La Côte-d’Ivoire a-t-elle besoin de réconciliation, slogan politique flou [ou d’État de droit ?]

Par Gnamien Joachim Attoubré, Spécialiste en Gouvernance, Gestion des Conflits et Paix. Analyste Politique. D.E de la LIPEC. Coordonateur RA-PDWA #KAS Peace Ambassador aux Peace Talks 2019.

Depuis la fin de la crise post-électorale de 2010, la rhétorique de la réconciliation s’est imposée dans le débat public et politique.

Tout se “fait” au nom d’une hypothétique «réconciliation nationale» dont personne ne prend la peine d’expliquer ni le contenu encore moins les contours. Elle sert à tout justifier. Finalement, elle est même devenue un programme politique pour certains leaders.

En fait, si les politiques préfèrent le terme « Réconciliation nationale » quand il s’agit d’aborder les questions liées à la reconstruction post-conflit, c’est bien parce que son contenu assez flou permet aisément de l’exploiter à des fins politiques.

La réconciliation nationale un concept vague

La notion de réconciliation dans son sens premier désigne un nouveau rapprochement (professionnel, amical ou amoureux) de personnes qui s’étaient fâchées après avoir été liées. La réconciliation permet le rétablissement de l’entente. (Cf Larousse).

Dans les Etats post-conflit, cette notion prend un sens plus large. En effet, elle est intégrée dans un champ vaste de reconstruction de la paix d’où le concept de « RÉCONCILIATION NATIONALE».

Mais il est important de noter que la réconciliation repose sur un processus volontaire de pardon. Ainsi dit, concevoir la réconciliation dans une approche globale est un exercice difficile. En effet, le pardon reste d’abord un problème de cœur mais elle repose aussi la capacité de résidence émotionnelle de chaque personne face à un choc et à le surmonter. De ce fait, plusieurs personnes peuvent vivre une même situation mais elles ne peuvent pardonner au même moment.

Dans ces conditions, pour un pays comme la Côte-d’ivoire qui a connu une longue période de crises avec autant de désastres humains, il est quasi impossible de fixer une échéance claire pour arriver à cette réconciliation ». D’autant plus qu’il n’existe d’indicateurs précis qui permettent de savoir si les citoyens sont réconciliés ou pas.

Un processus de réconciliation trop politisé

Aujourd’hui, la question de réconciliation nationale est devenue une question d’analyse personnelle et de positionnement politique dans notre pays. C’est d’ailleurs pour cette raison que les tenants du pouvoir s’efforcent à dire que les ivoiriens sont réconcilies pendant que l’opposition maintient que ce n’est pas le cas.

En fait, tout processus de reconstruction post-conflit est un moment de lutte de pouvoir politique. Chaque partie essaie de tirer profit du « sujet de la réconciliation ». Ainsi, chacun se positionne comme le vrai et unique artisan de la « réconciliation » dans une perspective électoraliste.

D’ailleurs, pendant de nombreuses années, certains se sont voués corps et âmes pour expliquer que seul le retour de Laurent Gbagbo permettra “La vraie réconciliation ».

Malgré qu’il soit de retour depuis plusieurs mois, les mêmes disent encore que les ivoiriens ne sont pas encore réconciliés.

De son côté le pouvoir qui disait que la Côte d’Ivoire n’avait plus de problème de réconciliation a fini par s’octroyer un ministre chargé de la réconciliation. Si on suit la logique, c’est un peu comme si on créait un ministère pour régler un pour régler un problème qui n’existe en réalité.
En somme, ce concept n’est rien d’autre qu’un slogan politique aux contours flous qui permet de négocier des intérêts politiques.

La Côte-d’Ivoire a-t-elle vraiment besoin de réconciliation nationale ?

Jusqu’à ce jour, je ne connais pas un pays « entièrement » réconcilié. Les contradictions subsistent partout dans le monde. Même l’Afrique du Sud présentée comme le modèle en matière de réconciliation et de justice transitionnelle n’est pas totalement réconciliée.

Dans ces conditions, s’accrocher à cette recherche de réconciliation aura pour seule conséquence de faire du surplace. Le plus important de mon point de vue c’est de favoriser un processus de réparation clair reposant sur un cadre juridique précis afin de soulager les victimes.

Mais aussi et surtout mettre fin à la crise mémorielle qui facilite la politisation des victimes.

Ce premier travail doit être accompagné d’un second tout aussi indispensable que le premier.

Il s’agit d’identifier clairement les sources de tensions qui ont conduit la Côte-d’Ivoire dans cette période de crise. Et de les traiter en profondeur. Il s’agit entre autres des questions de nationalité, du foncier, de la crise institutionnelle qui pose le problème même de l’Etat de droit.

Et enfin, renforcer la bonne gouvernance afin de réduire les inégalités sociales et donner à chaque citoyen les moyens de vivre dignement et de rêver. Aussi, il est temps de s’attaquer à la crise de valeurs dans notre pays.

Car la longue période de crise n’a pas permis la transmission intergénérationnelle des valeurs sociétales. La violence a fini quant à elle à s’imposer comme une voie « légitime » pour atteindre le sommet.

En un mot c’est tout le système de valeurs qui s’est écroulé. Il est donc temps de remettre le pays dans ses fondamentaux et d’aller vers une vraie démocratie afin de tourner la page des crises.

Mais, il appartient à l’Etat de fixer ce cadre global qui va permettre de sortir le pays de ce cycle infernal de violences.

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