Une transition énergétique sans innovation énergétique est une démarche non productive

Propos recueillis par Anzoumana Cissé

Serge Parfait DIOMAN
Expert International en Industries Pétrolières et Énergies

Une transition énergétique bien gérée passe indubitablement par une innovation énergétique. C’est l’avis de Serge Parfait DIOMAN, Expert international en Industries Pétrolières et Énergies . Dans cette interview , il explique sa pensée et attire l’attention des décideurs sur le danger d’une sortie prématurée des énergies fossiles.

• LE PATRIOTE : Comme vous le prédisiez, bien de pays font un retour aux fossiles qu’ils prônaient pourtant d’abandonner. Est-ce un retour temporaire ou définitif ?

SERGE DIOMAN PARFAIT : En pareil temps actuel d’urgence climatique mondiale, il importe bien peu d’évoquer le retour temporaire ou définitif aux ressources énergétiques fossiles.

Il conviendrait bien plutôt en fait de se projeter au-delà de ce niveau d’interrogation, non moins importante au demeurant, pour davantage apprécier ces diverses preuves de réalisme et de visions stratégiques avisées à l’égard de l’or noir, une ressource de tout premier plan qu’il eût mieux valu se garder d’exclure hâtivement sans au préalable disposer d’alternative de substitution probante.

Au bilan des expériences alors vécues, retourner de manière temporaire ou définitive aux fossiles tiendrait de l’orientation individuelle envisagée par chaque pays ou groupe de pays pour redynamiser sa démarche climato-énergétique. Ceci ne saurait donc être interprété comme une tendance universelle adoptée par tous.

• LP : Qu’est-ce qui aurait pu donc motiver certains pays à ce retour aux fossiles, fut-il temporaire ou définitif ?

SDP : Le pragmatisme scientifique et le leadership éclairé se nourrissent de ce que l’on sache apprendre de ses difficultés présentes pour revenir à temps utile sur ses pas et être lors en mesure d’anticiper les défis à venir pour les surmonter de par la somme d’expériences ainsi acquises.

Étant donc sensibilisés au fait avéré que la sortie prématurée des fossiles est l’une des causes fondamentales avérées de la crise énergétique mondiale, plusieurs pays les réintègrent tout simplement alors dans leurs plans de mixité énergétique nationale et ce, pour s’éviter d’autres ingrédients crisogènes.

• LP : Rejoigneraient-ils finalement ces pays africains qui annoncent en avoir encore besoin pour se développer ?

SDP : En terme de leadership et stratègies énergétiques, des avis peuvent converger à un moment ou un autre mais pour des raisons et des objectifs divers. Ce n’est pas que des pays rejoignent nécessairement donc d’autres pays en tant que tel. Toutefois aujourd’hui, nous notons une tendance non négligeable en terme de concordance de phase sur le retour aux fossile et de moins en moins de petrole bashing.

La crise russo-ukrainienne étant passée par là, l’on comprend mieux l’absence présence de l’or noir. Autrement dit, son absence nous instruit de l’insigne importance de sa présence dans le parc mondial de mixité énergétique.

Pour les États pétroliers d’Afrique, il est manifeste que toutes les récentes découvertes de gisements ont su déclencher de nombreux espoirs d’amélioration des conditions de vie. Pour les pays industrialisés qui font ce come-back, il s’agirait plus de consolider un équilibre pour éviter tout déficit énergétique.

• LP : Ce retour mettrait-il alors un point final au débat sur la sortie des énergies fossiles ou devrions-nous espérer juste une reformulation de la transition énergétique ?

SDP : L’on s’est presque tout dit au sujet des causes et effets du dérèglement climatique. Les facteurs circonstanciels de la transition énergétique ont maintes fois été abordés aussi.

Pour avancer donc, l’on gagnerait plus aujourd’hui à sortir de ce ring pour utiliser toutes nos ressources autrement, toutes y compris celles de nature fossile dont le grand poids au sein de l’offre énergétique mondiale ne saurait être occulté. S’en débarrasser serait de toute évidence une démarche à risque.

• LP : Cette manière d’aborder les questions climatiques et énergétiques semble différer de ce que l’on entend habituellement. S’agirait-il d’une directive nouvelle ?

SDP : À la différence de la transition énergétique qui invite à abandonner certaines ressources et promouvoir davantage celles jugées vertes, l’idée nouvelle ici est plutôt d’améliorer le design des appareillages et engins qui les utilisent afin que ceux-ci puissent piéger, convertir ou éliminer au niveau déjà de leur mécanique interne, tous les effluents gazeux indésirables et ne rejeter à l’atmosphère que les gaz propres.

Par définition donc, l’innovation énergétique s’active plus à améliorer le mode d’utilisation des ressources à tort ou à raison regardées du coin de l’œil et appelle alors à innover en développant des engins de générations nouvelles capables d’intégrer les particularités de celles-ci et réduire au seuil minimal adéquat l’empreinte carbone inhérente à leur usage.

• LP : Devrions-nous tous désormais parler plus à présent d’innovation énergétique que de transition énergétique ?

SDP : Dans la plupart des cas, et hormis le méthane entre autres, les matières fossiles sont loin d’être directement émettrices de gaz à effet de serre. Ces gaz émanent de la mauvaise utilisation qu’on en fait et c’est là qu’il faut agir.

Lorsque des moteurs automobiles sont mal entretenus ou que des chambres de combustion sont des foyers apparents de combustion incomplète qui émettent des microparticules, des imbrulés de carbone, des oxydes d’azote, etc. la matière première fossile n’est pas à indexer. Voyons plutôt ce qui pourrait être fait pour améliorer les engins qui l’utilisent mal.

• LP : Pour sauver la planète, n’est-il pas plus simple et plus rapide d’abandonner les fossiles que d’investir à améliorer les moteurs et les engins qui les utilisent ?

SDP : Dans le principe, l’innovation énergétique s’oppose à la ségrégation énergétique qui exclut certaines ressources et laisserait penser que l’intelligence humaine serait en butée quant à sa capacité à inventer des solutions technologiques nouvelles en réaction à un défi, fut-elle l’urgence climatique.

En l’occurrence, produire des voitures thermiques dotées de systèmes éliminant les gaz d’échappement controversés est un challenge abordable. L’on a su déjà le faire par le passé, à propos des pots catalytiques. L’on pourrait encore le faire en avançant davantage dans le sens de l’innovation énergétique grâce à plus de moyens en recherche et développement.

• LP : S’agirait-il juste alors de bien repenser la manière d’utiliser les énergies fossiles pour solder la question climatique définitivement ?

SDP : La démarche n’est point de s’accrocher vaille que vaille aux ressources fossiles. Car s’il faille un jour sortir du fossile, il importerait de se demander quand le ferait-on, comment et sur quelles ressources faudrait-il désormais compter sachant que toute offre substitutive devrait garantir d’être abondante, pérenne et accessible à des coûts abordables.

Or pour l’heure, et bien que médiatisée, aucune ne saurait valablement remplacer l’or noir qui, hormis son usage à des fins énergétiques, offre bien d’autres débouchés intéressants en agriculture, bâtiment, ouvrages bitumineux routiers, produits pharmaceutiques, vestimentaires, alimentaires, etc.

Ceci dit, l’innovation énergétique inclut la mixité énergétique.

• LP : A ce propos, l’on cite la géothermie comme étant une alternative à haut potentiel mais insuffisamment exploitée en dépit de ses atouts. Qu’en est-il en réalité ?

SDP : La géothermie vise à exploiter la chaleur interne de la terre. C’est une pratique très ancienne qui, à la faveur du mix énergétique, connaît aujourd’hui une application industrielle fort utile dans divers domaines dont la production d’énergie électrique verte, les pompes à chaleur géothermales, la génération de fluides caloporteurs pour le chauffage, etc.

Pour que cela marche, il faut injecter de l’eau déminée sous terre. L’unité de production de cette eau déminée reste toutefois un procédé coûteux au regard du coût des intrants nécessités pour transformer ces abondantes quantités d’eau brute en eau déminée sous forte pression.

• LP : N’est-ce pas peut-être une ressource de trop ?

SDP : La géothermie trouve un écho très favorable à la faveur de la transition énergétique. Elle ne saurait donc être de trop. D’ailleurs en pratique, elle reste la plus renouvelable des cinq énergies renouvelables définies par convention, même s’il y en a bien plus. Mais ce n’est pas ce débat qui nous intéresse.

Notons en effet que la chaleur des profondeurs terrestres est disponible en permanence. La géothermie n’est donc pas sujette au caractère intermittent du solaire et de l’éolien. Elle n’est ni soumise à la hantise saisonnière de l’hydroélectricité qui est susceptiblement exposée aux risques conjoncturels de baisse de régime lors des saisons sèches par exemple.

Il est bon en effet de savoir que la majeure partie des strates souterraines de la terre baigne sous une température de plus de 100°C qui augmente selon un gradient moyen de 30°C à chaque kilomètre de descente en profondeur.

Et même si cette chaleur n’est pas uniformément répartie, l’on note une bonne circulation de ce flux thermique que l’on est alors en mesure d’exploiter pour surchauffer de l’eau déminée envoyée sous terre, via des conduits en forage, pour la transformer en une vapeur motrice qui fera tourner une turbine couplée à un alternateur générateur d’électricité.

• LP : La géothermie serait-elle donc une opportunité énergétique réelle non exploitée à sa juste valeur ?

SDP : Plus d’une vingtaine de pays aujourd’hui en ont fait une ressource énergétique essentielle. Elle n’est donc pas si méconnue. Le Kenya entre autres est une championne en la matière et son exemple est tout autant édifiant qu’inspirant.

Des pays sont plus propices à la géothermie que d’autres. En effet,

Cependant, la matrice croisée coût d’investissement, coût de production et coût de vente du kilowattheure géothermique est à évaluer au cas par cas pour s’assurer de garantir qu’elle soit une opportunité abordable. A ce calcul de rentabilité, des pays se montrent plus propices à la géothermie que d’autres.

Il y a certaines variantes géothermiques, de type geysers, où la chaleur provenant des fonds terrestres rencontre de façon naturelle des nappes d’eaux souterraines qu’elle vaporise. On assiste dans ce cas à des éruptions thermales qu’il est plus facile de capter à toutes fins utiles et à des coûts moindres.

• LP : La barrière financière serait-elle en fait un obstacle à la popularisation de la géothermie à travers le monde ?

SDP : Déjà par principe, l’on n’est pas obligé d’implémenter toute la panoplie des énergies renouvelables connues à ce jour. Si l’on peut le faire, c’est bien sinon, il ne faudrait pas en faire un complexe d’infériorité. Tant que l’on peut assurer son autosuffisance énergétique par d’autres sources d’énergies, sans susciter de controverse, c’est déjà un grand pas de fait.

A cet effet, certains pays n’éprouvent donc pas de besoin impérieux à faire de la géothermie pour se sentir mieux, encore que l’on lui trouve aussi quelques griefs. La problématique des séismes induits par les activités géothermiques humaines requiert par exemple d’améliorer ce procédé industriel.

C’est bien pourquoi une fois de plus, nous insistons à dire qu’une transition énergétique sans innovation énergétique est une démarche non proactive et à risque.

Hormis cela, la géothermie reste écologiquement rentable et est une bonne option pour l’Afrique où bon nombre de pays, de par leur historique énergétique, sont des pionniers en matière d’énergie renouvelables hydroélectrique, biomasse, solaire, etc. et des parties prenantes à l’élan mondial contre le dérèglement climatique et pour l’innovation énergétique.

• LP : Justement à cet effet, des rencontres ont de plus en plus lieu en Afrique sur la transition énergétique. Que peut-on espérer de ces fora typiquement interafricains ?

SDP : La tenue de ces assises montre bien que le continent dispose d’un vivier de compétences capables de se réunir et mutualiser leurs expertises à l’effet de nous instruire sur les spécificités africaines en matière de transition énergétique. Il s’agira à chaque fin de séances de produire des syllabus consultables aussi bien par les populations intéressées que par les partenaires tant intérieurs qu’extérieurs du secteur.

C’est assises interafricaines sont donc des cadres propices au brassage d’idées sur les grandes attentes énergétiques propres à ce continent qui sait d’ailleurs qu’il a lui aussi une utile partition à jouer dans le concert mondial des réflexions sur l’urgence climatique et ce, bien que sa part contributive aux émissions en cause du dérèglement du climat soit très faible et estimée à moins de 5% en effet.

• LP : Les pétroliers sont-ils associés à ces assises ?

SDP : Ils sont d’office pleinement associés à ces rencontres. La présence bien remarquée des autorités et experts des administrations pétro-gazières est le signe que le secteur de l’or noir africain tient à partager sa vision des choses et faire connaître ses actions en faveur de la transition énergétique.

Comment réinventer le secteur pétrolier et gazier à l’ère de la transition énergétique ? voici leur préoccupation majeure.

De ces fora donc, l’on peut sans doute espérer tirer une ligne de consignes directives soumises à l’aimable attention des décideurs qui en réalité encouragent ces initiatives faisant office de forces de propositions d’émergences qu’ils sauront intégrer dans leurs plans nationaux de développement.

• LP : Tout le monde semble être d’accord pour opérer une transition énergétique. Alors, comment comprendre toutes ces divergences quant à son application ?

SDP : La transition énergétique est non seulement inévitable mais inéluctablement nécessaire. Tout le monde y adhère donc en principe. Les clivages observés ça et là sont plus du fait de l’interprétation qu’on en fait en vue de l’appliquer selon son entendement. Finalement, nous nous retrouvons dans un véhicule à quatre roues où chacune suit sa propre direction.

Pour certains en effet, la transition énergétique se doit d’être indiscutablement une consigne de zéro fossile. Quelles que soient les circonstances, nous devrions aller à son abandon intégral. Pour d’autres, il s’agirait plutôt d’un abandon partiel. En clair, l’on arrêterait les sites fossiles sans toutefois les démanteler. Ce qui laisserait donc de pouvoir les remettre en activité en cas de déficits conjoncturels majeurs comme par temps de crise énergétique par exemple.

A côté de ceux-ci, la troisième frange de pensée prône de ne rien abandonner mais plutôt innover à l’effet d’utiliser toutes les ressources fossiles mais autrement. Et enfin, il y a ceux pour qui la transition énergétique ne devrait concerner que les grands émetteurs de gaz à effet de serre ainsi que les émetteurs historiques en activité depuis plusieurs décennies.

• LP : Serait-ce donc aussi simplement qu’une question d’incompréhension sur la conduite à tenir ?

SDP : Mis à part les questionnements sur l’uniformisation de la feuille de route et la vision commune que nous devrions tous avoir au sujet de la transition énergétique, il y a aussi la grande problématique des moyens qu’on entend se donner pour sa mise en œuvre.

En effet, vu les capacités financières de chacun, l’onérosité de certaines solutions transitionnelles énergétiques contraindrait bien de pays moins nantis à se limiter qu’à la hauteur de leurs moyens. En général, ils ont à faire face à d’autres impératifs et défis nationaux. Ce n’est donc pas qu’ils ne se sentent pas concernés par l’urgence climatique mais les moyens font défaut.

C’est pourquoi, évoquer la transition énergétique sans parler de solidarité ni entrevoir d’aides en termes de compensation des pertes et dommages, lorsque des régions de la planète sont impactées par les vicissitudes avérées du dérèglement climatique, serait en quelque sorte tenir le taureau enragé par une seule de ses cornes. On n’arrivera pas à le dompter.

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