« Il n’est plus du tout audible aujourd’hui de faire de l’or noir le bouc émissaire de tous nos soucis climatiques »

« La transition énergétique n’est pas nécessairement une consigne prônant d’exclure d’office le pétrole et le gaz du parc énergétique mondial » Serge Parfait DIOMAN.

Expert International en Industries Pétrolières et Énergies, Serge Parfait Dioman analyse, dans cette interview, le potentiel pétrolier et gazier de la Côte d‘Ivoire. Actualité oblige, il s’exprime sur la COP27 qui se déroule présentement en Égypte. Pour l’Expert, le succès de cet évènement reposera sur la capacité des parties prenantes à écouter sans préjuger les énergies fossiles

Propos recueillis par Anzoumana Cissé

• LE PATRIOTE : A la COP27 en Egypte, on parlera encore de l’avenir du pétrole. Comment est-il aujourd’hui perçu vis-à-vis des objectifs climats ?

SERGE PARFAIT DIOMAN : De plus en plus, l’on comprend mieux que la transition énergétique n’est pas nécessairement une consigne prônant d’exclure d’office le pétrole et gaz du parc énergétique mondial. Les opposer donc frontalement aux autres formes d’énergies non fossiles est une démarche qui à juste titre ne prospère plus autant qu’avant car l’on a fini par comprendre et admettre leur importance indéniable.

Tout un continent comme l’Afrique en a par exemple besoin pour consolider ses acquis et se développer sereinement en veillant au respect de la quiétude climatique bien entendu.

Aussi vrai donc que l’objectif COP sur le climat reste d’établir des solutions idoines pour d’abord limiter le réchauffement climatique, puis inverser cette tendance urgemment, il n’est plus plus du tout audible aujourd’hui de faire de l’or noir le bouc émissaire tout designé de tous nos soucis climatiques.

Non seulement ce n’est pas vrai mais les pétroliers sont en plus très engagés dans des paradigmes opérationnels nouveaux prouvant que le pétrole et gaz peuvent être utilisés autrement à l’effet d’accompagner la transition énergétique et ce, au travers d’un mix énergétique éco-responsable. Leur plaidoyer est cohérent et tient la route. L’on y prête donc plus attention désormais et l’or noir est alors davantage blanchi.

• LP : Pourrait-on alors augurer que la COP27 sera un succès ?

SDP : Ayant tiré les leçons des conclusions des précédentes éditions, l’on s’accorde à dire que le succès de cette COP27 reposera sur notre capacité à nous écouter sans préjuger les énergies fossiles. Il s’agira donc de faire valoir notre capacité à nous détacher des émotions pour faire preuve de réalisme.

Cela revient à éviter de promouvoir toute consigne de sortie hâtive du pétrole et gaz pour ne pas exacerber davantage la présente crise énergétique mondiale ni en susciter d’autres. Car, l’une des causes fondamentales de la survenance de ces dernières est le fait bien avéré d’applications brutales de certaines initiatives censées être de la transition énergétique.

En terme de plans stratégiques énergétiques en effet, quand l’on ne dispose pas d’offre alternative suffisamment capable de se substituer à l’offre pétro-gazière, qui pèse aujourd’hui encore plus de 75% du potentiel énergétique mondial, l’on n’envisage surtout pas, en connaissance de cause, d’en sortir précipitamment comme l’on fait certains groupes de pays.

• LP : Dans ce contexte donc, quelle vue panoramique peut-on avoir aujourd’hui du secteur pétrolier en Côte d’Ivoire ?

SDP : Le secteur de l’or noir ivoirien connaît d’année en année une franche ascension l’amenant pour ce faire à être un soutien majeur de la vie socio-économique ivoirienne par ailleurs orientée vers des objectifs d’émergence nationale.

Le fait remarquable pour ce pays est qu’il est effectivement déjà bien présent dans toutes les filières dites amont et aval de ce secteur stratégique. Car en tant que producteur d’une part, la Côte d‘Ivoire dispose de gisements pétro-gaziers en exploitation ainsi que de réserves avérément prometteuses.

En tant que raffineur d’autre part, ses deux raffineries que sont SIR (Société Ivoirienne de Raffinage) et SMB (Société Multinationale de Bitume) donnent satisfactions aussi bien en terme de maîtrise des opérations de raffinage qu’en matière de qualité normative des produits finis et semi-finis proposés à la consommation. Et il n’est pas exclu qu’elle se dote en sus d’une troisième raffinerie à toutes fins utiles.

• LP : Le pays a-t-il une vision d’extension de son offre pétrolière sur l’échiquier sous-régional ?

SDP : À commencer par son marché intérieur, et via des stations services continuellement approvisionnées sur tout le territoire national, son réseau de distribution offre aux consommateurs locaux un accès rapproché aux carburants et autres combustibles domestiques et industriels nécessaires au quotidien des populations et des entreprises.

Par la suite, sa présence sur le marché extérieur est une affirmation non usurpée de ses ambitions d’être un hub énergétique de référence par solidarité pour les pays limitrophes qui sont dans le besoin énergétique. Il y va dolc aussi de son positionnement géo-stratégique sous-régional.

• LP : La Côte d’Ivoire a-t-elle réellement les ressources humaines compétentes requises pour cette filière ?

SDP : Depuis les toutes premières années de l’histoire pétrolière du pays, les hauts cadres et techniciens nationaux sont impliqués dans les opérations du cœur de métier oil & gas.

Celles-ci vont des activités de pointes couvrant les compétences en exploration, engineering géotechnique et géophysique, forage de puits, exploitation de champs amont jusqu’au secteur aval où ses opérateurs de raffineries sont de plus en plus appelés en assistants techniques sur des sites étrangers du fait justement de leur compétence avérée.

• LP : Le pays dispose-t-il de cadres académiques adéquats pour la formation en local de ses ressources humaines ?

SDP : Bien entendu et tout ceci résulte d’ailleurs d’un impératif de formation implémenté au travers de grandes écoles et instituts de pétrole étatiques et privés accueillant chaque année de nombreux étudiants. Et selon les spécificités, certains sont à toutes fins utiles amenés à se former à l’extérieur dans l’optique de revenir se mettre au service du pays.

En considération de son potentiel pétro-gazier somme toute, il va sans dire que la Côte d’Ivoire accorde donc une attention particulière à la formation et la disponibilité des ressources humaines compétentes appelées à poursuivre avec sérénité et optimisme son assise dans ce secteur d’activité très utile pour son développement.

Elle sait pour ce faire alors compter sur une implication participative active de ses ressources humaines locales par ailleurs ouvertes à la collaboration de partenaires extérieurs pour des investissements gagnant-gagnant et un partage d’expérience nécessairement profitable.

• LP : A combien estime-t-on le potentiel pétro-gazier ivoirien ?

SDP : Le potentiel pétro-gazier d’un pays s’évalue tant en termes de capacités de production effective journalière qu’en termes de réserves disponibles pour assurer durablement la pérennité de l’activité.

Si l’on considère le secteur amont en l’occurrence, eu égard aux réserves prometteuses dont dispose le pays, la Côte d‘Ivoire n’aura aucun mal à franchir d’ici peu la barre des 100 000 barils par jour quand l’on intégrera la contribution de ses nouveaux gisements. Le fait rassurant est que cette capacité de production est appelée à croître davantage et ce, très nettement bien au-delà même des 300 000 barils par jour,

Certes, nous n’y sommes pas pour l’heure mais en pratique nous en avons le potentiel et in fine, cela s’avèrera être un score intéressant qui la hissera peu à peu et sûrement à la hauteur des producteurs de pétrole africains avec qui il faudra compter. Et cela vaut aussi pour son potentiel gazier.

• LP : Quelle est en pratique la stratégie mise en place pour le bon développement de ce secteur en Côted’Ivoire ?

SDP : Tout part de la mise en place d’un Contrat de Partage de Production (CPP) attractif, juste et équitable qui rassure chaque partie prenante sur ses investissements. Ensuite, l’Etat de Côte d‘Ivoire fait de la bonne gouvernance pétrolière un credo d’intérêt national majeur que chacun se doit d’avoir comme ligne de conduite.

En effet, un pays jouissant d’un grand potentiel pétro-gazier mais en revanche taxé de mauvaise réputation n’intéresse personne et est voué à un parcours pétro-gazier éphémère.

Et comme déjà évoqué, un accent particulier est mis sur la mise à disposition de ressources humaines suffisantes et compétentes pour le développement de la filière de l’or noir en Côte d’Ivoire.

• LP : Une nouvelle découverte a été effectuée par le consortium ENI & PETROCI HOLDING. Quels sont les chiffres actuels et quels sont les objectifs recherchés ?

SDP : L’objectif recherché va dans le sens de s’assurer une stabilité et une résilience énergétiques confortables via des réalisations infrastructurelles et opérationnelles pouvant en premier lieu consolider l’autosuffisance pétro-gazière.

Les chiffres relatifs au gisement BALEINE découvert par ce consortium au premier semestre de l’an 2021 dernier font état de découverte majeure de pétrole et gaz associé selon les données officielles publiées par voie de presse par les services compétents du Ministère des Mines, du Pétrole et de l’Energie de Côte d’Ivoire.

Pour les citer donc, ces opérations ont porté sur le bloc CI-802 du bassin sédimentaire offshore de la Côte d’Ivoire.

Et suite à la seconde découverte récemment faite en ces lieux, toujours selon eux, cette dernière vient rehausser de plus de 25% les réserves initialement annoncées. Celles-ci passent désormais de 2 à 2,5 milliards de barils de pétrole de pétrole brut et de 2 400 à 3 300 milliards de pieds cubes de gaz naturel. Et le meilleur reste à venir.

D’où cet appel gagnant-gagnant des autorités ivoiriennes à l’endroit de partenaires invités à venir investir activement dans les secteurs pétro-gaziers onshore et offshore du pays.

• LP : Comment cette production pourrait-elle véritablement avoir un impact positif sur le marché ivoirien ?

SDP : Il est important pour un pays d’avoir des assurances et moyens intrinsèques en terme d’auto-suffisance énergétique. C’est donc l’un des premiers bénéfices majeurs qu’en tire la Côte d’Ivoire.

Par ailleurs, vu qu’il s’agit d’un gisement qui produira une mixité de pétrole et de gaz naturel associé, il va sans dire que cet apport en gaz naturel (GN) et gaz de pétrole liquéfié (GPL) viendra utilement soulager et stabiliser le marché local ivoirien pour se mettre à l’abri de pénuries conjoncturelles.

En effet, la garantie de produire soi-même toute ou partie de ses besoins de consommations pétro-gazières est en soi déjà un fait à impact positif.

Periodiquement, la Direction Générale des Hydrocarbures (DGH) publie la grille tarifaire des prix applicables sur les produits pétroliers et l’on y perçoit par ailleurs les efforts faits par les autorités pour maintenir lesdits prix à des niveaux supportables par les populations malgré les envolées des cours du pétrole et du gaz sur les places de marché internationales.

• LP : Pourrait-on rêver un jour de voir la Côte d’Ivoire autour de la table de l’OPEP en tant que membre ?

SDP : C’est en plus un rêve empreint de réalisme car la Côte d’Ivoire qui nourrit légitimement cette vision en a le potentiel et n’attend pour ce faire qu’à accroître davantage sa production pétrolière pour davantage se rapprocher de cet objectif eu égard à son potentiel pétro-gazier national.

En ce qui concerne sa production de gaz, elle pourrait tout aussi à terme entamer les démarches requises pour intégrer l’autre grand groupement du secteur qui est le GECF (Gas Exporting Country Forum).

Ce forum représente à lui aujourd’hui plus de 70 % des réserves mondiales de gaz et pèse pour plus de 43 % de la production. Il offre des avantages certains à ses pays membres dont 8 sont des États africains. Couramment dit, on l’appelle l’OPEP du gaz

• LP : Il s’agit de perspectives intéressantes. Y aura-t-il donc une attractivité réelle du secteur pétro-gazier ivoirien ?

SDP : A l’évidence, le secteur pétrolier ivoirien est très attractif tant dans ses branches amont que dans ses filières aval. C’est un secteur qui gagne sereinement en maturité et qui bénéficie de la quiétude sociale et de la stabilité politique dont jouit la Côte d’Ivoire depuis quelques années.

L’affluence des investisseurs nationaux et internationaux désireux d’être acteurs de ce secteur parle d’elle-même en faveur de l’attractivité de la Côte d‘Ivoire.

Serge Parfait DIOMAN
Expert International en Industries Pétrolières et Énergies

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