De la limitation de l’âge des candidats à la présidentielle en Côte-d’Ivoire: Observations pour donner force à la proposition de loi

J’ai été interpellé, maintes fois, à travers des appels et messages électroniques, par des observateurs et analystes de la scène politique ivoirienne, lecteurs de mes deux précédentes tribunes*, sur la proposition de loi portant limitation à 70 ou 75 ans l’âge des candidats à l’élection du Président de la République en Côte d’Ivoire.

Un de mes interlocuteurs dit être embarrassé par ma réponse à sa question de savoir si je suis pour ou contre. « Le plus important n’est pas de dire qu’on est pour ou contre l’idée. À mon avis, il y a deux ou trois choses à comprendre et à souhaiter, dans l’intérêt de la proposition de loi. D’un, à quel moment du processus de l’élection du Président de la République, faut-il fixer la limite de l’âge des candidats ? De deux, il nous faut plus et mieux que ça, parce que le tout n’est pas de limiter l’âge des candidats à la présidentielle. Il faut que, plus largement, cette proposition de loi – que je trouve nécessaire, somme toute – soit inscrite à l’ordre des valeurs, de manière à lui permettre de contribuer à faire changer nos mentalités en cours qui ont construit et alimentent un système de société moralement malade, sans repères ; un système de société marqué par de fortes inégalités sociales. Et dans lequel certains se plaisent, parce qu’ils s’en nourrissent allègrement…», lui ai-je répondu.

En effet, s’il y a problème et beaucoup à dire dans la manière dont la Côte d’Ivoire est politiquement gérée, du point de vue démocratique et de la rétribution de ses richesses nationales, depuis les trois (3) dernières décennies – c’est justement l’enjeu final recherché, je crois –, la solution ne consisterait pas seulement en la limitation de l’âge des candidats à l’exercice du pouvoir d’État.

Je suis, avec intérêt, les débats sur la proposition de loi. Honnêtement, il faut saluer l’initiative du Député-Maire de Tiassalé, Monsieur ASSALÉ Tiémoko – fait inhabituel sous nos législatures – visant à modifier une disposition de la Loi fondamentale, celle relative aux conditions d’éligibilité des candidats à la Présidence de la République. Il reste que l’idée et les arguments pour la justifier méritent quand même que l’on fasse les observations ci-après.

1) La première observation se rapporte à l’objectif et au caractère personnel et antidémocratique de la proposition de loi. L’auteur de la proposition et ses soutiens ne s’en cachent pas, ils le disent vertement, haut et fort : il s’agit de forcer les Présidents Bédié, Ouattara et Gbagbo à prendre leur retraite de la vie politique nationale. C’est là où la proposition me semble pécher dans l’argumentation qui la sous-tend, en ce qu’elle revêt un caractère personnel et antidémocratique. En effet, l’idée de viser expressément trois citoyens à exclure de la course à la Présidence de la République – même si c’est, à juste titre, pour une raison qu’une grande partie de l’opinion peut juger valable, à cause de leur âge respectif et de ce qu’ils sont physiquement fatigués –, personnalise la proposition de loi et ne répond à aucun principe démocratique. Toute loi doit être impersonnelle.

Je suis tout à fait d’accord qu’à un certain âge avancé, tout humain n’est plus physiquement apte à assumer des responsabilités et charges lourdes, usantes et épuisantes, comme celles du Président de la République en Côte d’Ivoire. Dans le cas d’espèce, les Présidents Bédié, Ouattara et Gbagbo ont, en cette année 2022, respectivement 88, 80 et 77 ans. En 2025, année de la prochaine élection présidentielle, ils en auront respectivement 91, 83 et 80. Honnêtement, il faut le dire tout net, ils sont effectivement déjà fatigués physiquement et le seront encore plus à la date du prochain scrutin. Ils ne pourront donc plus tenir et exercer efficacement les charges lourdes, épuisantes et usantes que confère la Constitution ivoirienne à la fonction. Mais le fait que les partisans de cette initiative, dans leurs explications et justifications, indexent nommément les trois personnalités est gênant, et doit gêner pour tout militant des principes et valeurs démocratiques. On peut faire valoir l’argument de l’âge sans personnaliser ni la proposition de loi, ni le débat. La Côte d’Ivoire en a déjà fait l’erreur et l’amère expérience, dans un passé récent ; il faut éviter de les répéter.

2) Deuxième observation, tout scolaire : Supposons que l’âge des candidats à l’élection du Président de la République est limité à 70 ou 75 ans, comme le suggèrent l’auteur et les soutiens de la proposition de loi. Or, la durée du mandat présidentiel en Côte d’Ivoire est de 5 ans. Ce qui signifierait qu’on peut être candidat et être élu Président de la République à 70 ou 75 ans, et donc en exercer la fonction à plus de 70 ou 75 ans, le temps de la fin du mandat. Il y a là de l’incohérence. Il est donc souhaitable d’approfondir la réflexion, en ajustant et en référant la limitation de l’âge non seulement au moment de l’acte de candidature, mais aussi au temps de l’exercice de la fonction et à la fin du mandat. En d’autres termes, pour aller dans la logique de la proposition de loi, tout en étant cohérent, il importe de porter la réflexion sur cette question : À quel moment du processus de l’élection du Président de la République faut-il fixer la limitation de l’âge des candidats ? Est-ce au moment de l’acte de candidature ? Ou bien faut-il l’arrimer à la durée de la fonction présidentielle, du début à la fin du mandat ?

3) Troisième observation : L’un des principaux arguments, sinon le principal, soutenant la proposition de loi, c’est que la fonction de Président de la République en Côte d’Ivoire constitue une charge lourde, épuisante et usante pour le Chef de l’État, à cause de ce que cette fonction, de par la Constitution, lui donne trop de pouvoirs, tous les pleins pouvoirs. Pour cette raison, il faut limiter l’âge des candidats. Concrètement, il s’agit d’éviter d’avoir à la tête du pays un Président trop âgé, donc vieux et fatigué ; et d’en avoir plutôt un moins âgé, donc solide et valide, disposant de toutes ses facultés physiques pour assumer pleinement et efficacement (?) les lourdes et épuisantes charges dues à sa fonction. Soit.

Mais, le risque à craindre, à ce niveau, est : Si cette proposition de loi est adoptée telle qu’elle nous est présentée dans les débats télé, elle ne permettra, dans les conditions actuelles de la Constitution, que d’enlever les pleins pouvoirs, que confère cette Constitution en ses autres articles, des mains d’un Président de la République trop âgé et fatigué, pour les remettre désormais entre les mains d’un Président de la République pas trop âgé et solide. Qui, lui, pourrait user de sa jeunesse et de sa solidité physiques pour abuser de ces mêmes pleins pouvoirs. Quelles dispositions prévoit la proposition de loi pour nous éviter une telle éventualité ? Rien, à ce que je sache. À mon avis, ce qui paraît très important de changer, ce n’est pas seulement l’âge, mais surtout le fait que la Constitution donne pleins pouvoirs, tous et trop de pleins pouvoirs, au Président de la République. Il serait donc intéressant de porter aussi la réflexion sur cet aspect. D’où l’observation-suggestion suivante.

4) Si tant est vrai que la Constitution ivoirienne consacre trop de pouvoirs, tous les pleins pouvoirs, entre les mains d’un seul Président de la République, ne pensez-vous pas que la solution la plus possiblement efficace serait d’opter pour un changement de régime politique ? Un nouveau régime politique qui ne donnera pas trop de pouvoirs et tous les pleins pouvoirs au Président de la République, que ce dernier soit trop ou moins âgé, vieux ou jeune ? N’est-ce pas aussi simple que ça, comme un bonjour ? Un régime qui consacrera réellement la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), non pas seulement sur papier et du bout des lèvres, mais véritablement dans la pratique.

Mais là encore, question : Quel Président de la République, en Côte d’Ivoire-ci – ancien, actuel ou tout aspirant à la fonction –, accepterait-il d’opter pour un nouveau régime politique qui lui ferait perdre quelques-uns des pleins pouvoirs que lui confère la Constitution actuelle, même si cela le déchargerait de certaines des charges lourdes, épuisantes et usantes ? Nous en rêvons de tous nos vœux.

5) Au-delà de ces observations et de mon a priori soutien, par principe citoyen et démocratique, à cette proposition de loi, il reste que la ou les solutions aux maux qui minent la société ivoirienne, dans la manière dont elle est dirigée depuis des décennies, du point de vue politique, démocratique et de la rétribution des richesses nationales, ne viendrai(en)t pas seulement de la limitation de l’âge des candidats à la Présidence de la République. Pour une meilleure gouvernance de la société, il nous faut beaucoup plus. Parce que le problème est beaucoup plus profond : il est de l’ordre de valeurs morales, citoyennes et intellectuelles. Il faut donc penser à travailler, plus largement, à la moralisation du corps social ivoirien dans toute son entièreté.

Des faits d’immoralité, contraires à une société de valeurs, mais devenus malheureusement monnaie courante, sont là pour corroborer notre préoccupation et notre appel à aller au-delà de la simple limitation de l’âge des candidats à la Présidence de la République, laquelle limitation d’âge ne suffira pas à régler le mal profond de la société ivoirienne. Les sénateurs impliqués dans l’affaire Al Moustapha, non inquiétés à ce jour par la justice, n’ont pas l’âge de Bédié, de Gbagbo ou de Ouattara, ils sont bien moins âgés que ces derniers. Et je ne pense pas que ce soit le Président Ouattara qui, sous l’effet de son âge, les y ait instruits et qui les protégerait. Les responsables de sociétés d’État accusés de mauvaise gestion et de malversations financières n’ont pas 70-75 ans, ils en ont bien moins, pour la plupart.

En un mot, tous les actes de fraude, de corruption, d’abus, de favoritisme et de clientélisme, de facilité et de marchandage moral, de détournements et de course effrénée à l’enrichissement rapide et illicite, de reniements, de transhumances d’idées et d’engagements…, érigés en principes de normalité de la vie quotidienne en Côte d’Ivoire, à tous les niveaux de la société, ne sont pas nécessairement guidés et dynamités par l’effet d’une catégorie d’âge donnée de leurs auteurs. Il y en a de toutes les tranches, vieux et jeunes. Ces actes, commis au quotidien, individuellement et collectivement, sont la manifestation d’un système de la société infecté moralement depuis de longues décennies. Et ils ne seront en aucune manière résolus, d’un trait, par seulement la limitation de l’âge des candidats à diriger le pays à 70 ou 75 ans. Ni même à 60, 50, 40 ou 30 ans.

Je l’ai déjà dit dans ma tribune « Côte d’Ivoire : Voici la nouvelle génération dont le pays a besoin ». Ce qui est fondamentalement en cause dans la marche et le fonctionnement de la société ivoirienne, ce n’est pas seulement une question d’âge, y compris celui de nos dirigeants, ce ne sont pas nos aspects d’âge ; mais surtout nos mentalités individuelle et collective. C’est donc le logiciel moral planté dans l’esprit et le corps de la société ivoirienne qu’il faut travailler à changer. C’est, par-dessus tout, véritablement à ce niveau que doit naître et s’opérer la nouvelle génération, manifestement souhaitée de tous et par tous. Pas une nouvelle génération par l’âge ou d’âge, mais, bien plus, une nouvelle génération d’esprit et de mentalité. Dans tous les compartiments de la société qui souffre de l’effondrement des valeurs.

AGNERO Djèdje Sylvain
Citoyen ivoirien
Aménagiste territorial et agent de développement local
agnerosylvain@yahoo.fr

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* L’une sur le but existentiel et la portée sociétale de l’École, intitulée « États Généraux de l’éducation nationale : Pourquoi va-t-on à l’École ? » (in Ivoir’Hebdo du 27 juillet 2021 et médias sociaux) ; et l’autre sur l’idée de nouvelle génération de la classe dirigeante ivoirienne, intitulée « Côte d’Ivoire : Voici la nouvelle génération dont le pays a besoin » (Ivoir’Hebdo du 10 août 2021 et médias sociaux).

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