L’appel à l’aide des étudiants étrangers (africains) piégés à Soumy en Ukraine

Il sont prés de 1 700 d’entre eux seraient bloqués dans cette ville située à une cinquantaine de kilomètres de la Russie. Ils réclament la mise en place d’un corridor humanitaire afin de permettre leur évacuation.

Par Coumba Kane

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A Soumy, dans le nord-est de l’Ukraine, Hope Maki, 21 ans, vit en état d’alerte. Etudiante tanzanienne en troisième année de médecine, elle est piégée dans la ville, située à une cinquantaine de kilomètres de la Russie. Cette importante cité étudiante est l’une des premières localités ukrainiennes à avoir été bombardées depuis le début de l’offensive russe. « La nuit, je dors peu. Hier, j’ai encore entendu un bombardement et j’ai vu des missiles par la fenêtre », confie-t-elle par téléphone, dimanche 6 mars.

Depuis le début de la guerre, Hope Maki est confinée dans un hôtel de Soumy avec des dizaines d’autres étudiants étrangers, indiens et africains pour la plupart. Venus étudier la médecine, le marketing ou l’ingénierie, ils seraient encore près de 1 700 à être bloqués dans la ville, selon les estimations officieuses qui circulent. « Les routes et la gare ont été bombardées, on ne peut plus sortir de la ville », indique Hope Maki. La jeune femme s’inquiète de la nourriture, qui commence à manquer, et des coupures intermittentes d’électricité et d’eau potable. « Nous nous sentons abandonnés par les autorités ukrainiennes. Nous survivons grâce aux dons de nos camarades de classe », affirme-t-elle.

Pour alerter sur leur sort, des dizaines d’étudiants africains se sont rassemblés, samedi, devant l’hôtel. Alors que plus de 1,5 million de personnes ont fui l’Ukraine depuis le début de la guerre, eux s’estiment pris en otage dans un conflit qui ne les « concerne pas ». « Nous voulons rentrer chez nous ! Laissez-nous partir ! », ont-ils scandé dans une vidéo diffusée en direct sur Instagram par l’un d’entre eux. Tour à tour, ils ont pris la parole pour témoigner de leur fatigue morale et psychologique.

« Ce matin à 6 heures, nous avons été réveillés par des bombardements. J’en ai compté six. Qu’avons-nous fait de mal pour être enfermés dans cet hôtel ? Nous ne nous sentons pas en sécurité ici, nous sommes traumatisés, nous ne vivrons plus jamais comme avant », s’époumone une Nigériane, face caméra.

Numéro d’urgence
Certains expliquent avoir tenté de quitter la ville en taxi – moyennant plus de 2 000 euros, selon une étudiante –, mais ils affirment avoir été refoulés par des soldats ukrainiens qui leur auraient demandé de repartir à l’hôtel. Le groupe d’étudiants s’estime instrumentalisé par les autorités ukrainiennes. « Dès l’éclatement de la guerre, l’université a refusé de nous fournir des bus pour quitter la ville. Je ne veux pas servir d’appât », dénonce dans la vidéo une jeune femme, en allusion aux accusations portées par Moscou selon lesquelles Kiev se servirait des civils comme bouclier humain.

Accusées d’avoir opéré un tri aux frontières entre Ukrainiens et non-Blancs, les autorités ont annoncé vendredi par la voix du ministre des affaires étrangères, Dmytro Kuleba, la mise en place d’un numéro d’urgence à destination des « étudiants africains et asiatiques » souhaitant quitter l’Ukraine. « Nous travaillons intensivement pour assurer leur sécurité », a-t-il promis.

Les étudiants africains de Soumy joints par téléphone réclament la mise en place d’un corridor humanitaire afin de permettre leur évacuation en sécurité. Ils appellent aussi à l’aide les autorités de leurs pays respectifs. Lundi, Moscou a annoncé l’instauration de cessez-le-feu locaux et l’ouverture de couloirs humanitaires pour permettre l’évacuation de civils de plusieurs villes d’Ukraine, notamment Soumy. La veille, le Nigeria annonçait que l’évacuation de ses ressortissants piégés dans la ville allait débuter sans tarder. « Le grand défi est de se procurer des bus. Nous faisons tout pour que cela se produise », tweetait dimanche le ministre nigérian des affaires étrangères, Geoffrey Onyeama.

Hope Maki garde un lien quotidien avec ses parents grâce à son téléphone. Sa famille s’est organisée avec d’autres parents d’élèves (160 étudiants tanzaniens seraient bloqués à Soumy) pour faire pression sur les autorités de leur pays. « Elles tentent de nous faire partir par la Russie car c’est trop compliqué d’aller en Pologne, en Roumanie ou en Hongrie », affirme-t-elle. En attendant sa « libération », la jeune femme occupe ses journées en regardant des films de guerre – Tomorrow War, de Chris McKay, ou Safe, de Boaz Yakin – et scrute les dernières informations sur le conflit. Malgré sa détresse, elle pense revenir étudier en Ukraine quand la paix sera revenue : « Je n’aurai peut-être pas d’autre choix que de poursuivre ici. Car étudier en Tanzanie, ce n’est pas évident. »

Un traitement « raciste »
Une situation qui se répète à Kherson, grande ville du sud de l’Ukraine. Dans une vidéo publiée lundi, un groupe d’étudiants africains appelle à l’aide. « Les gens vont très mal, nous sommes traumatisés. La nuit, on entend des pleurs. Je sursaute au moindre bruit. Sortez-nous de cet enfer ! », lance Christophe, joint par Le Monde. Depuis le sous-sol d’un appartement où le groupe d’élèves s’est replié, l’étudiant camerounais en économie et commerce international affirme que près de 70 Sénégalais, Guinéens, Gabonais, Egyptiens et Ivoiriens sont actuellement piégés à Kherson. Le groupe menace de partir à pied mardi s’il n’obtient pas son évacuation.

Le sort des étudiants africains de Soumy et de Kherson a été rendu public notamment grâce aux réseaux sociaux. Des vidéos et des témoignages ont beaucoup circulé ces derniers jours pour dénoncer les difficultés faites aux ressortissants africains tentant de fuir l’Ukraine, au point que l’Union africaine (UA) a condamné un « traitement différent inacceptable » et « raciste ».

Sur Telegram et WhatsApp, plusieurs boucles de messagerie – « African in Ukraine », « Black in Ukraine »… – centralisent les informations les concernant. Sur Telegram affluent des messages de bénévoles issus de toute l’Europe. Comme Nicholas, un Suédois d’une trentaine d’années, qui annonce son arrivée à Przemysl, à la frontière polonaise, avec « une voiture pleine de denrées et de dons pour les personnes de couleur non ukrainiennes ». Il propose de les conduire jusqu’à Copenhague, Berlin ou la Suède et d’organiser leur hébergement.

Paula Essam, une actrice allemande née d’un père camerounais, est partie de Cologne mercredi. « Quand j’ai vu comment les personnes noires étaient traitées, j’ai décidé de venir aider », témoigne-t-elle par téléphone. Avec son compagnon, étudiant à Sciences Po Paris, elle a loué un fourgon de sept places et chargé le coffre de « sacs de couchage, de médicaments et de matelas » grâce aux 3 000 euros collectés par le biais du groupe de Telegram. Puis le couple a filé vers Medyka et Przemysl, à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine. Ils espèrent ainsi apporter un peu de réconfort à des réfugiés qui, pour certains, ont déjà connu la guerre dans leur pays d’origine.

Coumba Kane
Lemondeafrique.fr

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