargne, les Joseph Gadji Céli, Abdoulaye Traoré, Serge-Alain Maguy, Sié Donald-Olivier, Sam Abouo Dominique, Oumar Ben Salah, Youssouf Fofana, Aka Kouamé Basile et Alain Gouamené n’auraient pas défait les Black Stars du Ghana en finale au Sénégal, le 26 janvier 1992. La génération des Drogba semblait se décourager vite après avoir encaissé un but alors qu’il aurait fallu se battre farouchement jusqu’à la dernière minute comme les Roger Milla, Samuel Eto’o, Patrick Mboma, Théophile Abega, Rigobert Song, Thomas Nkono, François Omam-Biyik, Stephen Tataw et autres savaient le faire. J’ai cru voir cette hargne avec les Éléphants de 2022 contre l’Algérie.

J’ai cru voir aussi, ce jeudi 20 janvier, une vraie équipe. Incontestablement, les Didier Drogba et Yaya Touré étaient bons individuellement mais ils avaient du mal à jouer ensemble, c’est-à-dire à privilégier l’intérêt général. Lorsqu’un défenseur veut coûte que coûte marquer des buts alors que les attaquants attendent de recevoir des passes de lui, il y a un problème. Faire équipe, c’est donner le ballon à celui est mieux placé pour mettre la balle au fond des filets et non faire son petit numéro. Pourquoi la réussite personnelle prit-elle le pas sur la réussite collective dans l’équipe dont Drogba fut longtemps le capitaine ? À en croire certains comme Gérard Gili, adjoint d’Henri Michel entre 2004 et 2006, il y avait une rivalité sur fond de brassard entre ce dernier et Yaya Touré. D’autres estiment que, au delà des problèmes d’ego, il faut voir la transposition de la politique dans la sélection ivoirienne : Drogba et les Sudistes supporteraient le camp de Laurent Gbagbo tandis que Yaya Touré et les Nordistes seraient des pro-Ouattara.

Bien que l’ancien attaquant de Chelsea ait rejeté cette thèse en avril 2021 en présentant Yaya Touré comme son petit frère qui, selon lui, avait été excellent lors du match entre Barcelone et Chelsea et qu’il l’avait félicité au téléphone le lendemain, faut-il penser qu’il n’y a jamais eu de méfiance entre les joueurs, que les uns et les autres regardaient dans la même direction et que tous poursuivaient le même objectif ? Quoi qu’il en soit, il est temps que chaque joueur comprenne que ce qui compte, c’est d’honorer la patrie, de faire vibrer tout un peuple, et non de vouloir plaire à tel ou tel leader politique. Cela suppose de faire passer l’intérêt général avant l’intérêt personnel. Cela suppose également d’avoir le triomphe modeste. Ce n’est pas jouer les rabat-joie que de dire qu’il est trop tôt pour célébrer les Éléphants et faire la fête. La priorité, pour les joueurs, c’est de se concentrer, d’apprendre des erreurs commises pendant le match contre la Sierra Leone, de bien préparer les futures rencontres car le travail n’est pas encore terminé.

Le 16 décembre 1995, l’Asec d’Abidjan devait disputer la finale de la Coupe d’Afrique des clubs champions contre Orlando Pirates (Afrique du Sud) au stade Houphouët Boigny. Au lieu de se concentrer, joueurs et supporteurs du club jaune et noir festoyèrent la veille. Ils avaient oublié qu’il faut tuer l’ours avant de vendre sa peau, que la vie nous réserve bien des surprises, qu’il ne faut pas se moquer de celui qui se noie quand soi-même on n’a pas encore traversé la rivière. Les Eléphants et leurs supporteurs gagneraient donc à se garder de l’euphorie excessive, à ne pas trop parler, bref à faire preuve d’humilité, de retenue et de patience.

Quant à la question des entraîneurs européens qui coachent nos équipes nationales, je suis absolument contre parce que, en plus de nous coûter cher, ils ne sont pas forcément plus compétents que les locaux. En 1992, quand la Côte d’Ivoire remporta sa première CAN, ce n’était pas avec “un sorcier blanc” mais avec l’Ivoirien Yéo Martial. Au moment où nous parlons de monnaie africaine, de souveraineté, etc., il ne serait pas mauvais d’y réfléchir.

Jean-Claude DJEREKE

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