Le duo zouglou Yodé et Siro veut faire confiance à Ouattara pour libérer les 46 militaires

Chaque samedi, Jeune Afrique invite une personnalité à décrypter les sujets d’actualité. Soldats ivoiriens arrêtés au Mali, réconciliation nationale, inflation… Le duo zouglou Yodé et Siro appelle à la mobilisation.

Par Baudelaire Mieu – à Abidjan

« Nous sommes comme le bon vin. Plus on vieillit, plus on devient bons. » On aurait du mal à les contredire. Yodé et Siro, duo emblématique du zouglou, n’en finit plus de sortir des albums dont les titres font danser tous les maquis d’Abidjan. En octobre prochain, ils vont célébrer leur 25 ans de carrière. Un quart de siècle de rythmes endiablés et de textes – souvent – militants qu’ils comptent bien fêter dignement, et avec leur public. Leur dernier titre, Les 49, a déjà été vu plus d’un demi million de fois sur Youtube, à peine dix jours après sa mise en ligne.

Ces 49, ce sont les soldats ivoiriens qui ont été arrêtés au Mali, et qui sont depuis au centre d’une brouille diplomatique entre Alassane Ouattara et Assimi Goïta, dans laquelle Faure Essozimna Gnassignbé joue le rôle de médiateur. Si trois soldates ont été libérées depuis la sortie du single, les artistes n’en démordent pas : il faut rester mobilisé tant que tous les soldats ne sont pas « rentrés au pays ».

Entretien avec Siro, moitié de ce duo contestataire – actuellement en France pour soutenir le groupe Les Patrons qui se produit au Zenith de Paris ce samedi 10 septembre – , qui assure « faire confiance » au chef de l’État ivoirien sur ce dossier, et appelle à la concorde entre les peuples.

Jeune Afrique : Votre dernière chanson, Les 49, évoque l’affaire des soldats ivoiriens emprisonnés à Bamako. Le texte adopte un ton conciliateur, loin du registre dans lequel vous vous êtes fait remarquer : pourquoi cet effort de diplomatie ?

Siro : Pour nous, le treillis militaire, l’uniforme, représente une nation, et voir nos militaires emprisonnés nous déchire le cœur. La situation a créé beaucoup de colère et de tensions, certains Ivoiriens appelaient même à des manifestations. Nous avons voulu sortir cette chanson de sensibilisation pour accompagner la diplomatie. Nous devons faire confiance au chef de l’État sur ce dossier, il faut éviter de mettre de l’huile sur le feu.

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Et vous l’aurez remarqué, trois jours après la sortie de cette chanson de mobilisation pour maintenir la flamme d’espoir, trois soldates ont été libérées. Nous espérons que les autres recouvriront la liberté eux aussi, d’ici deux semaines. Notre priorité, c’est la libération de nos soldats. La chanson reste complètement d’actualité. Les 49, c’est un esprit, même s’il en reste 46 là-bas, pour nous ils seront toujours 49 : parce que c’est une équipe qui est partie, c’est une équipe qui doit revenir. Tant que ce ne sera pas le cas, nous poursuivrons la mobilisation.

S’ils ne venaient pas à être libérés dans les quinze jours comme vous l’espérez, que prévoyez-vous de faire ?

Nous voulons impliquer les artistes maliens à notre initiative. Cette situation fatigue les deux peuples, elle est inconfortable pour tout le monde. Depuis le déclenchement de cette affaire, les artistes maliens ne peuvent plus se produire en Côte d’Ivoire par crainte de représailles ou de boycott. Des concerts d’artistes maliens qui étaient programmés à Abidjan ont même été annulés.

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Nous voulons nous mettre ensemble, Ivoiriens et Maliens, pour accompagner la diplomatie. Notre action sera pacifique et nous sensibiliserons et encouragerons les autorités des deux pays, ainsi que la médiation togolaise, à trouver une solution.

Sur ce dossier, vous appeler à faire confiance au chef de l’État. Vous êtes pourtant réputés proches de l’opposition…

Nous faisons une musique qui est née dans la contestation, dans le combat. Nous sommes toujours du côté des plus faibles. Nous ne faisons pas de zouglou de salon ! Mais pour autant, nous ne sommes pas proches de l’opposition. Nous pensons par exemple que le rapprochement entre le président Alassane Ouattara et ses deux prédécesseurs, Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié, fait du bien au pays.

C’est une initiative du président Ouattara que nous saluons. Tout comme nous saluons l’opposition car, si le pays se porte mieux, c’est aussi grâce à la maturité de cette dernière, qui n’est plus dans la défiance. Le comportement de l’opposition est un gage d’apaisement de l’environnement politique. Quand l’opposition bouillonne, le pays est fragilisé. Notre rêve, c’est la paix. Nous ne pouvons pas aller de guerre en guerre, de crise en crise. Et dans cette optique, la notion de pardon est importante.

En 2020, Siro et vous avez été condamnés à un de prison avec sursis et à 5 millions de francs CFA d’amende pour avoir affirmé que le procureur ne poursuivait en justice que les opposants… Que retenez-vous de cet épisode ?

Nous considérons que tout combat est noble. Et dans nos textes, nous disons les choses comme nous pensons qu’elles sont, sans chercher à en tirer profit. Nous voulons faire changer les choses dans notre pays. Nous avons choisi une musique, le zouglou, qui est né dans la contestation, dans le combat. Nous restons toujours sur cette ligne.

En outre, nous partageons des liens avec certaines des personnalités citées dans l’affaire que vous évoquez… Cela a abouti à une situation compliquée, qui nous a coûté de très fortes amitiés. Mais ce sont les conséquences d’un combat.

Vous vous présentez comme héritiers d’une musique fondamentalement contestataire. Pourtant, on ne vous a pas entendu jusque-là sur les conséquences de l’inflation et les difficultés des Ivoiriens face à la vie chère.

Ce n’est pas à nous de régler tous les problèmes des Ivoiriens ! Et surtout, ce sont des questions que nous n’avons cessé d’aborder. Cela a été le cas, par exemple, dans l’album Héritage que nous avons sorti en 2020. Réécoutez ce titre : nous y chantons que, certes, il y a du goudron partout, et même des lumières sur le goudron, mais que les Ivoiriens ne mangent pas de goudron !

Par ailleurs, nos chansons, ou nos interventions dans les médias, ne sont pas nos seules manières de nous engager. Nous ne faisons pas que chanter ou parler, nous sommes aussi dans l’action. Et si nous dénonçons les maux de la société, c’est pour faire bouger les lignes, comme par l’histoire des politiciens emprisonnées ou des leaders d’opinions. C’est cela aussi notre rôle.

Il y a une thématique, nouvelle pour vous, sur laquelle on vous voit très actifs ces derniers mois : la lutte contre le changement climatique, notamment en faveur du reboisement. Pourquoi cet engagement ?

La Côte d’Ivoire a perdu plus de 90 % de sa forêt. Ce pays est notre seul héritage. Il fallait que nous nous engagions dans le reboisement. Nous avons lancé une caravane de reboisement cette année qui a permis de planter 184 hectares de forêt et l’année prochaine, nous visons les 500 hectares. Nous ne nous contentons pas seulement pour reboiser, nous faisons aussi l’agroforesterie, nous cédons les parcelles reboisées aux associations de femmes qui y cultivent des produits vivriers. C’est une façon aussi de lutter contre l’insécurité alimentaire.

Nous luttons aussi contre les feux de forêt grâce à la sensibilisation des communautés locales. Nous travaillons aussi avec la Société de développement des forêts (Sodefor, entreprise publique), qui nous a formés. Et si vous y réfléchissez bien, en plantant des arbres, nous luttons aussi contre la vie chère. Pour l’heure, nous avons mené cette initiative sur nos fonds propres. Cette caravane a été un grand succès. Maintenant, nous voulons passer à la vitesse supérieure et sollicitons les donateurs et bailleurs pour que la mobilisation soit plus importante encore l’année prochaine.

Jeune-Afrique

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