Gouvernance pétrolière, les pays producteurs émergents sont libres du choix de leurs modèles

Interview: Serge Parfait Dioman, Expert International en Industries Pétrolières et Énergies

Expert International en Industries Pétrolières et Énergies, Serge Parfait Dioman définit la notion de gouvernance pétrolière. C’est un pilier, estime-t-il, du développement économique solidaire pour les pays producteurs émergents de pétrole et gaz. Pour ce faire, elle doit se décliner autour de certains objectifs qu’il énumère dans cette interview.

A quel défi majeur répond la gouvernance pétrolière ?

SDP : Les attentes étant grandes tant du côté des gouvernements qu’au sein des populations quand l’on découvre un gisement pétrolifère, le défi ici est que l’industrie des hydrocarbures soit certes florissante et rentable mais qu’elle stimule en plus des perspectives de développement socio-économique solidaire qui profitent à tous et pas qu’aux seuls acteurs pétro-gaziers.

Car de la volonté des pays producteurs à euxeux-mêmes s’impliquer davantage dans l’exploitation et la valorisation de leur richesse fossile, sont en effet apparus des modèles de gouvernance pétrolière ayant conduit à des fortunes diverses dans ce secteur très complexe où interagissent l’autorité étatique tutélaire, les entreprises parapétrolières publiques ou privées ainsi que les compagnies pétrolières opérationnelles proprement dites.

N’y aurait-il donc pas de définition universelle à ce jour ?

Aujourd’hui somme toute, un certain consensus avisé définit la gouvernance pétrolière comme une matrice d’objectifs stratégiques visant à faire de l’or noir, non pas qu’une source supplémentaire de revenus mais, un catalyseur favorisant l’essor économique et humain d’autres secteurs d’activité de l’échiquier national.

En clair, une gouvernance pétrolière qui n’arrange que l’écosystème oil & gas trouve ainsi un critère factuel pour s’autoévaluer et s’améliorer à toutes fins utiles.

Et dans tous les cas, mêm si le sceau de la transparence demeure toutefois nécessaire en toile de fond, il est à noter qu’il n’est pas suffisant car il s’agit ici d’être en plus efficace et efficient au regard des objectifs assignés.

Les producteurs établis et les émergents sont-ils alors aujourd’hui soumis à la même gouvernance pétrolière ?

SDP : Quel que soit leur statut de producteur déja établi ou de nouveau producteur émergent, les pays sont en toute connaissance de cause libres du choix de leurs modèles de gouvernance pétrolière même si au travers d’organisations de défense de leurs intérêts, ils s’imposent des axes de visions communes et des recommandations de bonne gouvernance pétrolière.

A cet effet, celle propre aux émergents diffère bien de celle des producteurs établis qui ont déjà une longue tradition pétrolière et une expérience pratique en la matière. Les émergents ne sont qu’à leurs premiers grands pas et ne sont pas en terrain conquis d’avance. Le tout pour eux n’est donc pas de développer la filière de manière hâtive et hasardeuse.

• LP: Quel mal y aurait-il par exemple à ce que les pétroliers se développent seuls sans en faire profiter d’autres ?

Il ne s’agit pas de s’imposer une sorte de péréquation brutale. Mais quand toute seule, l’industrie pétrolière se développe tant et si bien que des pans entiers du tissu économique du pays deviennent de moins en moins attrayants, ils finissent à terme par se vider de leurs ressources humaines actives qui les désertent pour rejoindre le nouvel eldorado pétro-gazier.

Ce n’est pas systématiquement mauvais en tant que tel si la filière peut accueillir tout ce monde. Sauf qu’une économie très peu diversifiée, et reposant au final que sur le pétrole et gaz, en devient hyper-dépendante et s’expose fatalement au tristement célèbre Syndrome Hollandais. La moindre crise pétrolière la mettrait dans de mauvaises conjonctures car il n’y a pas d’autres sources majeures sur lesquelles se replier.

La Hollande en a malheureusement fait les frais quand il fut une époque où la forte attractivité de son secteur pétrolier fit vaciller son économie, d’où ce nom de Syndrome Hollandais qui risque d’affecter les producteurs émergents non avisés.

• LP : Mais il y a tout de même de grands pays pétroliers qui s’en sortent très bien grâce majoritairement à l’or noir ?

SDP : Leurs exemples de réussite sont fort inspirants. Et loin d’être des exceptions, ils prouvent bien que même avec un fort degré de dépendance pétrolière, l’on arrive à concilier la cohérence de souveraineté nationale et les opportunités de croissance conduisant à démeurer durablement prospère.

Il n’y a donc ni fatalité ni thèse de malédiction du pétrole car tout est une question de bonne gouvernance pétrolière. Il revient aux pays producteurs émergents de se l’approprier.

Pour ces derniers, quels sont les directives et objectifs les plus pertinents en terme de gouvernance pétrolière ?

SDP : La gouvernance pétrolière propre aux émergents se décline en divers objectifs dont cinq fondamentaux à savoir, éditer une vision stratégique nationale claire pour toute la chaîne de l’industrie des hydrocarbures du pays, bien consolider les frontières terrestres et maritimes du patrimoine pétrolifère national, bâtir un plan transitionnel énergétique réaliste, garantir une formule d’attribution des licences qui ne soit pas en défaveur du pays hote et assurer une communication mettant en confiance les populations locales et les partenaires publics et privés.

Ces fondamentaux permettent de rehausser l’attractivité du pays car l’objectif à venir est de rechercher les financements nécessaires pour réaliser sa vision stratégie pétro-gazière en se dotant de code pétrolier, licences, contrats de partage de production, jeu fiscal, etc. assez attrayants pour intéresser et attirer des investisseurs crédibles d’une part et veiller d’autre part à optimiser les intérêts et bénéfices économiques du pays.

Bien qu’étant de portées plus sociétales, les autres objectifs suivants de la gouvernance pétrolière sont essentiels pour une bonne interaction sociale avec les populations.

Il s’agira donc ici d’apporter de l’employabilité et promouvoir la contenu local, ériger des structures nationales compétentes pouvant s’investir dans le développement des ressources, le renforcement de la responsabilisation et la promotion de l’autonomisation entre autres.

Pourriez-vous détailler quelques-uns de ces objectifs ?

SDP : En terme de vision stratégique par exemple, spécifier d’entrée de jeu ce que l’on compte faire des ressources nouvellement découvertes aide à définir le degré de dépendance pétrolière que le pays hôte entend adopter et ce, sachant en l’occurrence qu’un degré de dépendance pétrolière convenable permet d’éviter une hyper-dépendance susceptible de conduire aux effets crisogènes et très nuisibles du Syndrome Hollandais.

Quant à connaître les délimitations de ses frontières terrestres et maritimes, c’est utile pour éviter toute dispute liée au risque de chevauchement de gisement. En effet, les tensions entre voisins revendiquant les mêmes gisements ne profitent à personne et éloignent d’ailleurs les investisseurs potentiels tout en mettant aussi à mal les relations de bon voisinage et même les politiques d’intégration sous-régionales, etc.

En ce qui concerne la communication et l’interaction sociale, ces objectifs visent à gagner la confiance des populations. Ils sont surtout liés à la manière d’informer le public et évaluer en retour ses attentes quant aux retombées escomptées de la monétisation de ces ressources. Il s’agit en fait de ne pas laisser prospérer les infox mais plutôt être la source officielle de l’information crédible sur ces sujets sensibles.

• LP : Pourra-t-on réellement concilier le pétrole et le climat, vu l’émergence continue de nouveaux pays producteurs ?

SDP : Comme déjà indiqué, la préservation de l’environnement et la quiétude climatique font bien aussi partie des objectifs fondamentaux de la gouvernance pétrolière.

L’objectif de neutralité carbone n’est pas radicalement en soi un objectif de nullité carbone car il ne sagit pas de vivre dans un monde sans CO2. D’ailleurs, c’est impossible. Toutefois, si l’on arrive à consommer au moins l’équivalent de ce que nous produisons et rejetons comme CO2 dans l’atmosphère, l’on est alors dans la mouvance de la neutralité carbone. Et c’est cela l’idée pratique vers laquelle convergent les pétroliers.

Bien loin d’être un slogan, c’est tout à fait possible grâce à des solutions idoines donnant des garanties effectives que l’or noir peut être très bien exploité selon un paradigme nouveau respectant des processus de « zéro émission nette » de CO2.

Réalisé par Anzoumana Cissé (LE PATRIOTE)

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