Vente des journaux en Côte-d’Ivoire, une activité de plus en plus à l’abandon

Se procurer un quotidien ou tout autre périodique d’informations à Korhogo relève désormais d’un parcours du combattant. En raison de la chute du chiffre de ventes des journaux reçus, tous les acteurs de ce secteur d’activité ont mis la clé sous le paillasson pour d’autres métiers jugés plus rentables. La vente des journaux est désormais une activité à l’abandon dans la ville. (Reportage)

Ce vendredi 19 août 2022, il est 10 h 30, le décor est tout autre dans le kiosque à journaux du rond-point de la ville. Point de journaux affichés. Ce kiosque qui, autrefois, était un point de vente de la presse, est aujourd’hui un lieu de vente d’objet d’art et de décoratifs. D’une voie désespérée, le patron des lieux, Brice Essé, annonce qu’il a arrêté la vente des journaux il y a deux semaines.

“Je prenais les journaux avec quelqu’un depuis Yamoussoukro. Mais les difficultés d’acheminement des journaux m’ont poussé à renoncer à la vente de la presse”, a expliqué le revendeur.

Cap sur le grand marché de Korhogo. A la rue des banques, Silué Kparatiogo, connu comme un grand revendeur des journaux de Korhogo, au plus fort de la crise militaro-politique de 2002 à 2010, est bien présent. Le contenu de son kiosque à journaux a changé. Il est rempli de cahiers, de livres et autres marchandises. Lui aussi dit avoir arrêté le commerce de journaux.

“Il y a plus de trois ans que j’ai arrêté de vendre les journaux. Nous sommes des hommes d’affaire. Quand nous vendons, nous voulons avoir un bénéfice à la fin. Mais depuis quelques années, la vente des journaux ne me rapportait plus. Je faisais beaucoup d’invendus. Les gens ne payent plus les journaux. Certains clients nous ont dit que les journaux arrivaient trop tard, vers 16h voire 18 h lorsque le car transportant les journaux tombe en panne”, a justifié M. Silué.

Il soutient qu’à un moment, la vente ne lui rapportait vraiment plus rien alors que les charges augmentaient. Avec l’avènement des Technologies de l’information et de la communication (TIC) et du fait de l’éloignement de Korhogo de la capitale économique, les lecteurs optent plus pour le numérique.

“Voyez, nous sommes à Korhogo, les journaux sont disponibles à Abidjan tôt le matin. Nous ici, il faut attendre 18h et si le car tombe en panne, c’est la nuit que les journaux arrivent. Avec le numérique, les potentiels lecteurs sont déjà informés sur les réseaux sociaux. Sinon avant, je prenais 100 numéros de Fraternité matin et je vendais tout. Le Patriote, je recevais environ 50 et tout sortait », a-t-il rappelé.

Quelques unes des journaux ivoiriens du mercredi 11 mai 2022
A la question de savoir s’il connait quelqu’un qui vend encore les journaux, sa réponse est sans ambages. « Je ne connais personne qui vend les journaux à Korhogo. Il y a un ami qui était installé au rond-point de la mairie, mais récemment il m’a dit qu’il arrêté il y a deux semaines.

Après plusieurs investigations, il s’avère que plus personne ne revend les journaux à Korhogo en dehors de la poste locale. Sur les lieux aux environ 11 h, trois dames s’activent à leur travail dans le hall. A côté d’elles, un lot de journaux d’environ une dizaine numéros. La dame qui veut garder l’anonymat conditionne sa collaboration à une autorisation du chef d’agence avant d’expliquer comment la poste de Côte d’Ivoire arrive à se procurer les journaux pour les revendre à Korhogo.

Dans le bureau du chef d’agence de la poste de Côte d’Ivoire à Korhogo, Sangaré Mouhamed, les choses ne se déroulent pas comme souhaitées. A son tour, il exige l’accord du directeur régional pour s’exprimer sur la question.

En l’absence du directeur régional, un inspecteur décante la situation. Le chef d’agence dépeint aussi le triste situation financière du commerce des journaux à Korhogo à l’instar des autres revendeurs déjà interrogés.

“Ce sont nos chauffeurs long courrier qui nous emmènent les journaux d’Abidjan à Korhogo. Au début, ont prenait trois numéros de Fraternité Matin par jour. Depuis que nous faisons les annonces, nous recevons cinq à six numéros de Fraternité matin par jour. Malheureusement, ont fait beaucoup d’invendu”, a-t-il déploré, ajoutant avoir procédé à la sensibilisation des directeurs et chefs de service dont certains ont fait des promesses de commandes, sans tenir parole.

Sur plus de 10 points de vente des journaux à Korhogo, il en reste que la poste. Malheureusement, cette information n’est pas sue de nombreux lecteurs. Les anciens kiosques à journaux sont transformés aujourd’hui en lieux de ventes de marchandises diverses. Chaque revendeur, selon les opportunités qui s’offrent à lui, a tourné la page de la vente des journaux pour d’autres activités économiques encore plus lucratives.

La situation de Korhogo est le reflet de la situation de sinistre de la presse en Côte d’Ivoire. La vente des journaux en Côte d’Ivoire est en baisse constante depuis 2011. Le chiffre d’affaires cumulé de la presse quotidienne est passé de 2011 à 2021, en 10 ans, de six milliards de francs CFA à moins de deux milliards de francs CFA, soit une chute de 70%, rappelle-t-on.

(AIP)

ss/fmo

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